T 0226/85 (Agents stables de blanchiment) 17-03-1987
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Exposé de l'invention suffisamment clair et complet
Résultats fortuits
Taux d'échecs élevé résultant de causes inconnues
I. La demande de brevet européen n° 79 302 043.9 déposée le 28 septembre 1979 et revendiquant la priorité d'une demande antérieure en date du 2 octobre 1978, a abouti le 27 avril 1983 à la délivrance du brevet européen n° 9942 sur la base de huit revendications. La revendication 1 s'énonce comme suit :
"Composition de nettoyage à récurer versable comprenant un agent tensio-actif anionique, un agent tensio-actif non ionique polaire soluble dans l'eau, un électrolyte, un agent de blanchiment libérant du chlore et un abrasif particulaire en suspension, caractérisé en ce que l'agent tensio-actif non-ionique polaire comprend un amine-oxyde et en ce que l'agent de blanchiment libérant du chlore comprend de l'hypochlorite de sodium, la concentration totale d'agent tensio-actif étant de 0,1 à 0,5 mole/kg sur la base de la composition totale en-dehors de l'abrasif, et le rapport molaire agent tensio-actif anionique : amine-oxyde est de 60:40 à 20:80, la composition présentant une perte ne dépassant pas la moitié du chlore actif initial dans une période de stockage de 30 h à 50°C et étant capable de garder en suspension un abrasif sans laisser une couche de matière non-suspendue se déposer pendant 1 mois à 37°C."
II. Le brevet européen a fait l'objet de deux oppositions recevables tendant à sa révocation pour défaut d'activité inventive. Le premier requérant (deuxième opposant) a allégué en outre l'absence de nouveauté et le deuxième requérant (premier opposant) l'insuffisance de l'exposé de l'invention. Dans ce dernier cas, des résultats d'essais comparatifs ont été présentés en vue de montrer que les compositions revendiquées ne présentent pas l'avantage d'être stables, c'est-à-dire de ne pas produire de dépôt et que, contrairement à l'énoncé de la revendication, elles ne retiennent pas la moitié du chlore à l'issue de la période de stockage spécifiée.
III. La Division d'opposition a rejeté les oppositions par une décision qui a été signifiée le 26 juillet 1985.
L'insuffisance de l'exposé de l'invention n'est pas non plus évidente, puisque les méthodes présentées dans la description comportent des indications appropriées et que l'homme du métier aurait eu à sa disposition suffisamment d'informations pour savoir quelles mesures il convient de prendre en cas d'échec. S'il est vrai que des impuretés et des composants secondaires peuvent modifier de façon importante les propriétés des compositions, de tels problèmes peuvent être résolus en procédant à quelques essais. En tout état de cause, les essais réalisés ne correspondaient pas strictement aux exemples donnés (par ex., aucun composant sous forme de parfum n'a été incorporé, ce qui pourrait expliquer l'échec des essais visant à reproduire les mêmes résultats).
IV. Les opposants ont formé un recours contre cette décision respectivement les 24 août et 30 septembre 1985. ...
1. Le recours répond aux conditions énoncées aux articles 106, 107 et 108 ainsi qu'à la règle 64 CBE ; il est donc recevable.
2. Une opposition invoquant l'insuffisance de l'exposé de l'invention en vertu de l'article 100 b) CBE se fonde bien entendu sur l'article 83 CBE, qui dispose que l'invention doit être exposée de manière "suffisamment claire et complète pour que l'homme du métier puisse l'exécuter". Cela signifie en substance que toute réalisation de l'invention telle que définie dans la revendication principale doit pouvoir être exécutée sur la base de l'exposé.
3. Les essais présentés à l'origine par l'un des requérants auraient pu ne pas aboutir à l'obtention d'une composition appropriée dans la mesure où ils ne correspondaient pas strictement aux exemples donnés. Il importe toutefois de noter qu'il ne suffit pas, pour qu'une invention soit exposée de manière suffisamment claire et complète, que les réalisations exemplifiées de cette invention soient reproductibles ; il faut aussi que toute réalisation entrant dans le champ de la revendication puisse être reproduite. S'il est vrai dans la présente espèce que les deux caractéristiques fonctionnelles contenues dans la revendication excluent automatiquement les variantes vouées à l'échec, on ne peut en conclure qu'en suivant les instructions contenues dans la description, l'homme du métier rencontrera de grandes difficultés pour parvenir aux réalisations appropriées.
4. Normalement, la mise en oeuvre des caractéristiques techniques essentielles et tangibles des revendications devrait être couronnée de succès, à condition que l'homme du métier se conforme fidèlement aux instructions figurant dans la description et utilise à bon escient ses connaissances pour parvenir au but recherché. Lorsque la définition de l'invention par ses seuls composants présente de réelles difficultés, il est possible d'aplanir celles-ci en prévoyant des limites fonctionnelles. A cet égard, la Chambre s'en tient aux Directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB, C-III, 4.7. Les résultats auxquels il est fait référence doivent être faciles à vérifier directement par des essais. De telles garanties ne sauraient toutefois se substituer à la nécessité d'intégrer dans la définition toutes les caractéristiques essentielles qui sont les conditions nécessaires et suffisantes de l'invention. Bien qu'il s'agisse en fait de répondre à l'exigence de clarté des revendications visée à l'article 84 CBE, dont le défaut ne constitue pas en soi un motif d'opposition en vertu de l'article 100 CBE, cela n'est pas sans conséquences pour la reproductibilité de l'invention, qui dépend nécessairement de l'étendue exacte de la revendication.
