G 0001/21 (Procédure orale par visioconférence) 16-07-2021
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Recevabilité de la saisine - (oui)
Procédure orale par visioconférence en situation d'urgence générale
Rôle du consentement des parties
Exposé des faits et conclusions
I. Pendant la procédure orale du 8 février 2021, dans l'affaire T 1807/15, le président de la chambre de recours 3.5.02 ("la chambre") a informé les parties que la chambre soumettrait une question à la Grande Chambre de recours en vertu de l'article 112 CBE.
II. Par décision intermédiaire du 12 mars 2021, la chambre a soumis la question suivante à la Grande Chambre de recours :
La tenue d'une procédure orale sous forme de visioconférence est-elle compatible avec le droit à une procédure orale, tel qu'il est ancré à l'article 116(1) CBE, si les parties à la procédure n'ont pas toutes consenti à la tenue de cette procédure orale sous forme de visioconférence ?
III. Concernant la procédure de recours dans l'affaire T 1807/15, il convient de noter ce qui suit.
IV. Le recours a été formé par l'opposant contre la décision de la division d'opposition de maintenir le brevet européen n**(o) 1609239 sous une forme modifiée. Les parties ont été citées à une procédure orale devant la chambre prévue pour le 3 juin 2020. L'intimé/titulaire du brevet a demandé le report de la procédure orale en raison de la pandémie de COVID-19. La procédure orale a alors été reportée au 8 février 2021. L'intimé a demandé un nouveau report et indiqué que l'affaire ne se prêtait pas à la visioconférence, en particulier parce qu'il y aurait un service d'interprétation simultanée pendant la procédure. Le requérant a exprimé son accord avec l'intimé. Bien que les parties n'aient pas donné leur consentement, la chambre a maintenu la citation à la procédure orale prévue pour le 8 février 2021 sous forme de visioconférence.
V. Le requérant avait demandé par écrit que la décision attaquée soit annulée et que le brevet soit révoqué. Pendant la procédure orale, le requérant a en outre demandé, à titre subsidiaire, que soit soumise à la Grande Chambre de recours la question de savoir si une procédure orale au sens de l'article 116 CBE peut être remplacée par une visioconférence sans le consentement des parties. D'après le procès-verbal de la procédure orale, seule la requête subsidiaire a été traitée.
VI. Afin d'éviter tout vice de procédure, la chambre a considéré qu'il était raisonnable de chercher à clarifier la situation juridique en soumettant une question de droit à la Grande Chambre de recours. D'après ce qu'a compris la Grande Chambre de recours, la chambre citera de nouveau les parties à une procédure orale pour discuter de la requête principale une fois qu'elle aura reçu la réponse de la Grande Chambre de recours, et la forme dans laquelle cette procédure orale aura lieu dépendra de cette réponse. C'est ce qui ressort du point 2.3 des motifs de la décision de saisine : "[La chambre] ne voit aucune raison de ne pas utiliser la visioconférence, pour autant que la Grande Chambre de recours considère que ce format est conforme à l'article 116 CBE."
VII. Après la date de la procédure orale devant la chambre, à laquelle il a été annoncé qu'il serait procédé à une saisine, le requérant a retiré sa requête subsidiaire en saisine. La chambre a néanmoins soumis la question précitée à la Grande Chambre de recours dans sa décision écrite.
VIII. Par ordonnance du 17 mars 2021, le Président de la Grande Chambre de recours a déterminé la composition de la formation appelée à statuer sur la saisine sous le numéro de référence G 1/21. À la même date, la Grande Chambre de recours a invité les parties dans la procédure de recours T 1807/15 et le Président de l'Office européen des brevets (OEB) à prendre position au sujet de la question soumise et, par communication en date du 24 mars 2021, elle a invité le public à soumettre des observations écrites concernant la question soumise.
IX. Le requérant a fait valoir que, si une visioconférence peut, dans certains cas, être un format acceptable pour une procédure orale, son utilisation doit toujours être subordonnée au consentement des parties. Le Président de l'OEB a indiqué dans ses observations que la visioconférence est un format équivalent à la procédure orale en présentiel, qui, ces derniers temps, s'est révélé être un moyen efficace pour faire face aux difficultés liées à la pandémie de COVID-19. Il s'est dit très favorable à l'approche consistant à laisser le choix du format de la procédure orale à l'OEB ou aux chambres de recours, selon le cas, et non aux parties. L'intimé dans le cadre de la procédure de recours n'a pas produit de moyens écrits concernant la saisine et n'a participé à aucune des procédures orales devant la Grande Chambre de recours.
X. La saisine a suscité un vif intérêt chez les tiers. Plus de cinquante observations d'amici curiae et de tiers se référant à l'article 115 CBE ont été reçues de la part de diverses organisations, d'entreprises, de cabinets de conseils en brevets et de particuliers. Dans ces observations, la majorité des tiers ont préconisé une réponse négative à la question soumise, même si beaucoup ont avancé que, dans les circonstances de la pandémie de COVID-19, la tenue d'une procédure orale par visioconférence sans le consentement des parties pourrait être justifiée. Il a également été avancé que les mesures prises par l'OEB et les chambres de recours en réponse à la pandémie ne devaient pas être prolongées une fois la pandémie finie et ne devaient donc pas constituer une "nouvelle normalité". Dans une minorité d'observations, la procédure orale tenue par visioconférence a été considérée comme un format utile pour remplacer les procédures orales en présentiel. Selon certaines observations, le choix de ce format ne doit pas dépendre du consentement de l'une ou de l'ensemble des parties.
XI. Dans sa lettre datée du 27 avril 2021, le requérant a soulevé une objection au titre de l'article 24(3) CBE contre le Président de la Grande Chambre de recours et contre deux membres de la Grande Chambre de recours pour soupçon de partialité. L'objection était fondée sur la participation de ceux-ci à l'élaboration de l'article 15bis du règlement de procédure des chambres de recours (RPCR). Cette disposition, intitulée "Procédures orales tenues par visioconférence", a été proposée par le Président des chambres de recours, arrêtée par le Conseil des chambres de recours et approuvée par le Conseil d'administration lors de sa session du 23 mars 2021. Elle est entrée en vigueur le 1**(er) avril 2021. Un autre membre a informé la Grande Chambre de recours, au titre de l'article 24(2) CBE, de sa participation à l'élaboration de l'article 15bis RPCR et a demandé à la Grande Chambre de recours de décider s'il pouvait continuer de participer à l'affaire de saisine. Les objections ont été jugées recevables et, aux fins de leur traitement, la formation appelée à statuer sur l'affaire G 1/21 a été recomposée, les membres susmentionnés étant remplacés par leurs suppléants.
