T 0830/90 (Accord de confidentialité) 23-07-1993
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1. Pour qu'il y ait accord de confidentialité excluant toute divulgation au public, il n'est pas nécessaire de conclure un contrat par écrit.
2. La teneur d'un entretien d'affaires n'est pas réputée rendue accessible au public au sens de l'article 54(2) CBE s'il y a eu accord entre les parties sur sa confidentialité et qu'il n'est pas prouvé qu'elle ait été rompue.
3. Un tel accord peut être conclu à l'occasion d'un entretien d'affaires dans le cadre d'un projet technique commun, si l'on peut admettre que les parties ont des intérêts similaires et si une réserve de confidentialité a été exprimée oralement et découle d'une mention imprimée sur des dessins.
Nouveauté (oui)
Utilisation antérieure connue du public
Accord de confidentialité entre partenaires commerciaux excluant toute divulgation au public (oui)
Activité inventive (oui)
Obligation limitée pour la chambre de procéder à l'examen des faits en cas de retrait de l'une des parties à la procédure
I. La demande de brevet européen n° 85 104 769.6 déposée le 19 avril 1985 et publiée le 4 décembre 1985, a abouti le 22 juillet 1987 à la délivrance du brevet européen n° 0 163 105.
II. L'opposition formée par l'opposante contre le brevet le 19 avril 1988 se fondait sur le motif d'opposition visé à l'article 100a) CBE (absence de nouveauté ou d'activité inventive). A l'appui de son opposition, l'opposante a cité les documents suivants:
D1 : DE-U-1 875 033 et
D2 : revue "Neues aus der Technik", n° 4, du 16 août 1982, page 2.
Elle a en outre fait valoir plusieurs utilisations antérieures connues du public et a présenté comme preuves les documents suivants:
D3 : Dessin n° 108/8/83-01 du 21.1.84 de la société Kvaerner Brug (Deutschland) GmbH (désigné comme "Annexe B"), produit avec l'exposé des motifs de l'opposition le 19.4.1988 ;
D4 : Dessin n° 108/8/83-02 du 21.1.84 de la société Kvaerner Brug (Deutschland) GmbH (désigné comme "Annexe C"), produit avec l'exposé des motifs de l'opposition le 19.4.1988 ;
D5 : Note manuscrite du témoin S., datée du 13.4.1984 (désignée comme "Annexe A"), présentée à la division d'opposition le 12.6.1990.
La requérante (titulaire du brevet) a produit au cours de la procédure d'opposition les autres documents suivants :
D6 : Lettre de M. H., en date du 8.9.1986, adressée à la requérante (désignée comme "Annexe P2"), reçue à l'OEB le 18.6.1988 ;
D7 : Lettre de M. D., non datée, adressée à la requérante (désignée comme "Annexe P3"), reçue à l'OEB le 18.6.1988 ;
D8 : Dessin n° 0000971/1 Z de la société Deutsche MacGregor GmbH, en date du 27.1.84, n° de construction 160, Chantier naval Cassens, panneau pliant et cloisons étanches transversales ; produit au cours de la procédure orale du 12.6.1990 (désignée par la requérante comme "Annexe B") ;
D9 : Dessin n° 0000980/0 B de la société Deutsche MacGregor GmbH, en date du 18.1.84, n° de construction 160, chantier naval Cassens, dispositif de déplacement pour bardis, produit lors de la procédure orale du 12.6.1990 (désigné par la requérante comme "Annexe C").
Au cours de la procédure d'opposition, deux des témoins cités par l'opposante ont été entendus par la division d'opposition dans le cadre d'une mesure d'instruction qui s'est déroulée à l'occasion de la procédure orale tenue le 12 juin 1990.
L'audition des témoins a donné lieu à l'établissement des procès- verbaux suivants, joints en Annexes I et II à la décision attaquée :
ZP I) : Procès-verbal de la déposition du témoin S., employé de l'opposante (société Kvaerner Brug GmbH)
ZP II): Procès-verbal de la déposition du témoin K., employé du chantier naval Cassens GmbH.
