G 0001/84 (Opposition formée par le titulaire du brevet) 24-07-1985
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Résumé de la procédure
I. Lors de l'examen d'un recours formé contre une décision par laquelle la Division d'opposition (Section des formalités) avait, en vertu de la règle 56 (1) de la CBE, jugé irrecevable l'opposition à un brevet formée au nom du titulaire dudit brevet, la Chambre de recours technique compéetente pour le domaine de la chimie a, par une décision en date du 3 septembre 1984, soumis pour décision à la Grande Chambre de recours, en application de l'article 112 de la CBE, la question de droit suivante: le titulaire d'un brevet europeén peut-il former une opposition recevable contre son propre brevet?
II. En réponse à une demande qui lui avait été adressée au nom de la Grande Chambre de recours, le mandataire de la requérante a déclaré qu'il avait fait valoir au cours de la procédure engagée devant la Chambre de recours technique, dans son mémoire du 26 juillet 1984 exposant les motifs de son recours, soient examinés par la Grande Chambre de recours, ce qui a été fait. Etant donné les conclusions auxquelles celle-ici est parvenue après une étude approfondie de l'ensemble de la situation, il n'a pas été jugé nécessaire d'inviter mandataire de la requérante à apporter d'autres précisions.
Contexte général dans lequel s'inscrit la question posée
1. La Chambre a tout d'abord examiné d'une manière générale le contexte dans lequel pourrait s'incrire la question qui lui a été posée, sans tenir compte des circonstances particulières dans lesquelles cette question lui a été soumise.
La Chambre fait observer que si le demandeur d'un brevet européen a certes la faculté de solliciter de la Division d'examen l'autorisation de modifier sa demande, pour tenir compte des objectives à l'encontre de la validité de sa demande qui ont retenu son attention à un stade très avancé de la procédure d'instruction de celle-ci, il arrive un moment à partir duquel il n'est plus possible d'apporter d'autres modifications, ce qui permet à la procédure de délivrance d'aboutir à une conclusion définitive. Si après que la décision de délivrer le brevet a été prise, mais avant son entrée en vigueur ou dans le délai de neuf mois qui lui est accordé pour former opposition, le titulaire du brevet en question s'aperçoit pour la première fois qu'il existe des objections à l'encontre de la validité de son brevet, et si celles-ci lui paraissent appeler des modifications qu'il conviendrait d'apporter le plus rapidement possible, la situation dans laquelle il se trouve est délicate.
Si un tiers forme alors une opposition recevable et soulève ces objections au cours de la procédure d'opposition, le titulaire du brevet aura la possibilité de solliciter au cours de cette même procédure l'autorisation de modifier son brevet. Si ces objections ne sont pas reprises dans l'exposé des motifs sur lesquels est fondée l'opposition, la division d'opposition ou une chambre de recours technique peut à un moment ou à un autre soulever ces objections de sa propre initiative, au cours de la procédure d'opposition. Toutefois, il n'est nullement certain qu'il se présentera une occasion d'apporter des modifications, à moins que le titulaire du brevet n'ait la possibilité d'inciter une autre partie à former une opposition recevable, ou qu'il ne soit en mesure de former lui-même opposition.
2. Si le titulaire du brevet n'est pas autorisé à former lui-même opposition, il hésitera sans aucun doute à inciter un tiers à former opposition, s'il n'était pas déja en relations étroites et suffisamment amicales avec celui-ci. Tout ce qu'il peut faire, c'est essayer de recourir au strategème très ancien qu'utilisent les avocats, lorsqu'ils font appel à un "homme de paille" qu'ils chargent de former opposition. Il peut arriver avec ce système que la procédure ne soit plus qu'une comédie, puisque dans ce cas "l'homme de paille" n'est pas un véritable tiers, mais sert simplement de prête-nom au titulaire de brevet. Si l'Office européen des brevets et le public en général ignorent les relations qui existent entre le titulaire du brevet et ce prête-nom, il y a risque de fraude ou d'abus, la procédure d'opposition pouvant être utilisée à des fins inavouées, par example comme manoeuvre dilatoire devant d'autres juridictions.
Il n'est pas nécessaire en l'espèce que la Chambre tranche la question de la recevabilité ou de l'irrecevabilité en toutes circonstances d'une opposition formée au nom d'un "homme de paille", et la Chambre n'entend pas se prononcer dès à présent sur cette question. Elle se bornera à faire observer qu'elle ne voit aucune raison de contester le bien-fondé de la décison rendue dans l'affaire T 10/82 "Opposition; recevabilité/BAYER" (cf. JO de l'OEB n° 10/1983, p. 407), décision par laquelle il a été dénié le droit à un mandataire agréé de former opposition en son propre nom alors qu'il agit pour le compte d'un mandant.