XII. Par décision intermédiaire du 17 mai 2021, la Grande Chambre de recours a décidé, conformément à l'article 24(4) CBE, que le Président de la Grande Chambre de recours et le membre qui avait averti la Grande Chambre de recours au titre de l'article 24(2) CBE ne devaient pas participer au règlement de l'affaire de saisine. La composition de la Grande Chambre de recours a été modifiée en conséquence par ordonnance en date du 20 mai 2021 prise par le Président de la Grande Chambre de recours dans l'affaire G 1/21.
XIII. Par ordonnance du 17 mars 2021, les parties avaient été citées à comparaître, et le Président de l'OEB invité à assister, à la procédure orale prévue pour le 28 mai 2021. Par nouvelle lettre en date du 24 mai 2021, le requérant a soulevé quatre objections contre les membres internes de la Grande Chambre de recours, dans sa nouvelle composition, pour soupçon de partialité et d'intérêt personnel, et a déposé dix requêtes d'ordre procédural, numérotées de 1 à 11 (il n'y avait pas de requête n**(o) 10).
XIV. Par notification en date du 27 mai 2021 (mais envoyée le 26 mai 2021), la Grande Chambre de recours a informé le requérant qu'elle avait décidé de rejeter la première requête d'ordre procédural visant à reporter la procédure orale prévue pour le 28 mai 2021 et de faire droit à la deuxième requête d'ordre procédural tendant à recourir à la procédure orale concernant les quatre nouvelles objections, au moins dans la mesure où la question de leur recevabilité serait examinée au cours de la procédure orale tenue le 28 mai 2021.
XV. Pendant la procédure orale tenue le 28 mai 2021, des discussions ont eu lieu avec le requérant concernant la recevabilité des quatre nouvelles objections et concernant ses requêtes d'ordre procédural 3 à 11 dans le cadre d'une session non publique. Les décisions relatives à la recevabilité des objections et aux requêtes d'ordre procédural ont été prononcées pendant la session publique. La Grande Chambre de recours a décidé de rejeter les quatre nouvelles objections comme irrecevables. Elle a également rejeté les requêtes d'ordre procédural 3 à 11. Les motifs de ces décisions ont été exposés dans la deuxième décision intermédiaire de la Grande Chambre de recours, qui a été rendue le 28 juin 2021.
XVI. Pendant la procédure orale, le requérant s'est plaint du fait qu'on ne lui avait pas envoyé les observations écrites du Président de l'OEB suffisamment à l'avance pour lui permettre de prendre position à leur sujet. Il a déclaré que son droit, prévu à l'article 9 du règlement de procédure de la Grande Chambre de recours, de prendre position au sujet de ces observations avait ainsi été violé.
XVII. Après une discussion concernant cette question, la Grande Chambre de recours a décidé d'accorder au requérant plus de temps pour prendre position au sujet des observations du Président de l'OEB et a reporté la discussion relative à la question soumise. Il a été convenu que le délai pour présenter ces observations serait le 25 juin 2021 et que la procédure orale serait reportée à début juillet 2021.
XVIII. Les parties ont alors été citées à comparaître à une nouvelle procédure orale prévue pour le 2 juillet 2021, à laquelle le Président de l'OEB a également été invité. Le requérant a soumis sa prise de position au sujet des observations du Président de l'OEB le 25 juin 2021.
XIX. Par une autre lettre en date du 30 juin 2021, le requérant a présenté une requête adressée au Président de la Grande Chambre de recours visant à faire corriger la composition de la formation appelée à statuer sur la saisine G 1/21. Il a formulé cette lettre en réaction au rejet, par la Grande Chambre de recours, de ses requêtes d'ordre procédural 7 et 8. L'objet de ces requêtes était de :
7. remplacer les membres de la formation devant être remplacés, M. Josefsson et I. Beckedorf, par des suppléants conformément à l'article 2(1)b) du plan de répartition des affaires de la Grande Chambre de recours,
8. désigner le suppléant du Président conformément à l'article 2(2) du plan de répartition des affaires de la Grande Chambre de recours.
XX. La Grande Chambre de recours avait rejeté ces requêtes dans sa deuxième décision intermédiaire (cf. point XV ci-dessus), car elle avait retenu que la compétence pour corriger la composition d'une formation instruisant une saisine introduite au titre de l'article 112 CBE appartient au Président de la Grande Chambre de recours (cf. points 34 à 36 des motifs).
XXI. Pendant la procédure orale tenue le 2 juillet 2021, le requérant a de nouveau abordé la question de la composition de la formation appelée à statuer sur l'affaire G 1/21. Bien qu'ayant compris que la formation elle-même n'était pas compétente pour modifier la composition, il a avancé que, tant que la composition irrégulière n'était pas corrigée, la procédure ne devrait pas être poursuivie. Il a demandé expressément que la Grande Chambre de recours se déclare incompétente pour statuer sur la saisine en raison de sa composition irrégulière. Il a également demandé le report de la procédure orale jusqu'à ce que la formation soit régulièrement composée. Après examen de ces deux requêtes et délibération de la Grande Chambre de recours à leur sujet, le Président de la Grande Chambre de recours a annoncé que la Grande Chambre de recours avait décidé de les rejeter. Les motifs de ce rejet sont exposés aux points 1 à 4 ci-dessous.
XXII. La partie restante de la procédure orale tenue le 2 juillet 2021 a été consacrée à l'examen de la question soumise, avec le requérant et les représentants du Président de l'OEB. Après clôture des débats et délibération de la Grande Chambre de recours, le Président de la Grande Chambre de recours a annoncé que la procédure se poursuivrait par écrit.
XXIII. Par notification en date du 13 juillet 2021, le Président de la Grande Chambre de recours a informé le requérant qu'il avait décidé de rejeter sa requête visant à faire modifier la composition de la formation statuant sur l'affaire G 1/21.
XXIV. Le 16 juillet 2021, la Grande Chambre de recours a publié le dispositif de la présente décision
Motifs de la décision
A. Questions de procédure
1. Pendant la procédure orale tenue le 2 juillet 2021, le requérant a demandé que la Grande Chambre de recours se déclare incompétente pour statuer sur la saisine en raison de la composition irrégulière de la formation. Il a également demandé le report de la procédure orale jusqu'à ce que la composition soit corrigée par le Président de la Grande Chambre de recours.