III. Par la décision prononcée le 12 juin 1990 à l'issue de la procédure orale et postée le 10 septembre 1990 avec un exposé des motifs écrit, la division d'opposition a révoqué le brevet pour absence de nouveauté ; elle a fait valoir essentiellement que l'objet de la revendication 1 du brevet litigieux avait été divulgué par la titulaire du brevet elle-même dans le cadre d'une offre de livraison au chantier naval Cassens GmbH, qui n'était pas tenu au secret comme il aurait été nécessaire, et qu'il avait ainsi été rendu accessible au public au sens de l'article 54(2) CBE. Par ailleurs, l'objet du brevet aurait aussi été communiqué par le chantier à un concurrent de la titulaire du brevet avant la date de priorité.
IV. La requérante (titulaire du brevet) a formé un recours contre la décision de la division d'opposition le 30 octobre 1990 et acquitté le même jour la taxe de recours. Le mémoire exposant les motifs du recours a été reçu le 8 janvier 1991.
V. La requérante a demandé l'annulation de la décision attaquée et le maintien du brevet tel que délivré.
La revendication 1 du brevet délivré est rédigée comme suit :
"Dispositif pour le déplacement de parois transversales (cloisons étanches) dans des cales de bateaux, comportant des galets de roulement fixés à la cloison étanche (20) et guidés, en service, sur des rails sur l'hiloire (14, 15) de la cale, et un mécanisme pour faire passer la cloison étanche d'un état de repos, dans lequel elle est fixée par rapport à la cale, dans un état de marche, dans lequel elle peut se déplacer par rapport à la cale, caractérisé en ce que les galets (31, 33 ; 41, 43) sont montés sur des chariots (30, 40) qui sont fixés à la cloison étanche (20) de manière à être relativement mobiles par rapport à celle-ci et qui, lorsque la cloison est à l'état de repos, peuvent être libérés de l'hiloire et se déplacer dans la cale."
VI. Les arguments présentés par la requérante à l'appui de sa requête peuvent être résumés comme suit :
L'opinion de la division d'opposition concernant les déclarations D6 et D7 faites par MM. H. et D., selon laquelle ces employés du chantier naval Cassens n'ont pas considéré qu'ils étaient tenus de garder le secret, n'est pas confortée par le procès-verbal ZP II de la déposition du témoin K., qui n'a pas fait à ce sujet de déclarations spécifiques et/ou fondées. Il est incompréhensible que la division d'opposition conclue des documents D6 et D7 que si l'"on peut tout à fait admettre que le preneur d'ouvrage (requérante) a intérêt à ce que les informations techniques qu'elle a communiquées fassent l'objet d'un traitement confidentiel, on ne comprend pas en revanche qu'elle fixe une obligation précise et étendue de garder le secret, allant, sur le fond, au-delà du texte de la lettre", car "il aurait été difficile pour la société Cassens en tant que donneur d'ordre d' accepter ou de respecter une telle obligation parce que cela aurait gêné considérablement la réalisation rapide du projet, ou l'aurait même fait capoter". De manière tout à fait générale, c'est plutôt le principe selon lequel une information n'est pas rendue accessible au public si la divulgation de cette information est liée à une obligation de garder le secret qui s'applique. Pour justifier une telle obligation, un accord n'est pas absolument nécessaire ; cette obligation peut au contraire découler implicitement des circonstances de l'espèce interprétées en toute bonne foi. Il n'y a pas de différence sensible entre "traitement confidentiel" et "respect du secret". Il n'est donc pas besoin d'une obligation juridique étendue de garder le secret, se fondant sur les principes du droit des contrats et s'exerçant dans les limites couvertes directement ou indirectement par la volonté contractuelle des parties.
Il n'est pas évident, et cela ne ressort pas non plus du procès- verbal ZP II de la déposition du témoin K., qu'entre la passation de la commande le 21 janvier 1984 et la date de priorité du brevet litigieux (27.4.1984), l'objet de ce dernier a été communiqué à une personne étrangère à l'entreprise, ni qu'il y avait nécessité d'une telle communication. Même la date de la prétendue transmission de l'information à M. S. (13.4.1984) n'a pas été confirmée dans ce procès-verbal.
Mais si l'on suppose que l'information a été transmise à M. S. le 13 avril 1984, il convient alors de se référer à l'article 55(1)a) CBE, en calculant le délai de six mois avant le dépôt de la demande de brevet européen indiqué à cet article, non pas à partir de la date de dépôt, mais à compter de la date de priorité.
VII. L'opposante a retiré l'opposition par courrier en date du 18 octobre 1990, c.-à-d. avant la date de réception du recours, et ne s'est plus exprimée depuis.
