T 0201/83 (Alliages de plomb) 09-05-1984
Téléchargement et informations complémentaires:
Modificatios des revendications
Limitation de plages de valeurs
I. La demande de brevet européen n° 80 200 322.8, déposée le 11 avril 1980 et publiée le 10 décembre 1980 sous le numéro 19 945, pour laquelle est revendiquée la priorité de la demande antérieure du 14 mai 1979, a été rejetée par décision de la Division d'examen de l'Office européen des brevets en date du 8 juillet 1983. Cette décision a été rendue sur la base d'une revendication unique, qui s'énonce comme suit:
"Alliage de plomb comprenant 1 à 80 ppm de magnésium et une faible quantité de calcium, caractérisé en ce que la teneur en calcium de l'alliage est de 690 à 900 ppm".
II. Le rejet se fondait sur le fait que l'objet de la revendication s'étendait au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée et qu'il n'était donc pas recevable, conformément à l'article 123 (2) CBE. Alors que les valeurs de 1 à 80 ppm pour le magnésium et la valeur maximum de 900 ppm de calcium dans l'alliage revendiqué étaient décrites en tant que points limites de domaines préférés, la valeur minimum de 690 ppm de calcium était seulement tirée d'un exemple relatif à un alliage spécifique (masse fondue n° 8). La revendication consistait ainsi à isoler une teneur spécifique en calcium du contexte d'un mode de réalisation défini et à l'introduire comme limite inférieure d'un domaine générique. Le domaine résultant, compris entre 690 et 900 ppm, contenait par conséquent "quelque chose de nouveau" par rapport au domaine de 100 à 900 ppm décrit initialement, de sorte qu'il représentait un objet nouveau au sens de l'article 123 (2) CBE.
III. La demanderesse a introduit un recours contre la décision le 1??? septembre 1983, et a ensuite acquitté la taxe correspondante et déposé un mémoire exposant les motifs du recours, dans le délai prescrit. La description contenue dans la demande a été revue et modifiée. La requérante a présenté les arguments suivants à l'appui du recours:
a) La limite inférieure de 690 ppm ne peut représenter un objet nouveau, puisque cette valeur est exposée dans un exemple de réalisation et qu'il n'y a pas de meilleure façon de décrire une invention que par le biais d'un tel exemple. L'homme du métier ne saurait douter que la valeur de 690 ppm de calcium fait partie de l'invention, tout comme c'est le cas pour la limite supérieure de 900 ppm. Si, conformément à la décision de la Chambre dans l'affaire "Méthylène-bis-(phénylisocyanate)/Mobay" (T 02/81, JO n° 10/1982, p. 394 à 402), un domaine spécifique peut être déduit d'un domaine générique et d'un domaine préféré, une déduction semblable devrait être admissible dans le cas présent, par analogie.
b) Les Directives (C-VI, 5.6) font observer que si un dispositif revendiqué est décrit comme étant monté sur des "supports élastiques" et si les dessins, tels qu'interprétés par l'homme du métier, représentent des "ressorts à boudin", cette dernière expression peut être introduite et substituée à la précédente. Dès lors qu'on ne considère pas qu'une telle modification constitue un objet nouveau, il doit en être de même pour l'introduction de la caractéristique tirée d'un exemple, comme l'a fait la demanderesse.
c) En outre, la décision de la Chambre de recours technique dans l'affaire T 54/82 ("Divulgation/MOBIL", JO n° 11/1983, p. 446 à 450) confirme également que le demandeur peut prétendre à la brevetabilité de l'objet d'une revendication fondée sur une combinaison de caractéristiques figurant dans la description de la demande et dans les exemples de réalisation.
IV. Après que la Chambre ait requis une modification de la revendication et indiqué que le texte modifié de la description ne pourrait être acceptable, du fait de certains des changements qu'il comportait, une nouvelle revendication a été déposée et le texte originaire de la demande a été rétabli, comme proposition de variante. La nouvelle revendication s'énonce comme suit:
"Alliage de plomb comprenant une faible quantité de magnésium et de calcium, caractérisé en ce que la teneur en calcium de l'alliage est de 690 à 900 ppm et la teneur en magnésium de 1 à 80 ppm".
V. La requérante demande l'annulation de la décision attaquée et la délivrance du brevet sur la base de la revendication ci-dessus.
1. Le recours répond aux conditions énoncées aux articles 106, 107 et 108 et à la règle 64 CBE; il est donc recevable.
2. L'article 123 (2) CBE, qui régit les modifications avant délivrance, dispose:
"Une demande de brevet européen ... ne peut être modifiée de manière que son objet s'étende au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée".
