T 0750/94 (Preuve de l'existence d'une publication) 01-04-1997
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1. Lorsque l'OEB examine et tranche une question de fait en fonction de ce qui paraît le plus probable, plus cette question est grave, plus les preuves invoquées doivent être convaincantes. Si la décision prise à ce sujet peut entraîner le rejet de la demande ou la révocation du brevet européen, par exemple lorsqu'il est allégué qu'il y a eu publication ou utilisation antérieure, les preuves fournies à cet égard doivent être examinées avec beaucoup de rigueur et d'esprit critique. Une demande de brevet européen ne saurait être rejetée (et un brevet européen ne saurait être révoqué) si les motifs de rejet ou de révocation (motifs de droit et de fait) ne sont pas entièrement et correctement prouvés.
2. Conformément au principe de "la libre appréciation des moyens de preuve" (cf. décision T 482/89, JO OEB 1992, 646), il convient d'apprécier à leur juste valeur les différents éléments de preuve concernant la question en litigé afin d''établir de manière fiable ce qui s'est vraisemblablement produit. En principe il ne doit être accordé qu'une valeur minime à une déclaration non signée, faite par une personne inconnue, dont le nom n'a pas été indiqué.
Date sur le papier de la publication d'un numéro d'une revue disponible sur demande chez l'éditeur (pas prouvé)
Envoyé par la poste aux abonnés - reçu par au moins un abonné avant la date de dépôt (pas prouvé) - rendu accessible au public (pas prouvé)
I. A la suite du dépôt de la demande de brevet européen en cause, la division d'examen a émis une notification dans laquelle elle objectait que le brevet ne pouvait être délivré, l'invention étant dénuée de nouveauté et d'activité inventive, compte tenu notamment de la publication antérieure de :
D1 : Applied Physics Letters, vol. 51, n 15, 12 octobre 1987, pages 1170 à 1172 (publication de l'American Institute of Physics, ci-après dénommé "AIP").
Dans sa réponse en date du 26 mars 1993, le demandeur a contesté les objections formulées par la division d'examen, en faisant valoir comme seul argument que le document D1 n'avait pas été rendu accessible au public avant le 13 octobre 1987, date de priorité de la demande. Il a fait observer que même si sur le papier la date de publication du document D1(date imprimée sur la page de couverture du numéro de la revue) était le 12 octobre 1987, il ne s'agissait là que d'une présomption comme quoi ce document avait été rendu accessible au public à cette date. Le demandeur, joignait à sa lettre des photocopies de la première page de ce numéro de la revue, tel qu'il avait été reçu par les bibliothèques de Murray Hill et Holmdel aux Etats-Unis ; ces photocopies montraient que celles-ci avaient en fait reçu le numéro en question le 15 octobre 1987 Estimant que ces preuves l'emportaient sur la preuve par présomption que constituait la date "sur le papier" de la publication dudit numéro de la revue, le demandeur en concluait que ce numéro n'avait pas été publié avant la date de priorité.
II. La division d'examen a émis alors une nouvelle notification, datée du 24 juin 1993, en y joignant une copie d'une lettre du 13 mai 1993 que la bibliothèque de l'OEB avait envoyée par fax à l'AIP à New-York, lettre dont le texte dactylographié était le suivant :
"Madame, Monsieur,
Dans notre fax du 8.4.93, nous vous avons demandé des informations sur la date de publication (jour, mois, année) du document suivant :
(D1)
Or à ce jour nous n'avons reçu aucune réponse ou communication de votre part. Nous vous prions de bien vouloir effectuer le plus rapidement possible cette vérification dans vos registres et de nous fournir les données correctes dans les meilleurs délais. Nous avons un besoin urgent de cette information."
Les mots suivants avaient été écrits à la main sur cette lettre :
"Numéro du 12 octobre - envoyé par la poste le 6.10.87".
