4. État de la technique le plus proche : détermination du contenu de la divulgation
4.3. Prise en considération de caractéristiques implicites
Conformément à la jurisprudence constante des chambres de recours, un document de l'état de la technique détruit la nouveauté de l'objet revendiqué si celui-ci découle directement et sans ambiguïté de ce document, y compris les caractéristiques implicites pour l'homme du métier. Cependant, une divulgation alléguée ne peut être considérée comme "implicite" que si l'homme du métier constate d'emblée qu'aucun autre élément que la caractéristique implicite alléguée fait partie de l'objet divulgué (T 95/97, T 51/10). En d'autres termes, toute divulgation de l'état de la technique détruit la nouveauté de l'objet revendiqué lorsque celui-ci dérive directement et sans aucune équivoque de cette divulgation, y compris les caractéristiques implicites pour l'homme du métier d'après ce qui est expressément divulgué (cf. T 677/91 ; T 465/92, JO 1996, 32 ; T 511/92 ; T 2170/13, une affaire plus récente concluant à une divulgation implicite par l'art antérieur de la caractéristique litigieuse et consacrant de longs développements techniques à cette question).
La limitation à "ce qui découle directement et sans ambiguïté" d'un document est importante. Conformément à la jurisprudence des chambres de recours, l'enseignement d'un document, quelle que soit sa nature, ne doit pas être interprété, pour l'évaluation de la nouveauté, comme englobant des équivalents qui ne sont pas exposés dans le document (T 167/84, T 517/90 et T 536/95).
Dans la décision T 701/09, la chambre de recours a estimé qu'une divulgation directe et non ambiguë n'est pas forcément une divulgation explicite ou littérale, mais qu'il peut s'agir tout aussi bien d'une divulgation implicite que l'homme du métier déduira au-delà de tout doute raisonnable du contexte général d'une antériorité.
Dans l'affaire T 1523/07, la chambre a fait observer que selon un principe généralement appliqué, l'état de la technique doit contenir une divulgation directe et univoque, explicite ou implicite, pour conclure à l'absence de nouveauté. Cette divulgation devrait conduire inévitablement l'homme du métier à un objet couvert par la revendication. Dans ce contexte, le terme de "divulgation implicite" désigne une divulgation que tout homme du métier considérerait objectivement comme nécessairement incluse dans le contenu explicite, par exemple compte tenu des lois scientifiques générales. Par conséquent, l'expression "divulgation implicite" ne doit pas être interprétée comme couvrant des éléments qui ne font pas partie des informations techniques fournies par un document, mais qui sont susceptibles de découler à l'évidence du contenu de ces informations. S'il convient de prendre en considération les connaissances générales afin de déterminer ce qu'implique clairement et sans ambiguïté la divulgation explicite d'un document, la question de savoir ce qui peut découler à l'évidence de cette divulgation à la lumière des connaissances générales n'est en revanche pas pertinente pour apprécier ce qu'implique la divulgation de ce document. La divulgation implicite n'est rien de plus que la conséquence claire et non équivoque de ce qui est mentionné explicitement (voir aussi T 823/96, T 297/11). L'expression "divulgation implicite" désigne une divulgation que tout homme du métier considérerait objectivement comme nécessairement sous-entendue dans le contenu explicite (T 2522/10 du 16 avril 2015 date: 2015-04-16). L'affaire T 1523/07 est citée dans la décision T 1085/13 (nouveauté d'un degré de pureté plus élevé).
En résumé, la chambre a constaté dans l'affaire T 51/10 que la caractéristique prétendument "implicite" doit pouvoir être déduite au-delà de tout doute raisonnable du contexte général d'une antériorité (T 701/09) ou doit découler inévitablement de celui-ci (T 1523/07). Cela signifie notamment que l'homme du métier ne peut envisager aucune alternative réaliste à la caractéristique prétendument implicite (T 287/16).
Dans la décision T 6/80 (JO 1981, 434), la chambre a observé que l'état de la technique, relatif à un dispositif divulgué dans un document, comprend également le mode d'action d'un élément, allant au-delà du mode d'action décrit dans ledit document, lorsqu'il est révélé sans aucun doute à l'homme du métier à la lecture du document.