Les termes utilisés dans la version anglaise de cette disposition sont "extends beyond" et correspondent dans la version française à "s'étende au-delà" et dans la version allemande à "über ... hinausgeht". Des objets étant exposés et définis par leurs caractéristiques essentielles, il n'est permis ni d'étendre ni de réduire leur portée en ajoutant une caractéristique tenant lieu respectivement de variante ou de limitation, qui aille "au-delà" du contenu de la demande, c'est-à-dire qui n'en fasse pas partie. Il est donné à entendre qu'un tel contenu peut, de manière implicite, comprendre également l'état pertinent de la technique à la date du dépôt ("Circuit de commande/LANSING BAGNALL", T 11/82, JO n° 12/1983, p. 479 à 492) et que des caractéristiques connues dans l'état de la technique pourraient ainsi donner lieu à des disclaimers ("Polyéthers-polyols/BAYER", T 04/80, JO n° 4/1982, p. 149 à 154).
3. L'intention que renferme cette disposition est d'éviter des modifications qui permettraient au demandeur de revendiquer un objet qui n'est pas fondé sur la demande telle que déposée. L'examen de conformité avec l'article 123 (2) CBE équivaut fondamentalement à un examen de nouveauté, c'est-à-dire que nul objet nouveau ne doit résulter de la modification. Normalement, l'examen de nouveauté exige que l'on recherche si un document, ou un objet en usage, offre ou non suffisamment d'informations pour que l'homme du métier ait pu en déduire directement et sans aucune équivoque l'objet revendiqué, y compris les caractéristiques contenues sous forme implicite (cf. Directives relatives à l'examen, C-IV, 7.2). Lorsqu'on applique ce principe à une demande de brevet afin de déterminer si une modification proposée est recevable, la première condition à observer est que ce qui résulte de la modification doit être effectivement contenu dans la demande ou encore découler de l'état de la technique pertinent qui est indiqué dans la demande en application de la règle 27 (1) d) CBE. Mais la Chambre est aussi d'avis que cette condition n'est remplie que si l'homme du métier peut identifier directement l'objet correspondant comme une combinaison de caractéristiques qui ressort du document.
4. La description de la demande dont le rejet fait l'objet du recours concerne des alliages de plomb qui contiennent du calcium et du magnésium en des quantités données. Il est nécessaire que le plomb utilisé pour les batteries ait une certaine teneur en calcium. L'inconvénient est cependant que la fusion et l'exposition à l'air diminuent la teneur en calcium, du fait de l'oxydation, alors qu'un excès de calcium réduit la résistance à la corrosion de l'alliage. L'invention résout ce problème par une addition d'infimes quantités de magnésium. Si cela contribue efficacement à empêcher l' "élimination par combustion" du calcium, le magnésium n'en réduit pas moins la résistance à la corrosion s'il est présent en des quantités accrues. Le problème que veut résoudre l'invention consiste donc à fournir un effet protecteur favorable au calcium contenu dans l'alliage, sans perte notable de la résistance à la corrosion.
5. Dans les pièces initiales de la demande, il était suggéré que la teneur en magnésium devait être inférieure à 100 ppm, et une valeur préférée de 1 à 80 ppm était recommandée. La teneur en calcium était limitée à l'origine à une plage de 100 à 900 ppm. Dans les exemples de réalisation et les exemples comparatifs, destinés à illustrer l'efficacité du magnésium pour empêcher la perte en calcium, la teneur en magnésium variait de 20 à 580 ppm. La teneur en calcium variait de 680 à 710 ppm, sans qu'il y eût nécessairement combinaison d'une plus grande quantité de magnésium et d'une plus grande quantité de calcium. En fait, il est souligné dans la demande que "de très faibles pourcentages de magnésium ... empêchent presque complètement l'élimination par combustion du calcium ...". En outre, il est également précisé dans la description générale que "en tout cas, le fait n'est pas absolument que le magnésium soit utilisé au profit du calcium, étant donné qu'afin d'empêcher que le calcium ne soit éliminé par combustion ... point ne faut recourir à une quantité stoechiométrique de magnésium, mais une quantité de magnésium considérablement plus faible est suffisante" (cf. p. 2, lignes 25 à 34). Il apparaît également que le magnésium lui-même n'est pas éliminé par combustion comme le ferait le calcium, et qu'il peut former une très fine pellicule protectrice d'oxyde sur la masse fondue. Cela signifie que le résultat peut aussi dépendre de la forme du produit et qu'un excès de magnésium peut n'avoir pas d'effet additionnel.