La division d'examen précisait par ailleurs dans sa notification que "d'après les déclarations de l'éditeur, l'American Institute of Physics (cf. réponse jointe en annexe), le document D1 avait été envoyé par la poste le mardi 6 octobre 1987. Vu cette date d'envoi et compte tenu du fait que l'acheminement du courrier prenait normalement deux jours, la plupart des destinataires avaient dû recevoir le document D1 avant la date de priorité ... du 13 octobre 1987, c'est-à-dire une semaine après l'envoi de ce document .... Par conséquent, le contenu du document D1 avait bien été rendu accessible au public avant cette date de priorité".
Dans sa réponse, le demandeur a déclaré (après avoir pris de nouveaux renseignements) que le document D1 avait été envoyé au tarif réduit et que, d'après l'administration des postes des USA, "les envois postaux à tarif réduit étaient normalement remis à leur destinataires dans les quatre à sept jours à compter de la date d'envoi " (estimations pour l'année 1987). Le demandeur joignait par ailleurs à sa lettre la photocopie de la page de couverture d'un autre exemplaire du document D1, qui montrait qu'une bibliothèque du New Jersey aux USA avait reçu ce numéro le 13 octobre 1987.
Le demandeur a essentiellement fait valoir qu'il était très optimiste d'estimer à deux jours la durée d'acheminement du courrier affranchi au tarif réduit, et que les preuves concernant les dates réelles auxquelles le courrier avait été distribué montraient qu'il valait mieux compter sur une durée de sept jours. Les preuves de la date de réception réelle étaient préférables à de simples estimations, celles-ci pouvant en effet s'avérer inexactes dans le cas d'un envoi donné. En outre, les dates d'envoi consignées dans les registres n'étaient pas toujours fiables. Par conséquent, compte tenu de la valeur des preuves fournies, le document D1 n'était pas compris dans l'état de la technique.
III. Dans sa décision en date du 6 mai 1994, la division d'examen a rejeté la demande au motif que l'objet revendiqué était dénué de nouveauté et n'impliquait pas d'activité inventive, le document D1 ayant été rendu accessible au public avant la date de priorité de la demande. Les motifs invoqués par la division d'examen étaient essentiellement les suivants :
a) la division d'examen "n'avait aucune raison de douter qu'il fût possible de se procurer sur demande le document D1 auprès de l'American Institute of Physics à la date "sur le papier" de sa publication, le 12 octobre 1987" ; et
b) autre fait venant confirmer cette conclusion, le document D1 avait été envoyé le 6 octobre 1987, soit six jours avant la date "sur le papier" de sa publication. Compte tenu du délai d'acheminement du courrier qui, selon les estimations, était de quatre à sept jours à compter de la date d'envoi, il était "probable que le document D1 avait été rendu accessible au public" le 12 octobre 1987, par distribution aux abonnés.
IV. Le requérant a dûment formé un recours. Dans le mémoire où il exposait les motifs de son recours, il a fait essentiellement valoir, en se référant aux arguments invoqués et aux preuves produites devant la division d'examen, qu'il existait suffisamment de preuves permettant d'écarter la présomption selon laquelle le document D1 avait réellement été publié à la date de publication imprimée sur le numéro de la revue".
1. Le présent recours porte uniquement sur la question de savoir si, compte tenu des preuves produites, le document D1 a été rendu accessible au public avant le 13 octobre 1987.
2. Dans l'affaire T 381/87 (JO OEB 1990, 213), dans laquelle se posait la question de savoir si un numéro donné d'une revue avait été publié avant la date de priorité, la chambre s'était renseignée elle-même sur les faits, en écrivant une lettre au bibliothécaire d'une certaine bibliothèque au Royaume-Uni. La réponse du bibliothécaire revêtait une importance cruciale pour la décision à rendre dans cette affaire.