Dans la décision T 666/89 (JO 1993, 495), la chambre a indiqué que par "accessible", il faut manifestement entendre ce qui peut être divulgué en dépassant le cadre d'une description littérale ou schématique et en faisant appel à la communication, explicite ou implicite, d'informations techniques par d'autres moyens également. Par exemple, lorsque la mise en œuvre d'un procédé – décrit de façon spécifique ou littérale dans un document de l'état de la technique – conduit inévitablement à un produit différent de la description, on a affaire à une information accessible dans un document, qui va au-delà de la description littérale ou schématique. Dans ce cas, le document de l'état de la technique détruit la nouveauté d'une revendication couvrant un produit. C'est donc le contenu plutôt que la forme qui, explicitement ou implicitement, est déterminant en ce qui concerne la nouveauté en général et la nouveauté par "sélection" en particulier (T 793/93).
Dans l'affaire T 270/97, la division d'opposition a considéré que l'agent de contraste nécessairement obtenu par la reproduction des exemples 1 et 2 d'un document appartenant à l'état de la technique faisait obstacle à la nouveauté du produit revendiqué. La chambre a fait observer qu'en vertu d'un principe de jurisprudence bien établi depuis la décision T 12/81 (JO 1982, 296), le produit qui résulte inévitablement d'un procédé correctement défini eu égard à la substance utilisée au départ et aux conditions de réaction, est considéré comme divulgué même s'il n'est pas cité expressément dans le document de l'état de la technique. La chambre a toutefois jugé que la méthode divulguée dans le texte de l'exemple 2 impliquait une façon de procéder qui n'avait pas été envisagée dans la méthode selon le brevet attaqué. Dans les tentatives qu'elles ont faites pour démontrer que les particules obtenues selon l'exemple 2 étaient, ou n'étaient pas, identiques aux produits selon le brevet attaqué, les parties ont abouti à des résultats totalement contradictoires. Par conséquent, tout ce que la chambre a pu conclure, c'est qu'il pouvait être obtenu des produits différents si l'on se plaçait dans des conditions expérimentales non divulguées dans l'exemple 2. L'application de la méthode selon l'exemple 2 ne conduisait donc pas nécessairement au produit revendiqué.
Dans l'affaire T 583/01, la chambre, suivant la décision T 270/97, a déclaré que la nouveauté relève de ce qui est inévitable, et non de ce qui est probable.
Dans l'affaire T 1456/14, le brevet en cause concernait un aspirateur avec un filtre. La revendication 1 portait sur un rapport entre la longueur totale et la surface. La chambre a énoncé que l'absence de divulgation de la longueur totale dans D14 importait peu pour la question de la nouveauté étant donné que, comme il a pu être montré, le rapport en question était présent dans D14, et ce de manière indiscutable. La preuve qu'il en était ainsi pouvait aussi résulter du fait qu'une plus petite valeur, inévitablement dépassée par la valeur du dispositif dans D14, satisfaisait au rapport revendiqué de telle sorte que le dispositif selon D14 devait inévitablement présenter ce rapport. La présence d'une caractéristique implicite (ou explicite) dans un dispositif connu dépend non pas de la probabilité que l'attention de l'homme du métier aurait ou non été dirigée sur cette caractéristique précisément, mais de la question de savoir si l'antériorité mettait objectivement en œuvre la caractéristique. Le critère de la "divulgation directe et non équivoque" n'exige pas que l'homme du métier doive reconnaître la caractéristique sans avoir connaissance du brevet, mais plutôt que l'examen de la divulgation soit réalisé, certes avec les yeux et avec la compréhension de l'homme du métier, mais délibérément et de manière ciblée par une instance de l'OEB en toute connaissance de la caractéristique à identifier. Une telle approche ne constitue nullement une prise en compte illicite des équivalents.
Dans l'affaire T 518/91, la chambre a constaté que l'interprétation logique par l'homme du métier de faits techniques indiqués explicitement dans une antériorité – notamment des précisions concernant des caractéristiques de l'état de la technique décrites de manière générale et allant au-delà des éléments divulgués explicitement dans ce document – ne fait pas partie des données techniques d'un enseignement ressortant implicitement du document dont l'homme du métier prend automatiquement connaissance, lorsqu'elle contredit d'autres données techniques explicites de l'ensemble de la divulgation cohérente en soi de ce document.