2. La première requête du requérant est fondée sur l'hypothèse selon laquelle la conséquence juridique d'une composition irrégulière est que la formation composée irrégulièrement n'a pas compétence. Cependant, il convient de noter que la CBE ne prévoit nulle part qu'une formation constituée par le Président de la Grande Chambre de recours puisse se déclarer elle-même incompétente en raison de sa composition. Ne serait-ce que pour cette raison, il ne peut pas être fait droit à la requête.
3. De plus, comme déjà indiqué dans sa deuxième décision intermédiaire, rendue le 28 juin 2021, la Grande Chambre de recours n'est pas compétente pour modifier sa composition autrement que par le mécanisme prévu à l'article 24 CBE. Si la composition de la Grande Chambre de recours devait être corrigée, il appartiendrait au Président de la Grande Chambre de recours d'effectuer cette correction. Pour cette raison, la Grande Chambre de recours s'est également abstenue, dans sa deuxième décision intermédiaire, de commenter l'allégation selon laquelle la formation instruisant l'affaire G 1/21 était composée de manière irrégulière. La Grande Chambre de recours considère que, comme elle n'est pas compétente pour modifier sa composition, elle ne l'est pas non plus pour se déclarer incompétente aux fins de statuer sur la saisine en raison d'un problème allégué concernant sa composition.
4. En demandant le report de la procédure orale jusqu'à ce que la composition de la formation soit corrigée, le requérant a demandé à la Grande Chambre de recours de suspendre la procédure de saisine jusqu'à ce que le Président de la Grande Chambre de recours ait rendu une décision (favorable) concernant sa requête visant la recomposition de l'actuelle formation. Concernant cette requête, la Grande Chambre de recours a dû mettre en balance les intérêts en présence. D'un côté, le requérant a un intérêt à ce que la saisine soit tranchée par des juges désignés de manière régulière. D'un autre côté, dans l'intérêt de la sécurité juridique, le processus décisionnel dans cette saisine ne doit pas être inutilement retardé. La Grande Chambre de recours a apprécié les arguments du requérant et conclu qu'ils n'étaient pas suffisamment convaincants pour justifier de suspendre la procédure jusqu'à ce qu'une décision soit prise concernant la requête. Elle a en outre considéré que la requête visait à obtenir le report de la procédure jusqu'à ce que la composition de la formation soit modifiée de manière à être régulière aux yeux du requérant. Or, c'eût été une erreur de subordonner la poursuite de cette procédure à l'approbation, par le requérant, de la décision relative à sa requête.
B. La procédure devant la chambre
5. Comme indiqué au point IV, la procédure orale dans le cadre du recours T 1807/15 était d'abord prévue pour le 3 juin 2020, mais a été reportée, à la demande de l'intimé, à la nouvelle date du 8 février 2021. Le 5 mai 2020, l'intimé, une entreprise basée en Suisse et représentée dans le cadre de la procédure de recours par un cabinet d'avocats basé au Royaume-Uni, avait demandé que la procédure orale soit reportée jusqu'à ce que la pandémie de COVID-19 prenne fin. Dans sa requête, il a également indiqué considérer que l'affaire concernée ne se prêtait pas à une procédure orale par visioconférence parce qu'il y aurait recours à l'interprétation simultanée et que le mandataire et son client participeraient à partir de lieux différents et auraient donc des difficultés à se concerter pendant la procédure orale.
6. Au moment où la décision de report a été prise, les chambres de recours avaient commencé à organiser des procédures orales par visioconférence, mais uniquement lorsque les parties y avaient consenti (voir les communications des chambres de recours publiées sur le site Internet de l'OEB à compter du 6 mai 2020). Ce fut également le cas pendant le reste de l'année 2020. Fin 2020, la pandémie de COVID-19 n'était pas terminée. Par conséquent, il existait encore des restrictions de déplacement en Europe et les restrictions concernant l'entrée de personnes externes dans les locaux de l'OEB étaient également encore en vigueur.
7. Par courrier du 8 janvier 2021, l'intimé a demandé le report de la procédure orale prévue pour le 8 février 2021, en se référant de nouveau à la pandémie de COVID-19 et aux restrictions de déplacement. Il a en outre exprimé le point de vue selon lequel le recours ne se prêtait pas à une procédure orale par visioconférence. Le requérant a dit son accord avec ce point de vue.
8. Entre-temps, le 15 décembre 2020, avait été publiée sur le site Internet de l'OEB une communication des chambres de recours intitulée "Procédures orales devant les chambres de recours - poursuite des mesures adoptées en raison de la pandémie de coronavirus (COVID-19) et révision de la pratique relative aux procédures orales tenues par visioconférence" (cf. epo.org/law-practice/case-law-appeals/communications/2020/20201215_fr.html). Cette communication contenait le passage suivant : "À compter du 1**(er) janvier 2021, les chambres de recours pourront organiser des procédures orales sous forme de visioconférence même sans l'accord des parties, comme indiqué clairement dans le nouvel article 15bis RPCR arrêté par le Conseil des chambres de recours. Étant donné que cette nouvelle disposition ne fait que clarifier une possibilité existante, les chambres de recours pourront adapter leur pratique avant l'entrée en vigueur de cet article, en renonçant à recueillir l'accord des parties concernées."
9. La chambre a rejeté la demande de report et maintenu la date pour la procédure orale. Elle a toutefois décidé de changer de format et de recourir à la visioconférence. Pendant la procédure orale, le requérant a déposé la requête suivante par courrier électronique : "Hiermit stellen wir den Hilfsantrag, der Großen Beschwerdekammer die Frage zur Entscheidung vorzulegen, ob eine mündliche Verhandlung nach Art. 116 EPC durch eine Videokonferenz ersetzt werden kann, wenn die Parteien dem nicht zustimmen." (Par la présente requête subsidiaire, nous demandons que soit soumise pour décision à la Grande Chambre de recours la question de savoir si une procédure orale au sens de l'article 116 CBE peut être remplacée par une visioconférence sans le consentement des parties.)
10. Cette requête du requérant a été examinée pendant la procédure orale et la chambre a alors annoncé qu'elle soumettrait une question de droit à la Grande Chambre de recours. En définitive, le requérant a retiré sa requête, le 8 mars 2021. Par sa décision intermédiaire du 12 mars 2021, la chambre a soumis la question suivante à la Grande Chambre de recours :
"La tenue d'une procédure orale sous forme de visioconférence est-elle compatible avec le droit à une procédure orale, tel qu'il est ancré à l'article 116(1) CBE, si les parties à la procédure n'ont pas toutes consenti à la tenue de cette procédure orale sous forme de visioconférence ?"
C. Question soumise
C.1 Recevabilité
11. Conformément à l'article 112 CBE, afin d'assurer une application uniforme du droit ou si une question de droit d'importance fondamentale se pose, une chambre de recours saisit la Grande Chambre de recours lorsqu'elle estime qu'une décision est nécessaire à ces fins.