1. Le recours répond aux conditions énoncées aux articles 106, 107 et 108 ainsi qu'aux règles 1(1) et 64 CBE ; il est donc recevable.
2. Questions de procédure
L'opposante a retiré son opposition et n'est donc plus partie à la procédure de recours (T 789/89 du 11 janvier 1993, à paraître au JO OEB). Etant donné que le recours a été formé par la titulaire du brevet contre la décision de révocation de la division d'opposition, il n'en résulte pas d'autres conséquences sur la procédure. La Chambre de recours doit plutôt vérifier sur le fond la décision de la division d'opposition et ne peut annuler ladite décision que si les motifs d'opposition n'empêchent pas le maintien du brevet européen. Lors de cet examen, la Chambre peut également prendre en compte des preuves produites par l'opposante avant le retrait de l'opposition (T 629/90, JO OEB 1992, 654).
Toutefois, la Chambre n'est tenue que dans certaines limites seulement de procéder à l'examen d'office des faits (art. 114(1) CBE) pour ce qui concerne les utilisations antérieures connues du public (cf. décision T 129/88, JO OEB 1993, 598), par exemple dans le cas où l'opposante propose de citer des témoins à une nouvelle mesure d'instruction destinée à tirer au clair des contradictions, lorsqu'il est difficile d'établir les circonstances essentielles sans la participation de l'opposante, ou s'il n'existe pas de perspective de clarification.
3. Etat de la technique et nouveauté
3.1 Documents de l'état de la technique
Le document D1 cité dans l'introduction de la description du brevet attaqué divulgue un dispositif selon le préambule de la revendication 1, dans lequel les galets de roulement guidés par rail sont montés de manière fixe sur la paroi transversale et, au contraire de ceux du brevet litigieux, ne sont pas équipés de chariots pouvant être déplacés à l'intérieur de la cale.
Le document D2 ne concerne pas un dispositif permettant de déplacer des parois (cloisons) transversales au moyen de galets de roulement, mais des galets de levage mobiles pour panneaux de cales pliables, et se distingue donc par sa nature de l'objet du brevet litigieux.
L'objet de la revendication 1 du brevet litigieux est donc nouveau par rapport à l'état de la technique contenu dans les documents.
3.2 Utilisations antérieures
Les utilisations antérieures que fait valoir l'opposante et qui ont été soi-disant divulguées se fondent sur des entretiens entre le chantier naval Cassens GmbH, chargé de la construction d'un nouveau navire, et deux sous-traitants concurrents, à savoir la requérante (titulaire du brevet) et l'opposante. Ces entretiens avaient pour objet des offres faites au chantier, concernant des parois (cloisons étanches) transversales mobiles n'entravant pas la fermeture de la cale à l'aide des panneaux de cale.
L'opposante considère que les trois faits suivants constituent une utilisation antérieure connue du public :
Première utilisation antérieure prétendue
La requérante elle-même a, selon ses propres dires, divulgué pour l'essentiel l'idée technique à la base du brevet litigieux, lors d'un entretien qui a eu lieu le 21.1.1984 (et la veille, par téléphone), avec MM. H. et D. du chantier naval Cassens. A l'issue de cet entretien qui a porté sur la livraison du dispositif de déplacement des cloisons pour bardis et des panneaux de cales d'un nouveau navire, la commande a été passée à la requérante, comme l'ont confirmé par écrit MM. H. et D. (cf. documents D6 et D7).
Deuxième utilisation antérieure prétendue
Cet acte a eu lieu à l'occasion d'une offre soumise par la société Kvaerner Brug GmbH (opposante) au chantier naval Cassens. D'après le procès-verbal ZP I, la configuration des cloisons et des panneaux de cale a été discutée le 20.1.1984 au cours d'un entretien auquel étaient présents, entre autres, le témoin S., pour la société Kvaerner Brug et, au moins temporairement, M. H., du chantier naval. La conclusion de l'entretien a été que la seule solution utilisable consistait à déplacer les cloisons sur des galets. A la suite de quoi le témoin S. a, selon ses propres déclarations (procès-verbal ZP I), réalisé les dessins correspondant aux documents D3 et D4 et les a envoyés le jour même par courrier au chantier naval Cassens (le dessin correspondant à D3 porte une note manuscrite à ce sujet).