Or depuis qu'a été rendue la décision T 381/87, la Grande Chambre de recours a déclaré, dans la décision G 10/93 (JO OEB 1995, 172) relative à l'introduction, par une chambre, de nouveaux motifs de rejet de la demande dans une procédure de recours "ex parte" , que "la possibilité de prendre en considération de nouveaux motifs dans la procédure ex parte ne signifie cependant pas que les chambres de recours effectuent un examen complet de la demande au regard des conditions de brevetabilité. C'est la tâche de la division d'examen. La procédure devant les chambres de recours, y compris dans le cas d'une procédure ex parte, est principalement destinée à contrôler la décision attaquée".
3. Dans la présente affaire, la décision contestée se fondait sur le résultat de l'enquête et des recherches effectuées par la bibliothèque de l'OEB pour le compte de la division d'examen, ainsi que sur les preuves produites par le demandeur. Lorsque de telles recherches sont effectuées par la division d'examen ou pour le compte de celle-ci dans le cadre d'une affaire donnée, les résultats de ces recherches devraient toujours être versés au dossier et communiqués aux parties à la procédure. En l'espèce, dans la lettre du 13 mai 1993 retrouvée par la division d'examen et mentionnée ci-dessus au point II, lettre qui avait été envoyée à l'AIP à New-York, il est fait référence à un fax antérieur en date du 8 avril 1993, qui ne figure pas dans le dossier et qui n'avait pas apparemment été envoyé au demandeur. Le fait de ne pas avoir versé au dossier une copie du fax du 8 avril 1993 et de ne pas en avoir envoyé une copie au demandeur constitue en l'espèce un vice de procédure qui, s'il n'est pas substantiel en l'occurrence, pourrait aisément l'être dans une autre affaire.
4. Dans la décision T 381/87, la chambre avait déclaré que "Lorsqu'il s'agit d'examiner une question de fait ... (en l'occurrence la date à laquelle un document a été rendu accessible au public pour la première fois), l'OEB doit déterminer ce qui s'est passé sur la base des preuves dont il dispose et en pesant les probabilités, c'est-à-dire qu'il doit déterminer ce qui est plus probable de s'être produit que de ne s'être pas produit", ceci étant la méthode appliquée "habituellement dans ce genre de procédure".
Lorsque l'OEB examine et tranche une question de fait en fonction de ce qui paraît le plus probable, plus cette question est grave, plus les preuves invoquées doivent être convaincantes. Si la décision prise à ce sujet peut entraîner le rejet de la demande ou la révocation du brevet européen, par exemple lorsqu'il est allégué qu'il y a eu publication ou utilisation antérieure, les preuves fournies à cet égard doivent être examinées avec beaucoup de rigueur et d'esprit critique, afin par ex. qu'il puisse être vérifié si un certain fait (par ex. la publication ou l'utilisation antérieure qui a été alléguée) s'est ou non produit avant la date de dépôt ou de priorité de la demande concernée. En tout état de cause, il ne devrait être conclu aux fins de l'article 54(2) CBE qu'une publication ou une utilisation est comprise dans l'état de la technique que si les preuves produites permettent de constater, après un examen rigoureux et minutieux, qu'il y a probablement bien eu publication ou utilisation antérieure. Une demande de brevet européen ne saurait être rejetée (et un brevet européen ne saurait être révoqué) si les motifs de rejet ou de révocation ne sont pas entièrement et correctement prouvés, c'est-à-dire prouvés "de manière convaincante" (cf. décision T 472/92 (qui sera prochainement publiée au JO OEB)).
5. La décision contestée se fondait essentiellement sur la constatation suivant laquelle le document D1 était, sur demande, à la disposition du public à l'AIP le 12 octobre 1987 (cf. ci-dessus, point III a)), car cette date était la date "sur le papier" de la publication du document D1 par l'AIP, éditeur de la revue, puisqu'elle était imprimée sur la page de couverture de ce numéro de la revue. Cette constatation de fait et les motifs invoqués à cet égard faisaient partie du raisonnement et donc "des arguments de fait et de droit essentiels" qui avaient conduit au rejet de la demande. En effet, sans cette constatation de fait (à savoir que le document D1 était sur demande à la disposition du public le 12 octobre 1987), la division d'examen n'aurait pas été fondée à conclure qu'il y avait lieu de rejeter la demande au motif que l'objet revendiqué était dépourvu de nouveauté et n'impliquait pas d'activité inventive par rapport à la publication antérieure constituée par le document D1.