6. Alors que la protection du calcium peut, par conséquent, être obtenue avec différentes quantités de magnésium, l'augmentation de la teneur en magnésium peut provoquer une diminution rapide de la résistance à la corrosion (cf. lignes 16 à 21,p. 6 de la demande telle que déposée). Aussi, le demandeur limite-t-il la revendication à une plage particulière où prévaut une très bonne résistance à la corrosion, outre l'effet de protection favorable au calcium. Cependant, il ne fait pas de doute que l'homme du métier peut librement choisir une quantité particulière de calcium, sans être astreint à se conformer à la teneur spécifique en magnésium suggérée dans un exemple en association avec cette quantité de calcium. Les deux composants ont des rôles différents, le calcium déterminant les propriétés mécaniques de l'alliage et le magnésium protégeant ce dernier contre l'oxydation sans avoir à offrir strictement une concentration particulière pour qu'on obtienne pratiquement le même effet. L'invention diffère par conséquent d'autres types de produits de combinaison, dans lesquels un choix particulier d'une limite pour un paramètre a pour effet de restreindre le choix d'un autre, si l'on désire pratiquement atteindre le même résultat. A supposer que le choix de la concentration de l'un de ces composants ait nécessité un choix particulier pour l'autre, indiquant par là une étroite interdépendance des valeurs quantitatives, il n'aurait pas été facilement concevable d'isoler une valeur du reste des conditions exposées.
7. Vu que certains alliages de plomb contenant de faibles quantités de calcium et de magnésium étaient déjà décrits dans l'état de la technique, la requérante est soucieuse de limiter la revendication aux variantes, qui ne renferment pas spécifiquement des alliages déjà connus. Il apparaît qu'un moyen d'y parvenir est de limiter la teneur en calcium à une plage de 690 à 900 ppm. L'ensemble du domaine des valeurs inférieures comprises entre la limite inférieure d'origine de 100 ppm et la nouvelle limite de 690 ppm fait ainsi l'objet d'une exclusion de la revendication. Le choix de la nouvelle limite inférieure proposée est étayé par la masse fondue n° 8, qui contient 690 ppm de calcium, 20 ppm de magnésium et 0,39 2437534'étain. La limite supérieure de 900 ppm était bien entendu déjà décrite par la plage maximum d'origine de 100 à 900 ppm.
8. La première condition à observer pour une modification est que la caractéristique concernée doit figurer explicitement ou implicitement dans l'exposé de l'invention, à l'aide de mots ou de nombres; cette condition est remplie en l'espèce. Il convient alors de se demander si l'homme du métier aurait pu ou non envisager la nouvelle plage à l'intérieur de l'ancienne en isolant une valeur spécifique du contexte de l'exposé. Attendu que, conformément à l'affaire "Méthylène-bis-(phénylisocyanate)/MOBAY", il est possible de combiner certains points de référence d'un domaine général et d'un domaine préféré de valeurs numériques afin de mettre en évidence un domaine partiel tel que décrit implicitement, la question se pose de savoir si l'on peut tout aussi bien considérer la valeur pour la masse fondue n° 8 comme une particularité susceptible de définir un point limite d'un sous-domaine particulier.
9. Bien que la proportion des composants puisse varier entre les limites maximum exposées, l'identité de ces composants demeure inchangée, la modification restreignant seulement l'étendue des choix. Vu le peu de relation existant entre les teneurs particulières en calcium et magnésium pour ce qui est de l'effet obtenu, le spécialiste les traiterait comme des caractéristiques du mélange pouvant être considérées séparément. Il en est de même pour la teneur en étain, qui ne fait qu'augmenter la sensibilité du calcium à l'oxydation. Cela s'apparente au cas du choix de "supports élastiques" appropriés pour un dispositif, selon lequel le demandeur peut, conformément aux Directives, limiter les revendications à des "ressorts à boudin", indépendamment des motifs de préférence, en se fondant sur des dessins où ces caractéristiques sont décrites en même temps que d'autres. Bien qu'un tel élément contribue à l'effet d'ensemble, on peut encore le considérer isolément, du fait du rôle spécifique qu'il joue à lui seul. On se trouve dans le cas présent dans une situation semblable; en effet, la quantité effective de calcium n'est pas rigoureusement assujettie à la teneur particulière en magnésium ou en étain. Lorsqu'elle remplit son rôle spécifique, la teneur de 690 ppm de calcium acquiert un caractère qui lui est propre et devient ainsi identifiable comme un point situé à l'intérieur ou à l'extrémité d'un domaine de possibilités définissant alors un sous-domaine. Il convient en outre de rappeler que le demandeur a le droit de supprimer un nombre important d'exemples, pourvu qu'il conserve matière à étayer ses revendications, conformément à l'article 84 CBE, ce qui pourrait même mettre davantage l'accent sur les valeurs finalement retenues dans les exemples de son choix.