Troisième utilisation antérieure prétendue
D'après les déclarations du témoin S. (procès-verbal ZP I), la solution correspondant au brevet attaqué a été communiquée une troisième fois au chantier naval le 13.4.1984. Il ressort en effet que le témoin S., représentant l'opposante, a eu ce jour-là un entretien notamment avec M. K., du chantier Cassens, portant sur des panneaux de cale pour d'autres nouveaux navires. A la suite d'une question relative à la réalisation technique du dispositif de déplacement des cloisons confié à la société concurrente (requérante), M. K. a fait une description détaillée de son fonctionnement, sur laquelle le témoin S. a rédigé aussitôt la note présentée comme document D5. D'après le procès-verbal ZP I, le témoin a eu encore par la suite l'occasion de consulter des dessins de la requérante relatifs à ce dispositif, puis il a fait réaliser par sa société, Kvaerner Brug, des plans qui avaient pour objectif de réduire la pression sur la bande de roulement des galets et qui ont ultérieurement été soumis au chantier naval Cassens.
3.2.1 On se trouve en présence d'une utilisation antérieure connue du public de l'objet d'un brevet (cf. T 93/89, JO OEB 1992, 718, point 8.1, T 538/89 en date du 2.1.1991, point 2.3.1, non publiée), si
A) l'utilisation a eu lieu avant la date de dépôt de la demande ou la date de priorité du brevet litigieux (Quand l'acte a-t-il eu lieu, était-ce une utilisation antérieure?)
B) l'objet de l'utilisation est identique à celui du brevet litigieux (Qu'est-ce qui a été utilisé, quelle est l'étendue de l'utilisation, l'objet utilisé et l'objet du brevet litigieux sont- ils de même nature?) et
C) les circonstances de l'utilisation sont telles que l'objet utilisé a été rendu accessible au public et qu'il a donc été divulgué (Comment, où et par qui a eu lieu l'utilisation antérieure? Nature et circonstances de l'utilisation antérieure).
3.2.2 Première utilisation antérieure prétendue
Dans sa réponse à l'opposition (page 11, point 2), en date du 16.6.1988, la requérante a déclaré expressément avoir divulgué au chantier naval Cassens l'essentiel de l'invention sur laquelle se fonde le brevet litigieux, le 21.1.1984, comme le confirment du reste les documents D6 et D7. La Chambre considère donc comme établi que la première utilisation antérieure a eu lieu avant la date de priorité, que l'objet de l'utilisation antérieure et celui du brevet litigieux sont de même nature et que les conditions A et B susmentionnées sont donc remplies.
Les circonstances et la nature de l'utilisation antérieure (critère C) sont indubitablement établies, en ce qui concerne le lieu (chantier naval Cassens) et les partcipants à l'acte (requérante en tant que fournisseur, d'une part, gérant et/ou employés du donneur d'ordre, le chantier naval Cassens, d'autre part).
La question que l'on peut se poser est de savoir si la divulgation de l'objet du brevet litigieux lors de la passation de la commande était liée à un accord relatif au respect du secret et si les employés du chantier naval Cassens qui étaient présents doivent être ou non assimilés au public.
En accord avec les directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB, D-V, 3.1.3.2, la Chambre estime que l'objet d'un brevet n'a pas été divulgué, c.-à-d. n'a pas été rendu accessible au public, si le respect du secret
a) a été expressément prévu ou a fait l'objet d'un accord tacite et
b) n'a pas été rompu.
De l'avis de la Chambre, la réponse à la question de savoir si une idée technique exprimée dans une offre ou lors d'une passation de commande est rendue accessible au public, dépend du cas d'espèce.
Dans la présente affaire, la requérante a produit deux lettres (documents D6 et D7), l'une du gérant (M. H.), l'autre du chef du bureau de construction navale (M. D.), du chantier Cassens, tous deux présents lors de la passation de commande le 21.1.1984, dans lesquelles il est exposé ce qui suit :
"Les représentants de MacGREGOR avaient expressément insisté pour que les informations reçues de la société Deutsche MacGREGOR fassent l'objet d'un traitement confidentiel, notamment en cas de discussions avec des concurrents. Une évidence lorsque l'on présente de nouveaux concepts techniques" (dixit M. H. dans le document D6).
"Pour moi, il était évident que les informations communiquées par la société Deutsche MacGREGOR devaient être traitées confidentiellement, en particulier si un entretien devait avoir lieu avec des concurrents. Les représentants de la société MacGREGOR avaient expressément insisté sur ce point" (dixit M. D. dans D7).