12. La Grande Chambre de recours considère que ces conditions sont remplies dans la présente affaire. Dans certaines décisions des chambres de recours, bien que peu nombreuses, il est estimé que les procédures orales tenues par visioconférence devant les chambres de recours constituent des procédures orales au sens de l'article 116 CBE (cf. T 1378/16, T 2068/14 et T 2320/16) et que le fait de consentir à une procédure orale par visioconférence n'équivaut pas à renoncer à son droit à une procédure orale. La chambre à l'origine de la saisine se demande s'il en est ainsi. La saisine peut donc servir à assurer une application uniforme du droit.
13. La question de droit qui se pose en l'espèce revêt également une importance fondamentale, et ce pour deux raisons. Premièrement, la question de savoir si une pratique des chambres de recours est compatible avec une disposition de la CBE relative au droit des parties d'être entendues dans le cadre d'une procédure orale revêt en soi une importance fondamentale. Deuxièmement, une procédure orale est tenue dans la plupart des procédures de recours et la question est donc pertinente pour un grand nombre d'affaires. La Grande Chambre de recours considère également qu'il est nécessaire d'apporter une réponse à la question en vue d'une décision que la chambre est appelée à prendre, à savoir déterminer si elle citera les parties à une nouvelle procédure orale en présentiel ou sous forme de visioconférence pour traiter la requête principale du requérant.
C.2 Portée de la saisine
14. En ce qui concerne la portée de la saisine, la Grande Chambre de recours estime qu'à deux égards, la question est formulée plus largement qu'il n'est nécessaire pour la décision que la chambre est appelée à prendre. Premièrement, dans le recours T 1807/15, la question est de savoir si la chambre peut citer les parties à une procédure orale par visioconférence sans leur consentement, et non de savoir si une instance du premier degré peut le faire. Deuxièmement, comme il ressort clairement de l'historique de l'affaire dont est saisie la chambre, la question de la procédure orale par visioconférence et du rôle de l'accord ou consentement des parties s'est posée dans le contexte et en raison de la pandémie de COVID-19. Elle s'est posée car, au moment concerné, il n'était pas possible, ou du moins pas désirable dans une perspective de santé publique, d'organiser une procédure orale en présentiel, étant donné qu'il aurait alors fallu que les parties se rendent dans les locaux des chambres de recours à Haar et que les membres de la chambre soient physiquement présents dans les locaux.
15. La chambre a donc dû choisir entre citer les parties à une procédure orale tenue par visioconférence ou reporter la procédure orale jusqu'à ce qu'elle puisse être organisée de nouveau en présentiel. Ce choix est fondamentalement différent du choix entre organiser une procédure orale en présentiel ou par visioconférence.
16. Par conséquent, à cet égard, la Grande Chambre de recours considère justifié de limiter la portée de la saisine aux procédures orales devant les chambres de recours et de prendre en compte le contexte spécifique de la saisine, à savoir la pandémie de COVID-19. Cette position est conforme aux décisions antérieures G 1/19 (JO OEB 2021, A77) et G 2/19 (JO OEB 2020, A87), dans lesquelles la Grande Chambre de recours a estimé qu'une question soumise peut rester sans réponse si elle va au-delà d'un véritable besoin de clarification. Voir également à cet égard la Jurisprudence des chambres de recours de l'OEB, 9**(e) édition 2019, V.B.2.3.3 "Pertinence de la question soumise pour l'affaire sous-jacente".
17. À un autre égard, la chambre a limité sa saisine à la question de savoir si la tenue d'une procédure orale par visioconférence sans le consentement des parties est compatible avec l'article 116 CBE. Selon la Grande Chambre de recours, il ressort du raisonnement de la chambre que celle-ci n'a pas considéré nécessaire d'aborder la question de la compatibilité avec l'article 113(1) CBE, alors même que le requérant avait fait part de ses préoccupations concernant le droit d'être entendu tel que prévu dans cette disposition. Au point 2.3 des motifs de sa décision, la chambre a indiqué qu'elle "ne voit aucune raison de ne pas utiliser la visioconférence, pour autant que la Grande Chambre de recours considère que ce format est conforme à l'article 116 CBE." De plus, au point 3.7 des motifs, "[d]ans ce contexte, la Chambre souhaite faire observer que c'est à dessein qu'elle n'a pas inclus la question de la compatibilité avec l'article 113(1) CBE dans la question à soumettre, car elle considère que la question de la compatibilité avec l'article 116(1) CBE prime. Selon elle, le droit prévu à l'article 113(1) CBE couvre le droit d'être entendu dans le cadre de procédures orales qui satisfont aux exigences prévues à l'article 116 CBE." La Grande Chambre de recours comprend ces passages comme suit : si la Grande Chambre de recours conclut que la visioconférence est un format de procédure orale qui n'est pas exclu par l'article 116 CBE, il ne se posera aucune question concernant le droit d'être entendu. C'est ce qui ressort du point 4.1.3 des motifs : "D'après la Chambre, le fait d'organiser une visioconférence à l'aide d'une technologie qui fonctionne généralement bien est compatible à la fois avec le droit d'être entendu et avec le droit à un procès équitable."
18. Dans les moyens produits par le requérant et dans de nombreuses observations d'amici curiae, il a été avancé qu'une procédure orale tenue sous forme de visioconférence n'équivaut pas à une procédure orale en présentiel, en ce sens que ce format limite inévitablement l'interaction entre les parties et la chambre, ainsi que la possibilité pour les parties de présenter leurs arguments. La préoccupation expressément formulée à cet égard était que la tenue de la procédure orale sous forme de visioconférence enfreint le droit d'être entendu et le droit à un procès équitable.
19. La Grande Chambre de recours considère qu'afin de clarifier le cadre juridique pour la tenue de procédures orales sous forme de visioconférence, il convient également de prendre en considération la compatibilité de ce format avec l'article 113 CBE. Cela est d'autant plus vrai que le droit d'être entendu est le principe fondamental alors que le droit à une procédure orale est une expression de ce principe.
20. Sur la base des considérations qui précèdent, la Grande Chambre de recours a reformulé la question soumise comme suit :
Lors d'une situation d'urgence générale qui compromet la possibilité pour les parties d'assister à une procédure orale en présentiel dans les locaux de l'OEB, la tenue de cette procédure orale devant une chambre de recours sous forme de visioconférence est-elle compatible avec la CBE si les parties n'ont pas toutes consenti à ce que la procédure orale se déroule sous forme de visioconférence ?