5. Si, comme cela est suggéré, la présence de parfum n'est pas une caractéristique essentielle de l'invention, mais uniquement un élément susceptible d'influer sur l'effet produit par les caractéristiques principales et par là même sur leur ajustement, l'homme du métier doit être en mesure de réajuster la composition lorsqu'il souhaite en exclure le parfum. Compte tenu du fait qu'il pourrait s'appuyer sur ses connaissances générales même pour corriger des erreurs ou combler les lacunes de la description (cf. T 171/84, "Catalyseur redox" JO OEB 1986, 95), il est également censé appliquer ses connaissances en la matière lorsqu'il tente de reproduire des exemples spécifiques ou de préparer d'autres réalisations couvertes par la revendication. Il semble que l'homme du métier ne puisse déduire ni de ses connaissances ni des instructions contenues dans le brevet suffisamment d'informations lui permettant d'exploiter la formule avec succès en pareil cas. Par exemple, il n'est fait allusion à aucun autre composant lorsque des comparaisons sont établies entre les exemples comportant un parfum et ceux qui en sont dépourvus.
6. Les mêmes considérations s'appliquent également aux essais soumis pour la première fois par les requérants avec le mémoire exposant les motifs du recours. Ces essais sont néanmoins admissibles puisqu'ils ont été présentés en quelque sorte en réponse aux critiques formulées dans la décision de la Division d'opposition à propos des premiers résultats indiqués. Cette fois, un parfum "stable en présence de chlore", c'est-à-dire n'interagissant pas avec l'agent de blanchiment après 30 heures à 50°C, a également été incorporé. Toutefois, les résultats obtenus à des températures inférieures sur une plus longue durée de stockage ont fait apparaître une perte d'activité peu souhaitable, ce qui laisse supposer que la corrélation entre les essais accélérés et ceux à long terme n'est pas aussi fiable que l'affirment les intimés.
L'argument avancé par l'intimé selon lequel, cette fois encore, le requérant n'est pas parvenu à reproduire exactement les exemples ne s'appuie sur aucune explication particulière mettant en évidence les erreurs qui auraient été commises et n'a pas non plus été plaidé lors de la procédure orale. Il s'est avéré que les requérants ont bien effectué les essais d'aptitude préliminaires ; toutefois, les résultats obtenus ont montré que le but essentiel de l'invention, à savoir l'absence de sédimentation, n'a pas pu être atteint tout au moins selon une fréquence statistiquement acceptable.
7. Même à ce stade avancé de la procédure de recours, aucune indication n'a été fournie sur la façon dont l'homme du métier aurait pu agir dans les conditions particulières aux exemples donnés pour obtenir des résultats satisfaisants. Ni les instructions figurant dans la description, ni les connaissances générales en la matière ne permettent de modifier judicieusement les conditions dans les limites des plages disponibles pour corriger les résultats. Il était connu que certaines conditions, telles que la densité et les caractéristiques superficielles de l'abrasif, ainsi que l'homogénéité de l'agent tensio-actif anionique sont susceptibles d'influer sur la stabilité, mais aucune règle n'a été clairement établie en vue d'effectuer des contrôles. Dans ces circonstances, l'homme du métier n'était pas en mesure d'exécuter l'invention sans consacrer une part excessive de son temps à des travaux d'expérimentation et de recherche pour déterminer les conditions adéquates.
L'obtention répétée de résultats mettant en évidence l'instabilité, comme la requérante en a fourni la preuve, confirme également l'impression que la formulation revendiquée entraîne un taux d'échec très élevé, ce que l'intimé n'a réfuté par aucune preuve démontrant que les résultats obtenus par le requérant ont un caractère fortuit ou que l'on peut au moins atteindre un taux de réussite acceptable en adoptant une approche aléatoire.
8. S'agissant d'apprécier si l'invention est exposée de manière suffisamment claire et complète, il convient d'admettre les tâtonnements dans une mesure raisonnable, lorsqu'il s'agit d'un domaine encore inexploré ou lorsque, comme en l'espèce, de nombreuses difficultés techniques se présentent. Toutefois, l'homme du métier doit pouvoir disposer d'indications adéquates, tirées de la description ou de ses propres connaissances générales, qui le conduiront nécessairement et directement au succès par le biais de l'évaluation des échecs initialement rencontrés ou encore par le biais d'un taux acceptable de probabilité statistique dans le cas d'expériences aléatoires.
Dans la présente espèce, la sensibilité de la composition ou son instabilité propre ou encore d'autres circonstances inexpliquées sont telles que l'homme du métier ne peut reproduire l'invention avec succès que dans un certain nombre de cas, si tant est qu'il y parvienne, compte tenu du fait que les causes de l'échec ne sont pas connues. Par conséquent, le brevet est nul dans son intégralité comme ne satisfaisant pas aux conditions énoncées à l'article 83 CBE.
9. La Chambre a l'impression, comme l'a également admis avec une certaine hésitation l'un des requérants lors de la procédure orale, que si la composition exempte de filaments avait pu être reproduite avec succès, il se serait agi effectivement d'une invention particulièrement remarquable. Compte tenu des conclusions qui précèdent, la question de l'activité inventive ou le problème de la nouveauté également mentionné à l'origine en ce qui concerne les variantes de l'objet revendiqué couronnées de succès deviennent sans objet et la Chambre n'a pas à les examiner. Pour les mêmes raisons, il n'est pas nécessaire de considérer l'étendue de la revendication principale ni le point soulevé en relation avec l'article 57 CBE.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision de la Division d'opposition est annulée.
2. Le brevet est révoqué.