Cela confirme que le caractère confidentiel des informations communiquées allait de soi pour MM. H. et D., et donc pour la société Cassens, c.-à-d. qu'ils étaient d'accord sur ce point.
Le contenu des documents D6 et D7 n'a été remis en question ni par la division d'opposition, ni par l'opposante. La Chambre ne voit pas non plus de raison de douter de leur exactitude. En particulier, il n'a pas été prétendu que l'instruction donnée par la requérante avait à l'époque été contestée. Par conséquent, à défaut d'accord oral, la réserve relative au caractère confidentiel des informations communiquées doit avoir été approuvée à l'époque de manière implicite, compte tenu des intérêts convergents des parties qui travaillaient à un projet technique commun. Les autres preuves ne s'opposent pas non plus à cette interprétation. Le procès-verbal ZP II, de la déposition du témoin K., employé du chantier, ne contient que des indications relatives au caractère confidentiel de la seconde "utilisation antérieure". Les témoins cités, K. et S., n'ont pas participé personnellement aux négociations mentionnées dans les documents D6 et D7, de sorte qu'ils n'ont pas pu dire si l'on s'était mis d'accord à cette occasion sur le caractère confidentiel des informations communiquées.
La Chambre, ne serait-ce que pour les raisons susmentionnées, n'a donc aucune raison de douter que, en ce qui concerne la première utilisation antérieure, on soit parvenu à un accord de confidentialité, aux termes duquel le contenu des entretiens et des dessins ne devait pas être communiqué et devait donc être tenu secret. Cela est d'autant plus vrai que les dessins (D8 et D9) présentés par la requérante portent des tampons bien visibles faisant référence aux articles 18 à 20 de la loi sur la concurrence déloyale et à l'article 823 du code civil allemand, desquels dérive une clause de confidentialité dont les parties ont sans aucun doute pris connaissance et qui n'a pas été remise en cause. Le fait que ces tampons fassent référence à la loi allemande sur la concurrence déloyale, concernant la défense des bons usages en matière de concurrence, et à l'article 823 du code civil allemand, relatif à l'obligation de payer des dommages-intérêts en cas de délit, n'est pas sans importance, contrairement à l'avis de l'instance précédente (cf. points 11.5 et 11.6 de la décision attaquée) du point de vue du droit des brevets (cf. à ce propos Singer R., Europäisches Patentübereinkommen, note 6 en marge relative à l'article 54, selon laquelle l'obligation de garder le secret peut découler des circonstances de l'espèce en vertu du principe général de la bonne foi). En l'occurrence, les tampons indiquent clairement que la requérante ne voulait pas communiquer le contenu des dessins sans conditions.
Si une telle obligation de garder le secret a été convenue de manière implicite, à défaut de l'avoir été oralement, entre des partenaires commerciaux lors d'opérations commerciales, cela est suffisant pour exclure toute divulgation au public. A cet égard, il n'est pas nécessaire, contrairement au point de vue exprimé par l'instance précédente aux points 11.2 et 11.4 de la décision attaquée, de disposer de la preuve "d'un accord exprès et spécifique" (s'agissant d'une demande de brevet). Il suffit tout bonnement d'avoir la preuve qu'un accord a été exprimé de façon implicite. Celui-ci est suffisamment précis si, comme c'est le cas en l'espèce, il se réfère aux caractéristiques essentielles d'une invention.
Dans la décision attaquée, il a en outre été affirmé que, compte tenu de la situation, à savoir la réalisation de travaux prévue dans un chantier naval, il n'était en fait guère possible d'imposer une obligation de garder le secret et que cela n'était compatible ni avec l'objet du contrat, ni avec les intérêts des parties contractantes.