C.3 Interprétation de l'article 116 CBE
21. La première question à trancher est de savoir si l'audition des parties au moyen d'une visioconférence peut être considérée comme une procédure orale au sens de l'article 116 CBE. Il convient pour cela d'interpréter l'article 116(1) CBE, qui dispose ce qui suit : "Il est recouru à la procédure orale soit d'office lorsque l'Office européen des brevets le juge utile, soit sur requête d'une partie à la procédure. Toutefois, l'Office européen des brevets peut rejeter une requête tendant à recourir à nouveau à la procédure orale devant la même instance pour autant que les parties ainsi que les faits de la cause soient les mêmes."
22. Conformément à l'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. La Grande Chambre de recours a appliqué de manière constante les dispositions de cette convention pour interpréter la CBE par le passé et en fera de même dans la présente affaire.
23. L'article 116(1) CBE ne semble pas concerner en premier lieu la question de savoir ce qui constitue une procédure orale. Il aborde plutôt celle de savoir quand une procédure orale, par opposition à la procédure écrite, doit avoir lieu et à l'initiative de qui. Le terme "procédure orale" lui-même n'est pas défini plus avant dans le texte de l'article. Comme l'a reconnu la chambre (cf. point 5.4.1 des motifs), le terme est en soi très général et permet une interprétation large. La Grande Chambre de recours convient que le sens ordinaire du terme est très général. La chambre fait également observer au point 5.4.1 que la CBE ne contient pas de disposition explicite concernant le format de la procédure orale. La Grande Chambre de recours n'a pas non plus connaissance d'une telle disposition.
24. La chambre poursuit en indiquant que, pour trouver le sens "véritable" du terme "procédure orale", il convient de garder à l'esprit que lors de l'élaboration et de la conclusion de la CBE, il n'existait aucune option technique permettant de fournir une solution de rechange aux procédures orales traditionnelles en présentiel. Par conséquent, lu dans son contexte, le terme "procédure orale" désignait inévitablement la procédure orale en présentiel. Il n'était donc pas nécessaire de définir le format de la procédure orale et, selon la chambre, toute tentative d'interprétation du terme comme englobant également d'autres formats s'appuie sur des considérations rétrospectives. La chambre a également cité la règle 71(2) CBE 1973 et la règle 115(2) CBE à l'appui de son point de vue selon lequel le législateur n'avait à l'esprit que les procédures orales en présentiel.
25. La Grande Chambre de recours n'est pas d'accord avec la chambre sur ce point. Le premier et principal élément dans l'interprétation d'un texte juridique est sa formulation. En l'espèce, la formulation est claire : l'article 116 CBE concerne des procédures qui sont orales. D'après l'entrée 2.b. de la définition qui figure dans la troisième édition du "Oxford English Dictionary", le terme anglais "oral" (qui correspond au terme "oral" en français) désigne ce qui est communiqué de vive voix, par la parole, par le mot parlé : "Of disputes, negotiations, agreements, contracts etc.: conducted by the means of the spoken word; transacted by word of mouth; communicated in speech; spoken; verbal" (traduction : dans le contexte de litiges, de négociations, d'accords, de contrats etc. : qui se fait par la parole ; qui se transmet par le mot parlé ; qui est communiqué en parlant ; parlé ; verbal). Ainsi, rien dans ce terme ne justifie de limiter sa portée à des audiences tenues en présentiel dans une salle devant l'instance appelée à statuer.
26. La Grande Chambre de recours ne doute pas que les personnes ayant participé au processus législatif qui a donné lieu à la CBE 1973 avaient à l'esprit une procédure orale en présentiel dans une salle d'audience. Elle ne conteste pas non plus le fait que les termes tels que "comparution" et "devant" figurant dans les dispositions relatives aux procédures orales étaient probablement utilisés avec ce concept à l'esprit. Selon la Grande Chambre de recours, il ne fait donc aucun doute que les procédures orales tenues en présentiel, bien qu'elles ne soient pas mentionnées expressément, sont comprises dans le terme "procédure orale" lorsqu'il est lu dans son contexte.
27. Cependant, les constatations qui précèdent ne permettent pas de conclure que le sens du terme général "procédure orale" est limité au format particulier qui était connu lorsque la CBE a été établie. En effet, si des parties à un recours participent à une procédure orale tenue par visioconférence, l'on peut également dire d'elles qu'elles comparaissent devant la chambre, bien qu'à distance. Les mandataires du requérant ont donc admis à juste titre, lors de la discussion, qu'une "procédure orale" au sens de l'article 116 CBE ne se limite pas à une procédure utilisant une technologie disponible en 1973, mais peut également faire intervenir des technologies plus récentes, telles que les ordinateurs portables, les présentations PowerPoint et les tableaux blancs numériques. En particulier, rien n'indique que l'aspect "en présentiel", alors même qu'il n'est mentionné ni dans l'article ni ailleurs, ait été considéré comme essentiel au concept de procédure orale. Il n'a pas non plus été démontré que la volonté du législateur avait été de limiter l'étendue de la procédure orale à ce format particulier, à l'exclusion de tous les autres formats. Une telle intention ne saurait être déduite de la terminologie utilisée dans l'article 116 CBE ou des autres dispositions citées. De plus, comme il est reconnu dans toutes les contributions liées à cette affaire, les travaux préparatoires restent muets sur cette question. C'est le cas aussi bien des documents relatifs à la CBE 1973 que des documents dans lesquels ont été consignées les discussions préparatoires sur la CBE 2000.
28. Dans le contexte plus large de la CBE, la Grande Chambre de recours fait observer que la CBE a pour objet et pour but de fournir un système de délivrance des brevets européens en vue de soutenir l'innovation et le progrès technologique. D'après la Grande Chambre de recours, il y aurait une contradiction avec cet objet et ce but si l'intention du législateur avait été d'exclure de futurs formats de procédure orale qui pourraient être rendus possibles par le progrès technologique. Plus concrètement, étant donné qu'une procédure orale a pour objet et pour but de donner aux parties l'occasion de défendre leurs arguments à l'oral, il est peu probable que le législateur ait souhaité exclure de potentiels futurs formats leur permettant de le faire.
29. Rien ne permet donc de conclure que le terme "procédure orale" doive être compris dans un sens plus limité que son sens ordinaire ou qu'une procédure orale tenue dans un format particulier qui n'est devenu disponible qu'après la conclusion du processus législatif ne soit pas couverte par les dispositions de l'article 116 CBE.
30. La Grande Chambre de recours conclut donc qu'une procédure orale tenue sous forme de visioconférence est une procédure orale au sens de l'article 116 CBE.