Dans l'affaire T 2387/13 (pas de divulgation implicite d'une possible utilisation), la chambre a jugé que le simple fait que la ligne de transmission électrique divulguée dans D2 puisse être utilisée en tant que capteur ne signifiait pas que le capteur avait été divulgué. Pour qu'une telle utilisation soit possible, d'autres installations devraient exister. Ces installations n'étaient toutefois pas divulguées.
Dans la décision T 624/91, il a été jugé que les divulgations précises de compositions d'alliages appartenant à l'état de la technique doivent être interprétées comme des valeurs moyennes ou nominales comprises à l'intérieur de limites étroites, compte tenu des fluctuations connues de la reproductibilité et des résultats des analyses, à moins que l'on ne dispose de preuves du contraire. La chambre a fait observer que lorsqu'un métallurgiste cherche à produire un alliage correspondant à une certaine composition nominale, il peut arriver que la composition du produit final s'écarte quelque peu de cet objectif, ou même reste indéfinie à l'intérieur de certaines limites étroites. Le processus de production métallurgique n'est pas parfaitement reproductible, et la composition effective de différents lots qui devaient avoir la même composition nominale variera dans certaines limites par rapport à cet objectif (voir aussi T 718/02 et T 324/12).
Dans l'affaire T 71/93, il a été décidé qu'une caractéristique qui n'était pas explicitement mentionnée dans un document antérieur, tout en étant largement connue comme moyen de remédier à un inconvénient fréquent dans le même domaine technique, ne pouvait être considérée comme divulguée implicitement s'il ne découlait pas directement de ce document antérieur que l'inconvénient en question était jugé inacceptable et/ou s'il était proposé dans ce document d'autres solutions pour remédier à cet inconvénient.
Dans les décisions T 572/88 et T 763/89, les chambres de recours ont mis en garde contre le risque d'introduire dans l'examen de la nouveauté, du fait de cette référence à une "description antérieure implicite", des considérations qui valent pour l'appréciation de l'activité inventive. L'examen correct de la brevetabilité d'une invention implique une séparation stricte entre la question de la nouveauté et celle de l'activité inventive. Ainsi, dans l'affaire T 763/89, la chambre n'a pu retenir l'objection de l'opposante qui avait affirmé qu'un produit comprenant exactement trois couches, tel que celui revendiqué dans le brevet attaqué, avait fait l'objet d'une "description antérieure implicite", puisque l'homme du métier, connaissant le coût élevé des sous-couches supplémentaires et leur intérêt limité pour l'amélioration de la qualité de l'image, aurait compris que le nombre de couches, illimité, si l'on s'en tient à la lettre, équivalait en pratique à "deux ou trois couches". En effet, il s'agissait là d'un argument du type de ceux qui sont avancés dans les discussions concernant l'existence d'une activité inventive.
De même, dans la décision T 71/93, la chambre a estimé qu'une "description antérieure implicite" d'une caractéristique ne pouvait être fondée sur le fait que l'homme du métier aurait connu certains inconvénients et l'absence d'autres formes d'amélioration d'un élément, ceci constituant un des critères d'appréciation de l'activité inventive.
- T 1362/19
Catchword:
If an abstract feature is not defined in more concrete terms either in the relevant claim or in the description of the application, it has to be understood in a broad sense. This may be important when assessing the implicit disclosure of a document of the state of the art. In particular, for this assessment it may be irrelevant whether there are several alternatives for implementing the abstract feature in concrete terms (Reasons 2.3.7).
- T 2510/18
Résumé
Dans l'affaire T 2510/18 la chambre a considéré comme nouvelles par rapport aux documents D2, D3 et D5 les revendications 1 à 6 du brevet en cause qui a pour objet une molécule, la Simalikalactone E (ci-après la SkE), qui peut être extraite de la plante Quassia amara, ainsi que son utilisation comme médicament dans la prévention et le traitement du paludisme.