Les pièces du dossier ne permettent pas de conclure que la possibilité de préserver le secret était exclue de facto et la Chambre ne peut pas non plus exclure cette possibilité sur la base de ses propres constatations. Il faut en effet admettre, d'après l'expérience générale, qu'un tel accord est respecté au moins aussi longtemps qu'il existe un intérêt commun à la préservation du secret. Un tel intérêt persiste au moins pendant la période qui sert à garantir les intérêts des partenaires commerciaux. Il en est ainsi par exemple de la phase de collaboration pendant laquelle il n' y a pas de protection juridique, par exemple par brevet, ou bien de celle pendant laquelle le nouveau dispositif fait encore l'objet d'un perfectionnement en commun. Selon les déclarations du témoin K., consignées dans le procès-verbal ZP II (page 4, 2e et 3e paragraphes), le chantier naval Cassens était également associé à la recherche d'une solution concrète au problème et il a de surcroît apporté des connaissances techniques. On peut donc supposer que le chantier a non seulement tenu compte des intérêts de son partenaire commercial, mais qu'il avait aussi un intérêt propre à garder le secret au-delà de la date de passation de la commande, c'est-à-dire au moins encore pendant la phase de perfectionnement du dispositif jusqu'au moment de son installation sur le navire. On ne voit donc pas, contrairement à l'avis de l'instance précédente, en quoi l'objet du contrat aurait été incompatible avec l'obligation de garder le secret.
Le procès-verbal ZP II (déposition de M. K.) n'indique pas la date à laquelle le dispositif revendiqué a commencé effectivement à être construit ni celle de son montage sur le chantier. On ne peut pas tout simplement admettre que les travaux en question ont été effectivement réalisés pendant le laps de temps relativement court qui s'est écoulé entre la passation de la commande (21 janvier 1984) et la date de priorité du brevet litigieux (27 avril 1984). On ne peut pas non plus, pour cette raison, considérer sans autre forme de procès que les conditions qui ont amené les parties à traiter confidentiellement l'offre n'ont plus été réunies avant la date de priorité du brevet litigieux et qu'il fallait s'attendre à ce que, au cours de l'exécution du contrat, des informations essentielles sur le brevet litigieux soient communiquées à des tiers.
Il se pose encore la question de savoir si la déclaration du témoin K. permet de considérer que la confidentialité a été rompue.
M. K., employé du chantier naval cité comme témoin, a, d'après le procès-verbal ZP II, déclaré, à propos d'une divulgation de la solution en question, qu'il en avait certainement parlé devant des tiers, et a cité nommément la société affrètant le navire concerné. L'armateur a également été tenu au courant en permanence des commandes passées, dans un délai d'environ une semaine à dix jours après la passation de la commande ou même plus tôt.
Toutefois, la déposition du témoin est sur ce point tellement imprécise et incomplète qu'il n'est pas possible d'en conclure que la divulgation de l'information technique en question est établie (cf. supra, point 3.2.1).
3.2.3 Deuxième utilisation antérieure prétendue
Les considérations qui précèdent s'appliquent par analogie à la deuxième utilisation antérieure prétendue. Il apparaît clairement que les dessins D3 et D4 comportent une clause de confidentialité, dans laquelle il est fait référence sans ambiguïté au secret industriel et aux articles 17 et ss. de la loi sur la concurrence déloyale. L'opposante et le chantier Cassens collaborant au plan technique, ces deux entreprises avaient des intérêts communs dans la perspective d'un futur contrat. Là encore, il n'a pas été démontré que le personnel de Cassens avait contesté la clause de confidentialité. Cela aurait pourtant dû se produire en l'espèce, si Cassens n'avait pas voulu être lié par cette clause. Il faut plutôt admettre que l'entretien du 20 janvier 1984 était déjà soumis à une telle clause. Le fait que Cassens ait "naturellement" accepté de se soumettre à une obligation de garder le secret, à propos de la première utilisation antérieure prétendue, dans des circonstances comparables, plaide en faveur de cette conclusion.
De l'avis de la Chambre, les preuves produites à propos de la deuxième utilisation antérieure prétendue ne suffisent pas non plus pour répondre avec certitude au critère C fixé pour établir l'existence d'une utilisation antérieure connue du public (cf. point 3.2.1 supra).
3.2.4 Troisième utilisation antérieure prétendue
La date indiquée sur la note D5 du témoin S. (13.4.1984) n'a pas pu être confirmée par l'interlocuteur de ce dernier, le témoin K. (cf. procès-verbal ZP II), qui n'a fait que des déclarations très vagues à ce sujet. C'est pourquoi les déclarations des témoins ne constituent pas sur ce point une base suffisante pour considérer que l'objet du brevet litigieux a fait l'objet de l'entretien entre les deux témoins peu de temps encore avant la date de priorité (27.4.1984) (critère A).