31. Il convient en outre de noter que si les audiences tenues par visioconférence n'étaient pas des procédures orales au sens de l'article 116 CBE, elles se tiendraient dans un vide juridique, ce qui signifierait que les dispositions et les pratiques relatives aux procédures orales ne s'appliqueraient pas non plus. Cela entraînerait des interrogations quant au statut juridique des visioconférences et soulèverait, par exemple, la question de savoir si les parties peuvent être invitées à donner lecture de leurs requêtes finales ou si la chambre peut clore les débats et prononcer la décision à la fin de la visioconférence. De telles questions se poseraient en outre indépendamment du consentement ou de l'absence de consentement de l'ensemble des parties, car si l'on considère que les visioconférences ne sont pas des procédures orales, cela vaut aussi lorsque les parties ont consenti à la visioconférence. Dans la décision de saisine, la chambre a conclu qu'une visioconférence tenue avec le consentement des parties ne poserait aucun problème juridique au regard de l'article 116 CBE étant donné que les parties sont libres de renoncer à leur droit à une procédure orale. Cette conclusion est peut-être exacte, mais elle laisse en suspens un certain nombre de questions juridiques importantes concernant la nature de ces audiences. La Grande Chambre de recours considère qu'étant donné que les visioconférences sont une forme de procédure orale au sens de l'article 116 CBE, les règles et pratiques applicables aux procédures orales s'y appliquent également.
32. Dans un certain nombre d'observations, il a été fait référence aux décisions G 2/19 et T 1012/03, qui traitent toutes deux du lieu où la procédure orale doit se tenir. Il a été avancé que comme la tenue d'une procédure orale en un autre lieu que celui prévu dans la CBE pourrait violer les droits reconnus aux parties par les articles 113 et 116 CBE, une procédure orale tenue par visioconférence qui ne se déroule pas au lieu géographique défini dans la CBE viole également ces droits. La Grande Chambre de recours estime toutefois que ces décisions ne peuvent pas être invoquées pour contester la tenue d'une procédure orale par visioconférence. La question du lieu géographique ne se pose pas dans le cas d'une visioconférence. Nulle partie n'est obligée de comparaître en un lieu particulier, ni donc en un lieu qui porterait atteinte à son droit d'être entendue. Déduire de ces décisions une obligation de tenir la procédure orale en un lieu précis et, partant, de ne pas tenir la procédure orale sous forme de visioconférence revient à méconnaître le fait que les visioconférences n'étaient pas en cause dans ces affaires et que les motifs de chaque décision portaient sur une question tout à fait différente.
C.4 Une visioconférence est-elle équivalente à une procédure orale en présentiel et, dans la négative, est-elle un format adapté pour la tenue d'une procédure orale ?
33. Une question très débattue dans les observations du requérant, du Président de l'OEB et des amici curiae a été de savoir si une visioconférence est équivalente à une audience en présentiel et si ce format est adapté pour la tenue d'une procédure orale.
34. Dans la décision R 3/10, la Grande Chambre de recours a décrit comme suit la finalité de la procédure orale : "[...] permettre à chaque partie de présenter ses arguments à l'oral, permettre à la chambre de poser des questions, permettre aux parties de répondre à ces questions et permettre à la chambre et aux parties de discuter de questions, notamment de questions controversées et peut-être cruciales. L'intérêt de la procédure orale est qu'elle donne la possibilité de clarifier certains points et, à terme, de convaincre la chambre du bien-fondé de la position d'une partie, quand les seuls arguments écrits n'y parvenaient pas."
35. Le Président de l'OEB a fait valoir qu'une visioconférence préserve les caractéristiques essentielles suivantes de la procédure orale : une occasion pour les parties de présenter leurs arguments à l'oral, un échange interactif d'arguments en temps réel entre l'instance compétente dans son ensemble et, le cas échéant, les autres parties et, par conséquent, la possibilité de répondre immédiatement aux questions et d'agir en fonction de l'évolution de la procédure. Il a également cité la décision T 2068/14, dans laquelle la chambre a considéré qu'une "visioconférence [...] préserve l'essentiel de la procédure orale puisque la chambre et les parties/mandataires peuvent s'entretenir simultanément. Ainsi, les moyens de chaque partie peuvent être présentés à la chambre en temps réel et la chambre peut poser des questions aux parties/mandataires." C'est également le point de vue qui a été adopté dans la décision T 2320/16.
36. Il semble ne pas non plus faire de doute pour la chambre que la technologie de visioconférence est adaptée pour la tenue de procédures orales (voir les passages de la décision de saisine cités dans le paragraphe 17 ci-dessus).
37. À l'inverse, le requérant et de nombreux tiers ont fait valoir que les visioconférences ne sont pas équivalentes aux procédures orales en présentiel et qu'elles sont dépourvues de caractéristiques essentielles de ce qui constitue une procédure orale. Il a en particulier été fait référence à la caractéristique manquante d'"immédiateté", présente dans les procédures orales tenues en présentiel, aux limitations inhérentes à une communication assurée par des moyens numériques, à l'instabilité des moyens de transmission et à l'obligation pour les parties d'être équipées des outils nécessaires. Il a été avancé que ces contraintes se traduisent par une communication moins efficace et donc par une possibilité réduite pour les parties de présenter et de défendre leurs arguments. De plus, des préoccupations ont été exprimées quant à la question de savoir si l'exigence de publicité de la procédure orale était dûment remplie. Le fait d'imposer une procédure orale par visioconférence à une partie a donc été considéré comme une limitation ou violation du droit d'être entendu dans le cadre d'une procédure orale ainsi que du droit à un procès équitable. Cela constituerait une violation de l'article 113 CBE et, dans un contexte plus large, de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).
38. La Grande Chambre de recours estime que la communication par visioconférence ne peut pas être placée, du moins pour le moment, au même niveau que la communication en présentiel. Bien qu'elle partage le point de vue selon lequel les visioconférences peuvent préserver les caractéristiques essentielles de la procédure orale indiquées ci-dessus, la communication par ce moyen est moins directe et sujette à des limitations dues aux contraintes propres à la technologie utilisée. En matière de communication, la procédure orale en présentiel constitue pour le moment le format optimal. La technologie utilisée dans les visioconférences vise à recréer du mieux possible cette interaction humaine directe. La technologie vidéo s'est incontestablement améliorée ces derniers temps, mais on ne peut pas encore dire qu'elle offre le niveau de communication qui est possible lorsque tous les participants sont physiquement présents dans la même pièce. Il est également vrai que ceux qui participent à une procédure orale tenue par visioconférence doivent se familiariser avec la technologie et apprendre à faire face aux problèmes techniques quand ils surviennent. Cela peut exercer une certaine pression aussi bien sur les membres de l'instance appelée à statuer que sur les parties, et même détourner leur attention des questions à débattre pendant la procédure orale.