Or ce "motif" de rejet de la demande (au sens de l'article 113(1) CBE, tel qu'il est interprété dans la décision T 951/92, JO OEB 1996, 53, à savoir le motif constitué par "l'essentiel des arguments de droit et de fait qui justifient le rejet de la demande"), n'avait pas été communiqué au demandeur avant le prononcé de la décision qu'il attaquait à présent. Les seuls motifs de rejet qui lui avaient été communiqués avant le prononcé de cette décision faisaient intervenir les arguments de fait exposés dans la notification du 24 juin 1993, tels qu'ils sont rappelés ci-dessus au point II, à savoir que la plupart des abonnés à la revue (les "destinataires") avaient dû recevoir le document D1 avant la date de priorité". Il n'était pas avancé dans cette notification d'arguments de fait permettant de conclure que le document D1 avait dû être "disponible sur demande" chez l'éditeur avant la date de priorité, or ces arguments de fait constituaient le premier maillon de l'argumentation de droit et de fait qui avait été développée dans la décision de rejet attaquée par le requérant.
Au cours de la procédure devant la division d'examen, le demandeur n'avait donc pas eu la possibilité de prendre position sur ce "motif" de rejet de la demande, comme l'exige l'article 113(1) CBE, si bien que cette procédure était entachée d'un vice substantiel.
Toutefois, la demande ayant également été rejetée pour un motif au sujet duquel le demandeur a pu prendre position, à savoir le motif énoncé ci-dessus au point IIIb), qui va être examiné ci-après, la Chambre est d'avis qu'il ne serait pas équitable, dans ces conditions, de rembourser la taxe de recours conformément à la règle 67 CBE. D'ailleurs, le demandeur n'a pas dénoncé ce vice de procédure et n'a pas demandé le remboursement de la taxe de recours.
6. Dans son mémoire exposant les motifs du recours, le demandeur avait formulé les observations suivantes à propos de ce motif de rejet :
"... La division d'examen laisse entendre semble-t-il qu'il était possible sur demande de se procurer le document D1 auprès de l'AIP à la date "sur le papier" de la publication. Il n'existe aucune preuve confirmant que tel était bien le cas".
La Chambre considère que la date du 12 octobre 1985 imprimée sur le numéro en question de la revue (document D1) ne constitue qu'une simple preuve par présomption comme quoi ce numéro avait été, à cette date, "rendu accessible au public" au sens de l'article 54(2) CBE. Il convient d'entendre par l'expression "preuves par présomption" des éléments de preuve qui, s'ils ne sont pas contestés, peuvent être considérés comme suffisants pour permettre d'établir l'existence du fait en question. Or dans cette affaire, le demandeur a contesté cette présomption dans sa lettre du 26 mars 1993 et a à son tour produit des preuves qui l'emportent sur cette preuve par présomption.
De l'avis de la Chambre, la date imprimée sur la page de couverture peut très bien ne pas correspondre à la date de publication au sens de l'article 54(2) CBE. Ainsi, il se peut que la date imprimée se réfère simplement à la date à laquelle le contenu de la revue a pris sa forme définitive chez l'éditeur.
La Chambre convient que la date imprimée sur le numéro en question de la revue D1 pourrait constituer un indice comme quoi il était possible sur demande de se procurer ce numéro auprès de l'éditeur (l'AIP) le 12 octobre 1987, si bien qu'il y avait lieu d'effectuer d'autres recherches auprès de l'AIP pour voir s'il existait des preuves de cette publication antérieure. Comme indiqué ci-dessus au point II, la bibliothèque de l'OEB avait envoyé un fax à l'AIP, afin de s'enquérir de la date de publication (jour, mois, année) du document D1. S'il avait été réellement possible sur demande de se procurer ce numéro de la revue auprès de l'AIP le 12 octobre 1987, on aurait pu s'attendre à ce que l'AIP confirme ce fait dans sa réponse. Or, l'AIP a simplement mentionné la date d'envoi de la revue.