D2 est un article qui décrit une étude sur les remèdes antipaludiques utilisés en Guyane française. Il ressort de l'étude que l'espèce la plus utilisée est Quassia amara seule ou en combinaison avec d'autres espèces végétales. D2 décrit que cette plante est utilisée sous forme de décoctions administrée par voie orale ou est appliquée sur le corps du patient.
D3 est un article qui concerne l'évaluation de l'activité antipaludique de 23 espèces différentes de plantes utilisées en Guyane française dont la Quassia amara. D3 décrit que la décoction préparée avec les feuilles fraîches de Quassia amara n'est pas toxique à 1000 mg/jour et peut être administrée sans problème pendant plusieurs jours, quel que soit le principe actif. La décoction de feuilles de Quassia amara est donc présentée comme un remède antipaludique intéressant.
D5 est un article qui concerne l'effet de l'âge des feuilles de Quassia amara et l'état de dessication sur l'activité antipaludique d'infusions traditionnelles préparées à partir des feuilles à différents états de maturité et de fraîcheur. Dans une étude antérieure, la molécule Simalikalactone D "SkD" avait été identifiée comme le composé actif. Quatre infusions avaient été préparées avec des feuilles. Les concentrations de la SkD dans chaque préparation et leur activité antipaludique y sont comparées. Il est également indiqué dans D5 que l'infusion de jeunes feuilles séchées possède une activité in vivo très puissante qui ne semble pas provenir uniquement de la molécule SkD. Selon la chambre, aucun de ces documents D2, D3 et D5 ne décrivait explicitement la molécule active SkE. Ces documents divulguent plutôt des remèdes traditionnels antipaludiques, c.-à-d. des préparations dérivées des feuilles ou des tiges d'une plante particulière, Quassia amara.
La chambre a interprété la revendication 1 comme couvrant toutes les compositions contenant la molécule SkE y compris les extraits de D2, D3 et D5, dans la mesure où ils contiennent la molécule SkE. Cependant, la question de savoir si les extraits de D2, D3 ou D5 entrent dans la portée de la revendication 1 n'était pas le critère correct pour évaluer si l'objet de cette revendication est nouveau. Pour évaluer si l'objet d'une revendication a été rendu accessible au public et donc manque de nouveauté, la "norme de référence" est le seul critère à appliquer.
Le fait que la molécule SkE puisse être contenue dans les extraits de D2, D3 et D5 n'équivalait pas non plus à une divulgation implicite. Selon G 2/88 (points 10 et 10.1 des motifs), la question qui se pose est de savoir ce qui a été rendu accessible au public, et non pas ce qui pouvait y être contenu intrinsèquement. Il n'y avait pas non plus de divulgation implicite de l'objet de la revendication 1 au regard de G 1/92: il aurait été nécessaire que la personne du métier identifie la SkE dans les extraits de D2, D3 ou D5. Étant donné que l'identification de la SkE aurait représenté un effort excessif et donc impliqué une activité inventive, la chambre a décidé que SkE ne faisait pas partie de l'état de la technique accessible au public.
La chambre a également relevé que la question en l'espèce était différente de celle dans la saisine T 438/19. Il ne pouvait ici y avoir de divulgation implicite de la SkE dans lesdits extraits, à tout le moins parce que leur identification aurait impliqué un effort excessif pour la personne du métier.
La chambre n'a pas non plus été convaincue par l'argument des requérants qui avaient fait valoir que l'objet d'une revendication ne pouvait pas être considéré comme nouveau s'il était contrefait par une utilisation existante, par exemple, par les extraits de D2, D3 ou D5. En d'autres termes, la protection conférée par le brevet donnerait à l'intimé le droit d'interdire aux populations autochtones d'utiliser les feuilles de Quassia amara pour la préparation de leurs remèdes traditionnels. Par analogie avec G 2/88, la chambre a expliqué qu'en vertu de l'art. 54(2) CBE, la question était de savoir ce qui a été "rendu accessible" au public, et non pas ce qui pouvait être "contenu intrinsèquement" dans ce qui a été rendu accessible. En conséquence, la question du "contenu intrinsèque" ne se posait pas en tant que telle dans le cadre de l'art. 54 CBE.
- Compilation 2023 “Abstracts of decisions”