Il n'est pas en outre établi que la teneur de cet entretien a été divulguée. Il ressort du procès-verbal ZP I (page 6) que le témoin S. a utilisé les informations obtenues lors de l'entretien pour faire réaliser des plans dans sa société (l'opposante Kvaerner Brug) dont il comptait se servir pour soumettre ultérieurement une offre au chantier Cassens dans le cadre d'un autre projet. Il semble donc improbable qu'il y ait eu de la part de l'opposante un intérêt à communiquer pendant la phase de développement de ces dispositifs alors en cours, des informations à des tiers et éventuellement à des concurrents.
La Chambre constate que les preuves produites à propos de la troisième utilisation antérieure ne suffisent pas non plus pour établir l'existence d'une utilisation antérieure connue du public.
3.2.5 Comme l'opposante s'est retirée de la procédure, la Chambre, qui n'est tenue que dans certaines limites de procéder à l'examen d'office des faits en cas d'utilisation antérieure connue du public (cf. point 2 supra), estime que, compte tenu du laps de temps désormais important écoulé depuis les faits en question et du fait que les preuves ont déjà été examinées, il y a peu de chances d'éclaircir les questions éventuellement en suspens au cours d'une procédure visant à produire de nouvelles preuves, et ce d'autant moins que l'opposante a déclaré, au cours de la procédure engagée parallèlement devant le Tribunal fédéral allemand des brevets (décision 7 W (pat) 112/87 en date du 16 novembre 1990), au moment où elle retirait son opposition, que les témoins se voyaient incapables de répondre "dans le sens de l'opposante" aux questions posées dans l'ordonnance de preuve émanant du Tribunal.
4. Etant donné que la preuve n'a pas été clairement apportée que le dispositif selon la revendication 1 du brevet litigieux a fait l'objet d'une utilisation antérieure connue du public, et que ce dispositif ne doit donc pas être considéré comme faisant partie de l'état de la technique, il n'est pas nécessaire d'examiner la question de l'innocuité de la divulgation, que la requérante a fait valoir à propos de la troisième utilisation antérieure prétendue en invoquant un abus évident conformément à l'article 55(1)a) CBE, ni la question de la date déterminante pour le calcul du délai de 6 mois qui y est liée.
5. Activité inventive
Le document D1 décrit un dispositif de déplacement de cloisons avec des galets non mobiles. Le document D2 présente des galets de levage mobiles pour panneaux de cales de navire pliables, qui n'ont cependant rien à voir avec le déplacement proprement dit du panneau de cale installé sur l'hiloire, et "ne sont nécessaires que dans une phase bien précise de la manipulation des panneaux de cales". La requérante décrit dans sa réponse à l'opposition en date du 16 juin 1988, aux points 3 et 4, la fonction des galets de levage à laquelle il est fait allusion seulement par le terme "levage" dans le document D2", en indiquant que le galet se déplace sur une rampe prévue au niveau des extrémités longitudinales de la cale, ce qui exerce un effet de couple sur le panneau de cale et entraîne le repliement (du panneau)". Ce mode de fonctionnement des galets de levage n'est pas non plus remis sérieusement en question par l'intimée dans ses communications en date du 10 octobre 1988 (p. 2, point 3) et du 13 décembre 1988 (p. 2, point 2), mais il est reconnu que, selon le document D2, "un ensemble de galets de roulement est désengagé d'un rail par déplacement dans la cale". Le galet de levage connu par le document D2 n'est donc manifestement pas utilisé pour déplacer, mais seulement pour plier le panneau de cale. Les galets mobiles connus servent donc à une autre fin et exercent une autre fonction que celle des galets de roulement servant au déplacement des parois transversales et faisant l'objet du brevet attaqué. Le document D2 ne peut donc donner à l'homme du métier aucune indication en direction de la solution revendiquée.
La Chambre en vient donc à conclure que l'objet de la revendication 1 ne découle pas de façon évidente de l'état de la technique. L'activité inventive visée à l'article 56 CBE est donc également établie et l'objet de la revendication 1 est brevetable conformément à l'article 52(1) CBE.
6. Les revendications dépendantes 2 à 12 ne donnent lieu à aucune critique quant à la forme ; elles contiennent des développements avantageux de l'invention selon la revendication 1 et sont donc également brevetables.
Le brevet tel que délivré est donc valable.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision attaquée est annulée.
2. Le brevet est maintenu tel que délivré.