La Chambre estime donc comme le demandeur qu'il n'existait pas vraiment de preuve susceptible d'étayer la conclusion de la division d'examen selon laquelle le document D1 était disponible sur demande le 12 octobre 1987, et permettant par conséquent de motiver le rejet de la demande.
7. Comme indiqué au point III b) ci-dessus, la décision contestée se fondait également sur un autre motif de rejet de la demande, à savoir que le numéro en question de la revue (document D1) était probablement parvenu par la poste aux abonnés avant la date de priorité et avait ainsi été rendu accessible au public avant cette date. Il était considéré dans la décision que ce mode de publication constituait une "confirmation" du fait qu'il était possible sur demande de se procurer le document D1 auprès de l'AIP à la date du 12 octobre 1987. Or en réalité, ces deux modes possibles de publication n'ont aucun rapport. Il s'agit de savoir si d'une part il se pouvait (ou s'il ne se pouvait pas) que le document D1 ait été disponible sur demande auprès de l'AIP le 12 octobre 1987, et d'autre part s'il se pouvait (ou s'il ne se pouvait pas) qu'il ait été reçu par la poste par au moins un abonné le 12 octobre 1987 ou avant cette date. Il y a lieu d'examiner séparément ces deux modes possibles de publication, eu égard aux preuves existant dans chaque cas.
8. S'agissant de ce deuxième mode possible de publication du document D1, la question qui se pose est celle de savoir si les preuves produites permettent de conclure, au vu de ce qui paraît le plus probable, qu'au moins un abonné à la revue en question avait effectivement reçu par la poste un exemplaire du document D1 avant la date de priorité du 13 octobre 1987.
Par conséquent, il convient de peser et d'apprécier les preuves qui tendraient à montrer l'existence d'une publication antérieure par ce mode de publication. Si de telles preuves sont en soi considérées comme suffisamment convaincantes pour rendre suffisamment probable l'existence de la publication antérieure et justifier le rejet de la demande ou la révocation du brevet, il conviendra d'examiner s'il existe également des preuves contraires suffisamment convaincantes contredisant les preuves de l'existence probable d'une publication antérieure et en annulant les effets, si bien qu'en fin de compte l'existence de cette publication antérieure n'apparaît plus suffisamment probable.
Comme indiqué dans la décision T 482/89, JO OEB 1992, 646, les preuves produites doivent être appréciées suivant le principe de la "libre appréciation des moyens de preuve", ce qui signifie en particulier qu'il convient d'apprécier à leur juste valeur les différents éléments de preuve pertinents pour la question examinée. Lorsque ces preuves font intervenir une déclaration orale ou écrite sur ce qui s'est produit dans le passé, l'application du principe susmentionné ne signifie pas qu'il y a lieu d'admettre la véracité d'une telle déclaration, tant qu'elle n'est pas directement contredite par une autre déclaration à ce même sujet. Il y a lieu d'apprécier les chances pour que cette déclaration soit exacte en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, et notamment de l'existence d'autres preuves indépendantes corroborant cette déclaration, par exemple les inscriptions portées dans des registres tenus au moment des faits. Si la déclaration porte sur un fait qui est censé s'être produit quelques années auparavant, il ne doit pas obligatoirement être considéré que cette déclaration permet par elle-même d'établir l'existence des faits en question, notamment lorsqu'elle n'est pas corroborée par une preuve indépendante.