39. La tenue d'audiences en présentiel est également préférable du point de vue de la transparence du système de justice et de sa fonction dans la société. Les audiences en présentiel tenues au lieu approprié reflètent mieux l'importance de l'échange entre une juridiction et les parties cherchant à obtenir justice, avant qu'une décision finale ne soit rendue. Ces considérations sont tout aussi valables pour les chambres de recours de l'OEB, dont la tâche est de rendre des décisions finales dans le cadre du système du brevet européen.
40. Cependant, il ne découle pas de ce qui précède que le droit d'être entendu ou le droit à un procès équitable ne peuvent pas être respectés lorsqu'une procédure orale est tenue par visioconférence. Dans ce contexte, il convient de garder à l'esprit que les procédures devant l'OEB se déroulent principalement par écrit. Les arguments écrits forment la base de la procédure et sont complétés, si nécessaire ou sur demande, par la possibilité pour les parties de présenter et de défendre leurs arguments à l'oral. Même si le format de la visioconférence présente certains inconvénients, il offre aux parties une occasion de présenter leurs arguments à l'oral. Combiné à la partie écrite de la procédure, ce format suffit normalement pour que les principes d'équité de la procédure et le droit d'être entendu soient respectés.
41. Il a souvent été affirmé que, dans le cadre d'une visioconférence devant une chambre de recours, une partie n'est pas en mesure d'interpréter le langage corporel des membres de la chambre ou d'apprécier visuellement comment ses arguments sont accueillis par la chambre et que ce format est donc intrinsèquement inadapté. La Grande Chambre de recours n'est pas convaincue par cet argument. Il est inexact que le langage corporel des personnes, en particulier leurs expressions faciales, n'est pas visible dans le cadre d'une visioconférence. La possibilité pour une partie de se faire une idée claire de comment ses arguments présentés à l'oral sont accueillis par les membres de la chambre est plutôt une question de degré qui dépend de facteurs comme la configuration de la salle d'audience ou la distance entre les membres de la chambre dans le format en présentiel ou comme la qualité des caméras, des écrans et de la transmission dans le format de la visioconférence. À cet égard, les visioconférences se distinguent des conférences téléphoniques, dans lesquelles seul le son est transmis. Ce dernier moyen de communication n'est clairement pas adapté comme format de procédure orale, car l'absence totale de l'élément visuel réduit considérablement la qualité générale de l'interaction entre les participants.
42. De plus, les membres de la chambre répondent normalement à un argument d'une partie par des questions ou des commentaires, plutôt que par un simple hochement de tête, un regard interrogateur ou d'autres gestes de ce type. Ainsi, selon la Grande Chambre de recours, le fait que les participants à une visioconférence ne peuvent pas pleinement observer toutes les expressions physiques des uns et des autres ne signifie pas qu'un élément essentiel soit ainsi perdu ou que la tenue d'une procédure orale dans ce format soit intrinsèquement inadaptée.
43. Dans l'ensemble, la Grande Chambre de recours considère que les limitations actuellement inhérentes à l'utilisation de la technologie vidéo peuvent rendre sous-optimal le format de la visioconférence, que ce soit d'un point de vue objectif ou aux yeux des participants, mais normalement pas au point de porter gravement atteinte au droit d'être entendu ou au droit à un procès équitable d'une partie. Si, dans une affaire donnée, ces droits ne peuvent pas être respectés, il appartient évidemment à l'instance appelée à statuer de prendre les mesures appropriées pour remédier à cela.
C.5 Le rôle du consentement des parties
44. Dans les paragraphes précédents, la Grande Chambre de recours donne les raisons qui l'amènent à conclure qu'une procédure orale tenue par visioconférence constitue une procédure orale au sens de l'article 116 CBE et qu'une telle procédure, bien qu'elle ne soit pas entièrement équivalente à une procédure orale tenue en présentiel, n'enfreint normalement pas le droit d'être entendu ou le droit à un procès équitable d'une partie. Se pose alors une question supplémentaire : une procédure orale tenue par visioconférence peut-elle être imposée à une partie ? Ou, en d'autres termes, les parties disposent-elles d'un droit à une procédure orale en présentiel ? À cet égard également, le requérant, le Président de l'OEB et les amici curiae ont présenté des observations divergentes. Le Président de l'OEB a fait valoir qu'il appartient à l'instance appelée à statuer de déterminer sous quelle forme la procédure orale a lieu. Selon le Président de l'OEB, les parties ont uniquement le droit de demander la tenue d'une procédure orale, mais pas un format en particulier. Cette position semble être rattachée au point de vue selon lequel une procédure orale tenue en présentiel et une procédure orale tenue par visioconférence sont équivalentes. Ce point de vue a également été exprimé dans un certain nombre d'observations d'amici curiae. À l'inverse, le requérant et de nombreux tiers ont fait valoir que les parties disposent d'un droit à une procédure orale en présentiel et que leur consentement est donc nécessaire pour utiliser un format différent. Parmi ceux qui ont soutenu cette position, certains ont fait valoir que ce droit est absolu et qu'il doit donc être respecté également dans les situations d'urgence, tandis que d'autres, plus nombreux, ont fait valoir qu'il convient de respecter ce droit dans des circonstances normales, mais qu'il est possible de ne pas en tenir compte en situation d'urgence.
45. La Grande Chambre de recours considère que les parties disposent d'un droit fondamental à une procédure orale qui leur offre l'occasion d'être entendues conformément à l'article 113 CBE et à l'article 6 CEDH. Il ne fait aucun doute que les procédures orales en présentiel offrent une telle occasion. Comme indiqué précédemment, une audience en présentiel est le format optimal ou, pour utiliser un terme bien connu en droit européen des brevets, elle constitue la norme de référence ("gold standard"). Elle satisfait incontestablement aux exigences de l'article 113 CBE et de l'article 6 CEDH. Il s'agit également du format que le législateur avait à l'esprit lors de la rédaction de l'article 116 CBE. Les audiences en présentiel doivent donc être l'option par défaut. Cette option ne peut être refusée aux parties que pour de bonnes raisons.