3. Si le problème de l'opposition formée par un titulaire à l'encontre de son propre brevet se pose dans des cas comme celui qui est soumis à la Chambre, c'est parce que:
(1) La CBE, à la différence de la Convention sur le brevet communautaire (CBC) (cf. article 52 de la CBC), laquelle n'est pas encore entrée en vigueur, ne contient pas de disposition autorisant le titulaire d'un brevet européen à solliciter la limitation de son brevet sous la forme d'une modification des revendications, de la description ou des dessins, en adressant à cet effet une demande écrite à l'Office européen des brevets.
(2) En conséquence, s'il ne lui pas possible dans le cas d'un brevet européen de faire limiter le brevet au cours de la procédure d'opposition, le titulaire de ce brevet devra se rabattre sur les procédures de limitation auxquelles il peut faire appel dans le cadre de la législation nationale des Etats désignés, qu'il s'agisse de procédures instituées spécialement à cet effet, ou d'une limitation pouvant intervenir au cours d'une procédure nationale de nullité ou d'une action en contrefaçon. Il en résultera inévitablement semble-t-il une insécurité juridique et des retards dans la procédure, sans parler des frais supplémentaires.
(3) Même dans la cas d'un brevet communautaire la procédure de limitation devrait être suspendue pendant toute la durée d'une procédure de nullité qui aurait le cas échéant été engagée (article 52 (5) de la CBC).
La question posée
1. La réponse au point de droit qui a été soulevé dépend de l'interprétation que l'on donne de l'article 99 (1) de la CBE replacé dans son contexte, en appliquant le cas échéant les principes d'interprétation des traités invoqués antérieurement par la Chambre dans sept affaires, notamment celles qui ont abouti aux décisions Gr 01/83, Gr 05/83 et Gr 06/83 ("deuxième indication médicale") du 5 décembre 1984, publiées au JO de l'OEB n° 3/1985, p. 60 à 70.
Aux termes de l'article 99(1) de la CBE, "toute personne" peut faire opposition au maintien en vigueur du brevet européen délivré, dans un délai de neuf mois à compter de la date de publication de la mention de la délivrance dudit brevet. Dans l'article en question, il n'est apporté aucune restriction à cette expression "toute personne". La Division d'opposition (Section des formalités) a suggéré qu'à la lumière des documents préparatoires à la CBE, qui montrent que l'intention des auteurs de cet article était de réserver aux seuls tiers le droit de former opposition, le lecteur ne pourrait s'empêcher de compléter mentalement l'expression "toute personne" par les mots "à l'exclusion du titulaire du brevet". Mais elle ne cite pas à l'appui de ce qu'elle avance des passages précis de ces documents préparatoires, et la Chambre n'a quant à elle pas trouvé dans ces documents de passages pouvant étayer cette suggestion.
Quoi qu'il en soit, les principes d'interprétation applicables en l'occurence, selon la Chambre (voir supra), exigeraient tout d'abord que l'on remplace le texte de l'article 99(1) de la CBE dans le contexte d'ensemble de la CBE (y compris le préambule de la Convention et le règlement d'exécution), et que l'on se réfère ensuite éventuellement aux documents préparatoires et aux circonstances dans lesquelles a été conclue la Convention
- soit pour confirmer la justesse de l'interprétation découlant de l'application des grands principes d'interprétation
- soit pour dégager la véritable signification de cet article 99(1), lorsque l'application de ces principes laisse subsister une ambiguïté ou une obscurité, ou conduirait à une interprétation manifestement absurde ou invraisemblable.
3. Pour quiconque fonde en conséquence son interprétation sur des bases correctes, il apparaît immédiatement que les dispositions très étudiées de la CBE relatives à l'opposition et à l'examen quant au fond sont destinées à garantir dans toute la mesure du possible que l'Office européen ne délivrera et ne maintiendra en vigueur des brevets européens que si ceux-xi sont jugés valables. L'absence de toute restriction à la suite de l'expression "toute personne" figurant à l'article 99(1) de la CBE semble aller dans le sens de ce principe fondamental. On peut en conclure que sauf en case de détournement manifeste de la procédure, le public a intérêt la plupart du temps à ce que toute opposition soit examinée pour elle-même. Les motifs de l'opposant ne jouent en principe aucun rôle (sinon, nul doute que pour rendre l'idée de "toute personne", on aurait précisé "toute personne intéressée"), bien que sa personne même soit d'une importance essentielle pour la procédure.