Lorsqu'il se pose dans la procédure devant l'OEB la question de savoir si tel ou tel fait (par exemple une publication ou une utilisation antérieure) s'est produit ou non dans le passé (par exemple avant une date donnée), les preuves de l'existence de cette publication ou de cette utilisation peuvent être par exemple des inscriptions portées dans des registres tenus au moment des faits, ou des déclarations fondées sur les souvenirs qu'ont gardés un ou plusieurs individus ayant eu personnellement connaissance de ce qui s'est passé, ou bien il peut s'agir d'une combinaison de ces deux types de preuve. En tout état de cause, ce qui doit toujours être examiné en premier lieu, c'est la fiabilité de la source et donc la force probante de cette preuve. Dans le cas d'une inscription portée dans un registre, par exemple, la question à se poser est celle-ci : quel est le degré de fiabilité, en tant que source d'information, de ce registre et, dans le cas de déclarations personnelles : dans quelle mesure peut-on avoir foi en l'auteur de cette déclaration et se fier à ses souvenirs ?
Si une déclaration émanant d'une personne fiable, fondée sur les souvenirs qu'a gardés celle-ci, est corroborée par les inscriptions portées dans un registre fiable tenu au moment des faits, on peut accorder une valeur importante à une telle preuve. A l'inverse, la non-fiabilité et l'absence de toute preuve venant corroborer cette déclaration réduiront en conséquence la valeur à attacher à une telle preuve.
9. Or en l'espèce, les seuls éléments de preuve qui donneraient à penser qu'au moins un abonné avait reçu un exemplaire du document D1 le 12 octobre 1987 ou avant cette date sont les suivants :
i) La copie de la lettre du 13 mai 1993 envoyée par fax à l'AIP (voir point II supra) avait été retournée par l'AIP à l'OEB avec la mention manuscrite "envoyé par la poste le 6/10/87".
ii) L'administration des postes compétente avait estimé qu'en 1987 le courrier à tarif réduit était distribué dans un délai de quatre à sept jours.
Dans le cas de la preuve citée ci-dessus au point i), l'on pourrait certes conclure de la mention manuscrite portée sur la copie du fax que le numéro D1 de la revue avait pu être envoyé le 6 octobre 1987 par l'AIP à ses abonnés, mais il n'est pas précisé sur cette copie qui, à l'AIP, était l'auteur de cette mention, et par conséquent il n'est pas possible de savoir quelle valeur on doit reconnaître à ce témoignage, et quelle est sa crédibilité. Il n'est pas indiqué non plus sur cette copie sur quelle base cette information avait été donnée - par exemple sur la base d'inscriptions portées dans des registres tenus par l'AIP. Il se peut donc que cette information qui avait été donnée ne soit qu'une simple supposition hasardée par un employé inconnu de l'AIP au sujet de ce qui avait pu se produire six ans auparavant. De l'avis de la Chambre, une telle preuve n'a en soi qu'une valeur minime, et une demande de brevet européen ne saurait en aucun cas être rejetée sur cette base.
La Chambre estime qu'en application du principe de la libre appréciation des moyens de preuve, il convient, dans la procédure devant l'OEB, d'attacher une valeur minimale à une déclaration non signée, faite par une personne inconnue, dont le nom n'a pas été indiqué. En l'espèce, il s'agissait là de la seule preuve produite susceptible de constituer le maillon essentiel d'une argumentation fondée sur des faits qui pouvaient conduire à faire reconnaître l'existence d'une publication antérieure. En tout état de cause, une telle preuve ne peut en soi conduire véritablement à une constatation de fait sur la base de laquelle seraient prononcés le rejet d'une demande ou la révocation d'un brevet européen.
De toute façon, comme l'a fait observer le requérant, l'on peut se demander ce que signifient exactement les mots "envoyé par la poste le 6/10/87" : ils peuvent également vouloir dire que les numéros avaient été envoyés à un centre de distribution chargé de les transmettre ensuite aux différents abonnés.
Quant aux preuves citées ci-dessus au point ii), il est clair que l'estimation par la poste de la durée d'acheminement du courrier ne signifie rien, à moins que la date d'envoi ait pu être déterminée avec une quasi-certitude, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. En tout état de cause, l'estimation six années après par la poste des délais d'acheminement sur une période d'un an (1987) et cela pour une zone géographique non précisée, est là encore une preuve d'une valeur en soi tout à fait négligeable lorsqu'il s'agit de justifier le rejet d'une demande de brevet européen.
