6.3. Sélection à partir de domaines de paramètres
Dans l'affaire T 666/89 (JO 1993, 495), la chambre s'est prononcée sur la question de la nouveauté dans le cas d'un recoupement de plages de valeurs. Le brevet portait notamment sur un shampooing contenant de 8 à 25 % d'un surfactif anionique et de 0,001 à 0,1 % d'un polymère cationique. Une demande de brevet antérieure exposait un shampooing composé de 5 à 25 % d'un surfactif anionique et de 0,1 à 5,0 % d'un polymère cationique. La chambre a jugé que l'invention n'était pas nouvelle. Elle a estimé qu'il n'existe pas de différence fondamentale entre l'examen de la nouveauté dans des cas de "recoupement" ou de "sélection" et l'examen de la nouveauté dans les autres cas, bien qu'il puisse être utile d'examiner, afin de vérifier les résultats préliminaires de l'examen de la nouveauté dans des cas de recoupement, si un effet technique particulier est ou non attaché à l'étroite plage de valeurs en cause. Il convient toutefois de souligner qu'un tel effet particulier n'est pas une condition de la nouveauté et qu'il ne confère pas non plus en tant que tel un caractère de nouveauté : l'existence de cet effet peut uniquement servir à confirmer que l'invention est bien nouvelle. Il est évident que le terme "accessible" utilisé à l'art. 54(2) CBE 1973 ne désigne pas uniquement l'accès donné à une information du fait d'une description par des textes ou des schémas, et désigne toute communication explicite ou implicite d'informations techniques, éventuellement par d'autres moyens. Ainsi, il est clair qu'un objet caché, non pas parce qu'il est dissimulé délibérément, mais plutôt parce qu'il est enfoui dans un document, n'a pas été "rendu accessible" au sens indiqué ci-dessus. Dans le cas où il y a recoupement entre les plages de valeurs de paramètres physiques divulguées dans une revendication et celles divulguées dans l'état de la technique, il sera souvent utile, pour distinguer ce qui est "caché" de ce qui a été rendu accessible, de se poser la question de savoir si l'homme du métier aurait ou non des difficultés à mettre en œuvre l'enseignement de l'état de la technique dans la plage où les valeurs se recoupent. Ainsi, sous réserve que l'information contenue dans le document antérieur, combinée avec les connaissances générales de base de l'homme du métier soit suffisante pour permettre à celui-ci de mettre en pratique l'enseignement technique et que l'on puisse raisonnablement supposer qu'il le ferait, l'objet de la revendication en question est dénué de nouveauté. La nouveauté du domaine sélectionné a été examinée sur la base de considérations similaires dans les décisions T 366/90 et T 565/90.
Dans la décision T 26/85 (JO 1990, 22), la chambre a déclaré à propos de l'exigence de la "divulgation d'un enseignement technique" qu'il y avait lieu de se demander si l'homme du métier, connaissant les données techniques, envisagerait sérieusement de mettre en application l'enseignement technique du document antérieur dans la plage de valeurs commune. Si l'on pouvait raisonnablement supposer que ce serait le cas, il fallait conclure qu'il n'y avait pas de nouveauté. Cette forme d'interrogation a été reprise dans les décisions T 279/89, T 666/89 (JO 1993, 495), T 255/91 (JO 1993, 318), T 369/91 du 7 octobre 1992 date: 1992-10-07, T 631/92, T 660/93.
Dans l'affaire T 751/94, la chambre a considéré qu'il était clair que la méthode exposée dans le document cité ne devait pas être mise en œuvre dans la plage de recoupement, et que, par conséquent, la nouveauté de l'invention n'était pas détruite par ce recoupement. De plus, la combinaison de paramètres selon l'invention revendiquée n'était pas divulguée dans le document cité, et il n'était pas évident non plus qu'elle pouvait être déduite de ce document.
Dans l'affaire T 240/95, le requérant soutenait que la plage de 0.5 à 60 minutes n'incluait pas la valeur 60 minutes puisque pour que tel soit le cas la formulation aurait dû être "0.5 jusqu'à 60 minutes inclus." La chambre a décidé que, conformément à la jurisprudence constante, la divulgation d'une plage de valeurs impliquait la divulgation expresse des valeurs limites.
Dans l'affaire T 594/01, la chambre a déclaré que, selon les connaissances générales, toute mesure expérimentale en chimie analytique quantitative ainsi que tout résultat d'une mesure physique quelconque ne sauraient être dissociés de la marge d'incertitude liée à la mesure. Normalement, l'incertitude inhérente à une valeur expérimentale mesurée est sans importance pour l'appréciation de la nouveauté. Toutefois, lorsqu'une valeur expérimentale spécifique est divulguée dans un exemple faisant partie de l'état de la technique, vouloir effectuer une distinction entre l'objet revendiqué et cette valeur en indiquant seulement que la valeur limite supérieure doit être inférieure à la valeur expérimentale est voué à l'échec puisque l'objet revendiqué ne se distingue toujours pas de l'état de la technique à l'intérieur de la marge d'erreur expérimentale (voir également T 708/05 ; T 386/17 – angle "supérieur à 0 degrés").
Dans l'affaire T 1115/09, il ressortait du document D1 que le gaz à la sortie du lit catalytique ne contenait pas plus de 10 ppm d'oxygène environ, à savoir une plage de concentrations en oxygène dont la valeur supérieure limite s'élevait à "environ 10 ppm". Conformément à la jurisprudence constante des chambres de recours (cf. T 240/95), la divulgation d'une plage est une divulgation explicite des valeurs limites. Dans l'affaire examinée, il en résultait par analogie que la valeur limite "environ 10 ppm" était explicitement divulguée dans D1. Il s'agissait de déterminer si cette valeur limite était comprise dans la plage définie par la revendication 1 en cause, à savoir "plus de 10 ppm d'oxygène et jusqu'à 250 ppm". La chambre a considéré qu'en l'absence d'une définition claire du terme relatif "environ" dans D1, l'expression "environ 10 ppm d'oxygène" devait s'entendre dans son sens le plus large, à savoir "10+/- epsilon ppm d'oxygène". La valeur "10+epsilon" étant synonyme de la valeur "plus de 10", le choix de cette dernière valeur comme limite inférieure de la plage définie dans la revendication 1 revenait à sélectionner une valeur discrète dans la liste des trois valeurs "10-epsilon", "10" et "10+ epsilon" divulguées dans D1. La chambre a fait référence à la décision T 730/01 selon laquelle le fait de sélectionner un élément dans une liste unique d'éléments équivalents substituables ne conférait pas de nouveauté, et elle en a conclu par analogie dans l'affaire qu'elle instruisait que la divulgation faite dans le document D1 avait inévitablement pour conséquence que l'objet était couvert par la revendication 1 en cause.
Dans l'affaire T 1571/15, la zone de recouvrement entre la composition telle que revendiquée et la composition large de D1 était limité. D1 divulguait une plage de composition préférée et rien n'indiquait que cela pouvait fonctionner en dehors de cette plage. La chambre a considéré que bien qu'il soit vrai que l'homme du métier pouvait sérieusement envisager d'utiliser la région centrale d'une plage de l'état de la technique lorsqu'aucun autre indicateur (par exemple sous la forme d'exemples de plages préférées) n'était présent dans une autre région, cela n'était plus vrai si, comme en l'espèce, un tel indicateur était présent et dirigé vers une autre région.