10. La limitation apportée à la revendication ne représente pas une restriction arbitraire du choix des moyens de remplacement disponibles pour atteindre l'objectif poursuivi, c'est-à-dire un choix qualitatif, mais ni plus ni moins qu'une réduction d'une plage de valeurs à une valeur déjà envisagée dans le document, c'est-à-dire un choix quantitatif. Dans le premier cas, on aurait affaire à une sélection parmi de nombreuses combinaisons différentes, chaque mode de réalisation se distinguant qualitativement de toutes les autres possibilités. C'est le cas en chimie, lorqu'une formule générale peut représenter une classe générale à partir d'une combinaison d'une variété de substituants avec une structure commune. Chaque choix peut être nouveau, en l'absence d'un exposé spécifique l'identifiant ou le rendant implicite pour l'homme du métier, et correspond à des différences de nature, plutôt que de degré.
11. Contrairement à ce qui précède, la simple synthèse des quantités décrites spécifiquement pour les mêmes composants s'apparente plutôt à une modification de la taille ou de la forme des constituants d'un dispositif connu. Il a déjà été établi (cf. "Divulgation/MOBIL" T 54/82, JO n° 11/1983, p. 448 à 451) que l'on peut combiner des caractéristiques séparées décrites dans le document initial, sans qu'il en résulte nécessairement un nouvel enseignement. Si le même document contient des indications relatives à des concentrations, des proportions et des grandeurs données, pour un ou plusieurs constituants, le fait de sélectionner une ou plusieurs de ces valeurs numériques bien précises en tentant d'obtenir un moyen ou procédé entrant dans le cadre d'un exposé général relève de la démarche ordinaire de l'homme du métier. Quoi qu'il en soit, même de simples modifications quantitatives des paramètres connus pourraient déjà aboutir à un nouvel enseignement si la distinction met l'accent et repose sur des données qui ne sont pas encore identifiées (cf. Directives relatives à l'examen C-III 4.8). Cela donne ainsi le champ libre aux inventions de sélection relatives aux alliages, à condition que les variantes revendiquées excluent ce qui est déjà décrit, illustré par des exemples ou encore clairement contenu dans l'état de la technique sous forme de classes entières déjà connues et de modes de réalisation particuliers.
12. La modification concernée dans le présent recours, pour le domaine général de la teneur en calcium de l'alliage, n'affecte, du point de vue de la nouveauté, rien qui ne l'ait déjà été par le contenu de l'exposé d'origine. La revendication qui en résulte ne fait qu'apporter des informations sur ses caractéristiques individuelles et sur la combinaison de la limite inférieure de la plage concernée avec le reste des valeurs que l'homme du métier aurait pu identifier comme ressortant explicitement ou implicitement de l'exposé. La modification ne peut non plus être interprétée comme une sélection nouvelle, même si de nouvelles propriétés en résultent. A l'inverse, cette modification paraît ne faire aucun obstacle à d'autres choix fondés sur de nouvelles informations quantitatives à l'intérieur du domaine restant, et elle est donc recevable au regard des exigences de l'article 123 (2) CBE. La Chambre estime que lorsqu'une modification d'une plage de valeurs de concentration, dans une revendication portant sur un mélange, tel qu'un alliage, se fonde sur une valeur particulière décrite dans un exemple spécifique, cette modification est recevable à condition que l'homme du métier puisse identifier aisément cette valeur comme n'étant pas associée aux autres caractéristiques de l'exemple de façon suffisamment étroite pour déterminer l'effet de ce mode de réalisation conforme à l'invention, dans son ensemble, d'une manière singulière et à un degré notable.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit:
1. La décision de la Division d'examen de l'Office européen des brevets en date du 8 juillet 1983 est annulée.
2. La demande est renvoyée à la première instance pour l'examen de la brevetabilité de l'objet de la revendication déposée par lettre du 7 mars 1984 (reçue le 10 mars 1984) et de la recevabilité de toute modification intervenant en conséquence.