La Chambre estime par conséquent qu'à elles deux, les preuves i) et ii) sont de toute évidence insuffisantes pour justifier le rejet de la demande.
10. De surcroît, si, contrairement à ce qu'estime la Chambre, l'on devait juger sur la base des preuves i) et ii) en tant que telles qu'il existait certaines chances pour qu'un abonné ait reçu un exemplaire du document D1 avant le 13 octobre 1987, il n'en demeure pas moins que les preuves produites à l'inverse par le demandeur au sujet des dates réelles de réception du document D1 par les abonnés (deux exemplaires reçus le 15 octobre 1987, un exemplaire reçu le 13 octobre 1987) peuvent contrebalancer les preuves i) et ii) (cf. point 7 ci-dessus).
11. De l'avis de la Chambre, si l'on examine toutes les preuves existantes (y compris celles relatives aux dates réelles de réception du document D1), il se peut certainement qu'au moins un abonné ait reçu le document D1 avant le 13 octobre 1987, mais il se peut aussi bien qu'aucun n'ait reçu ce document avant cette date de priorité. Les preuves produites ne permettent pas de considérer qu'il paraît suffisamment probable qu'un abonné avait reçu le document D1 avant la date de priorité, et donc qu'il était justifié sur cette base de rejeter la demande.
12. Il peut être intéressant d'établir une comparaison entre les preuves produites dans l'affaire T 381/87 (qui avaient en l'occurrence permis de conclure à l'existence d'une publication antérieure) et celles qui ont été produites dans la présente espèce.
Dans la décision T 381/87, le bibliothécaire de la Royal Society of Chemistry à Londres avait déclaré dans une première lettre signée de sa main, datée du 25 mars 1988, que le document A "avait été placé dans les rayons de la bibliothèque de la Royal Society le 26 novembre 1981". En réponse à une demande de renseignements qui lui avait été adressée au nom du requérant, il avait écrit et signé une autre lettre en joignant un exemplaire d'un extrait du registre tenu à l'époque par la bibliothèque, qui montrait que le document A avait été reçu et classé par la bibliothèque le 26 novembre 1981, et qu'il aurait donc dû normalement avoir été placé ce même jour dans les rayons de la bibliothèque.
Dans la présente affaire en revanche, la seule preuve de la date d'envoi est une déclaration non signée d'une personne qui ne peut être identifiée, déclaration qui n'est corroborée ni par un extrait d'un registre de cette époque ni par une quelconque autre preuve.
13. Il se peut également qu'une enquête plus approfondie permette d'établir que le public pouvait sur demande se procurer le document D1 auprès de l'AIP à compter du 12 octobre 1987 (cf, ci-dessus, points 4 et 5) ou qu'un abonné au moins avait reçu par la poste un exemplaire du document D1, le 12 octobre 1987 ou même avant cette date. Toutefois, comme la Grande Chambre de recours l'a déclaré dans la décision G 10/93 (cf. point 2 supra), la procédure devant les chambres de recours "est principalement destinée à contrôler la décision attaquée". La Chambre pourrait certes renvoyer l'affaire à la division d'examen, à charge pour celle-ci d'effectuer un complément d'enquête, mais il semble peu probable que la division d'examen puisse à dix ans de distance recueillir d'autres preuves fiables sur les circonstances dans lesquelles s'était effectuée à l'époque la publication du document en question.
En conséquence, la Chambre a décidé de faire droit au présent recours.
Bien entendu il existe toujours la possibilité pour un opposant de montrer après la délivrance que le document D1 avait en fait été rendu accessible au public avant la date de priorité.
14. L'affaire est donc renvoyée à la division d'examen, à charge pour celle-ci de poursuivre la procédure et d'examiner si la demande satisfait aux conditions requises par la CBE, étant entendu que le document D1 n'est pas compris dans l'état de la technique.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision de la division d'examen est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la première instance, à charge pour celle-ci de poursuivre la procédure.