4. Même si les procédures d'opposition permettent au public de pouvoir agir comme partie dans des actions mettant en cause la validité de brevets européens après la délivrance, l'on aurait tort de les considérer comme des procédures essentiellement contentieuses qui opposent des parties en conflit et dans lesquelles l'instance qui rend la décision prend une position neutre, comme serait le cas dans une procédure d'annulation portée devant un tribunal national. Les procédures d'opposition engagées devant l'Office européen des brevets ont été conçues comme des procédures d'instruction, ainsi que le souligne la requérante (les oppositions sont "examinées" : article 101 de la CBE), et une fois qu'un opposant a formé une opposition recevable, il peut se cantonner dans un rôle complètement passif ou même retirer son opposition sans que celle-ci prenne fin pour autant (règle 60(2) de la CBE). Il va sans dire que les règles de procédure arrêtées dans le règlement d'exécution doivent s'appliquer comme c'est le cas en pratique - sous une forme modifiée chaque fois qu'une procédure d'opposition se poursuit après que l'opposant a retiré son opposition. Par conséquent, le fait que les dispositions du règlement d'exécution ne règlent pas expressément le cas dans lequel une procédure d'opposition est poursuivie alors qu'il ne reste plus qu'une seule partie ne constitue pas un argument en faveur de la thèse défendue par la Division d'opposition (Section des formalités).
5. En ce qui concerne les objections soulevées par la Division d'opposition (Section des formalités) dans la décision qu'elle a rendue, à savoir que si le titulaire d'un brevet peut faire opposition à son propre brevet, ceci ne manquera pas de poser problème pour l'application de l'article 107 de la CBE (recours), la Chambre tient à faire observer qu'elle ne voit pas là de problème, s'agissant du caractère unilatéral que revêt alors la procédure.
6. La requérante a signalé que dans le texte anglais de l'article 115(1) de la CBE, l'expression "any person" a un sens différent que revêt cette même expression dans l'article 99(1) de la CBE. Cette différence de sens paraît évidente, que l'on considère aussi bien les expressions correspondantes "jeder Dritte" et "tout tiers" utilisées respectivement dans la version allemande et la version française de l'article 115(1) que le titre de ce même article dans les trois langues officielles, lequel fait explicitement référence à des "tiers". De toute évidence, l'utilisation de l'expression "any person" dans le texte anglais de l'article 115 de la CBE ne permet pas d'interpréter l'article 99(1) de la CBE comme signifiant lui aussi uniquement "tout tiers". On peut en conclure que lorsque les auteurs de la Convention ont entendu distinguer entre "any person" et "any third person", ils ont introduit effectivement cette distinction.
7. En ce qui concerne l'observation formulée par la Division d'opposition (Section des formalités) qui a ojecté que la requérante n'a pas prouvé lorsqu'elle a formé opposition que la législation nationale d'un Etat contratant donne également le droit au titulaire d'un brevet de formuler des oppositions contre son propre brevet, la Chambre, après examen de la situation, n'a pu découvrir de décision d'une juridiction d'un Etat contractant interdisant au demandeur ou au titulaire d'un brevet de faire opposition respectivement à sa propre demande, ou à son propre brevet une fois délivré. Il convient de faire observer que dans le passé, la plupart des Etats contractants prévoyaient que l'opposition ne pouvait être formée qu'avant la délivrance, et qu'à ce stade, l'office national pouvait autoriser ou exiger la modification de la demande pour tenir compte des objections soulevées tardivement à l'encontre de la validité de ladite demande.
8. La Chambre estime que les motifs exposés ci-dessus ont suffisamment de poids pour lui permettre de répondre par l'affirmative à la question qui lui a été posée. Il convient de noter que si cette question reçoit une réponse affirmative, la sécurité juridique en sera accrue, toute modification apportée au cours de procédure d'opposition ayant un effet rétroactif (cf. article 68 de la CBE).
9. En même temps, la Chambre tient à préciser que la procédure d'opposition n'a pas été conçue comme un prolongement de la procédure d'examen, et qu'elle ne doit pas être détournée à cette fin.
10. La Chambre estime qu'il n'est ni nécessaire ni opportun de se prononcer sur d'autres questions soulevées par la Division d'opposition (Section des formalités) ou par l'opposante.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit:
La Grande Chambre de recours décide que la question de droit qui lui a été soumise doit recevoir la réponse suivante:
une opposition à un brevet européen n'est pas irrecevable du seul fait qu'elle a été formée par le titulaire du brevet.