46. Il a également été avancé que le choix du format est une question administrative qui, à l'instar d'autres mesures d'organisation des procédures orales, peut être décidée par l'instance qui planifie la procédure orale. Cependant, la CBE confère aux parties le droit de demander une procédure orale. Cela démontre que la tenue d'une procédure orale est considérée comme servant les intérêts des parties. La vaste majorité des procédures orales sont tenues sur requête d'une partie. Il est donc logique que le format de la procédure orale puisse être choisi par la partie qui en a demandé la tenue et non par la chambre de recours, en particulier étant donné qu'il ne s'agit pas d'une question purement organisationnelle. Comme indiqué précédemment, la Grande Chambre de recours considère qu'à l'heure actuelle, la visioconférence n'offre pas les mêmes possibilités en matière de communication que les procédures orales en présentiel. Une partie peut donc avoir de bonnes raisons de préférer une procédure orale en présentiel à une visioconférence.
47. S'agissant des raisons qui pourraient justifier de refuser le souhait d'une partie de voir la procédure orale tenue en présentiel, la Grande Chambre de recours formule les observations qui suivent.
48. Premièrement, il doit exister une solution de rechange adaptée, même si elle n'est pas équivalente. Comme expliqué ci-dessus, la Grande Chambre de recours considère qu'une visioconférence remplit normalement les conditions de base pour que les parties puissent être entendues et présenter leurs arguments. Si, dans une affaire donnée, la visioconférence n'est pas adaptée, la procédure orale devra être tenue en présentiel. Dans l'affaire à l'origine de la saisine, la chambre a estimé que les raisons invoquées pour expliquer que cette affaire en particulier ne se prêterait pas à une visioconférence n'étaient pas convaincantes. Il existait donc, selon la chambre, une solution de rechange adaptée qui pouvait être utilisée pour trancher le recours.
49. Deuxièmement, il doit également exister des circonstances propres à l'affaire qui justifient la décision de ne pas tenir la procédure orale en présentiel. Ces circonstances doivent concerner des limitations et des restrictions affectant la capacité des parties à assister à une procédure orale en présentiel dans les locaux de l'OEB. Dans le cas d'une pandémie, ces circonstances peuvent être des restrictions générales de déplacement ou des perturbations liées aux possibilités de voyager, des obligations de quarantaine, des restrictions d'accès aux locaux de l'OEB et d'autres mesures sanitaires visant à empêcher la propagation de la maladie. Cette décision ne doit pas être influencée par des questions administratives telles que la disponibilité des salles et des services d'interprétation ou une perspective de gain d'efficacité. Il incombe à l'OEB de mettre à disposition les ressources nécessaires pour faciliter la tenue des procédures prévues par la CBE.
50. Troisièmement, la question de savoir s'il existe de bonnes raisons de s'écarter de la préférence exprimée par une partie de voir la procédure orale tenue en présentiel doit être tranchée dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation par la chambre de recours citant la partie à la procédure orale.
51. Dans l'affaire à l'origine de la saisine, il n'était pas possible de tenir la procédure orale en présentiel pendant la période en question à cause de la pandémie de COVID-19. Exclure la tenue de la procédure orale par visioconférence, comme le demandaient les parties, aurait entraîné un report de la procédure orale pour une durée indéterminée. Il est à noter que la procédure orale avait déjà été reportée une fois. Un nouveau report aurait retardé une fois de plus la prise d'une décision concernant le recours. Pendant une pandémie, les retards dans le traitement des recours pourraient affecter un grand nombre d'affaires en instance et donc compromettre gravement l'administration de la justice. Dans ces circonstances, il était justifié de faire abstraction du souhait des parties et de tenir la procédure orale par visioconférence.
C.6 Comparaison avec l'évolution de la situation dans les États contractants
52. Il convient par ailleurs de relever que beaucoup des États parties à la CBE ont récemment introduit ou étendu la possibilité de tenir des audiences par visioconférence et que ces mesures sont presque toujours liées à la pandémie de COVID-19.
53. Dans certains États, le recours à la visioconférence dans une affaire donnée est encore subordonné au consentement de la ou des parties, tandis que dans d'autres, la juridiction peut choisir ce format indépendamment du souhait des parties. On ne peut donc pas affirmer qu'une ligne claire se soit dégagée dans un sens ou dans l'autre. On ne saurait donc dire de la position de la Grande Chambre de recours ni qu'elle est conforme ni qu'elle est contraire à la pratique des États contractants.
54. Il convient, cependant, de garder à l'esprit qu'à la différence de ce qui se produit devant les juridictions nationales, devant les chambres de recours de l'OEB, les parties à la procédure de recours et leurs mandataires viennent souvent de pays différents. Pendant la pandémie, le pays hôte des chambres de recours, l'Allemagne, a pris des mesures pour restreindre les déplacements en provenance de l'étranger. La continuité du fonctionnement des chambres de recours a donc été davantage affectée que celle des procédures juridictionnelles dans les systèmes nationaux, pour lesquelles les parties ou leurs mandataires n'ont normalement pas besoin de franchir des frontières.
55. À cet égard, les chambres de recours sont davantage comparables, par exemple, à la Cour européenne des Droits de l'Homme. Les deux premiers points des "Instructions relatives aux audiences par vidéoconférence" de la Cour, adoptées le 22 décembre 2020 (echr.coe.int/Documents/Guidelines_videoconference_hearings_FRA.pdf) énoncent :
"1. Au vu de la situation sanitaire qui règne en Europe, et en particulier dans le pays hôte de la Cour et dans les États où se trouvent les parties, il peut être nécessaire d'adapter le format habituel des audiences devant la Cour en conduisant les procédures par le biais de la technologie de vidéoconférence.
2. Il appartient au Président de la Grande Chambre ou de la chambre d'en décider (article 64 du règlement de la Cour)."
Ces instructions sont similaires à l'approche développée par la Grande Chambre de recours dans la présente décision.
56. Enfin, bien que, dans certains cas, des États contractants et des juridictions internationales aient introduit la possibilité d'imposer des audiences par visioconférence aux parties pendant la pandémie de COVID-19, il semblerait que la prolongation de cette mesure au-delà de la situation d'urgence actuelle suscite pour l'heure une forte réticence. De manière similaire, la Grande Chambre de recours limite la portée de sa réponse, dans la présente saisine, aux périodes d'urgence générale.
Dispositif
Par ces motifs, la Grande Chambre de recours répond comme suit à la question de droit qui lui a été soumise :
Lors d'une situation d'urgence générale qui compromet la possibilité pour les parties d'assister à une procédure orale en présentiel dans les locaux de l'OEB, la tenue de cette procédure orale devant une chambre de recours sous forme de visioconférence est compatible avec la CBE, même si les parties à la procédure n'ont pas toutes consenti à ce que la procédure orale se déroule sous forme de visioconférence.