3.4. Nouveaux motifs d'opposition
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Dans l'avis G 10/91 (JO 1993, 420), la Grande Chambre de recours a fait remarquer qu'en principe, la division d'opposition n'examine que les motifs d'opposition qui ont été valablement invoqués et motivés, conformément à l'art. 99(1) CBE 1973, ensemble la règle 55c) CBE 1973. À titre exceptionnel, la division d'opposition peut, en application de l'art. 114(1) CBE, examiner d'autres motifs d'opposition qui, de prime abord, semblent en tout ou partie s'opposer au maintien du brevet européen (voir aussi dans le présent chapitre le résumé de l'avis G 10/91 au chapitre IV.C.3.3. ci-dessus). L'exercice par la division d'opposition de ce pouvoir d'appréciation peut faire l'objet d'un réexamen par les chambres de recours, conformément à la décision G 7/93 (voir par ex. T 1005/14).
Dans les décisions G 1/95 et G 7/95 ("Nouveaux motifs d'opposition", JO 1996, 615 et 626 ; procédures jointes), la Grande Chambre de recours a défini en premier lieu les termes "motifs d'opposition" dans le contexte de l'art. 100 CBE, et en particulier dans celui de l'alinéa a), en tenant compte également de l'avis G 10/91 (JO 1993, 408 et 420 – cf. également résumé de l'avis G 10/91 au chapitre IV.C.3.3.). Elle a constaté que l'art. 100 CBE vise à présenter un nombre limité de fondements juridiques, c'est-à-dire un nombre limité d'objections sur lesquelles il est possible de fonder une opposition. Elle a ajouté que tous les "motifs d'opposition" cités à l'art. 100 CBE se retrouvent dans d'autres articles de la CBE, auxquels il convient de satisfaire au cours de la procédure précédant la délivrance. Alors que les motifs d'opposition visés à l'art. 100b) et c) CBE correspondent chacun à un fondement juridique distinct et clairement délimité pour une opposition, les art. 52 à 57 CBE constituent à eux tous plusieurs objections différentes au maintien du brevet, au sens de l'art. 100a) CBE.
Dans l'avis G 10/91, la Grande Chambre a expliqué qu'en application de l'art. 114(1) CBE, une division d'opposition peut, soit d'office, soit à la demande de l'opposant, examiner un motif d'opposition qui n'était pas couvert par l'acte d'opposition, si elle juge ce motif suffisamment pertinent. Lorsqu'une division d'opposition introduit un tel motif d'opposition dans la procédure, elle doit bien entendu préciser dans sa décision s'il y a lieu de considérer que ce motif fait obstacle au maintien du brevet. Dans l'avis G 10/91, la Grande Chambre a employé pour la première fois l'expression "nouveau motif d'opposition" lorsqu'elle a examiné comment il convenait d'appliquer l'art. 114(1) CBE dans la procédure de recours faisant suite à une opposition, cette expression faisant référence à un nouveau fondement juridique d'une objection formée à l'encontre du maintien du brevet, motif qui n'avait pas été invoqué ni développé dans l'acte d'opposition, et que la division d'opposition n'avait pas non plus examiné durant la procédure.
Dans la décision G 1/95 (JO 1996, 615), la Grande Chambre de recours a ensuite considéré que, dans le cas où une opposition a été formée au titre de l'art. 100 a) CBE, mais où les seuls motifs qui avaient été invoqués dans l'acte d'opposition étaient l'absence de nouveauté et d'activité inventive, le motif selon lequel l'objet du brevet n'est pas brevetable au regard de l'art. 52(1) et (2) CBE constitue un nouveau motif d'opposition qui ne peut par conséquent être introduit dans la procédure de recours sans le consentement du titulaire du brevet.
Dans la décision G 7/95 (JO 1996, 626), il a été considéré que lorsqu'une opposition est formée contre un brevet au titre de l'art. 100 a) CBE au motif que l'objet du brevet n'implique pas d'activité inventive par rapport à certains documents cités dans l'acte d'opposition, le motif relatif à l'absence de nouveauté par rapport à ces documents, que l'opposant a invoqué au titre des art. 52(1) CBE et art. 54 CBE constitue un nouveau motif d'opposition, qui ne peut par conséquent être invoqué sans le consentement du titulaire du brevet dans une procédure de recours faisant suite à une procédure d'opposition. Toutefois, l'affirmation selon laquelle les revendications manquent de nouveauté par rapport à l'état de la technique le plus proche peut être prise en considération lorsqu'il s'agit de statuer sur l'absence d'activité inventive.
Dans l'affaire T 13/15, la chambre a fait observer que, lorsque la division d'opposition décide d'admettre ou non un nouveau motif d'opposition, elle doit appliquer le critère de la pertinence de prime abord (voir G 9/91). La division d'opposition n'est toutefois pas tenue d'appliquer ce critère lorsque sont invoqués de nouveaux moyens qui s'inscrivent dans le cadre d'un motif d'opposition et se fondent sur un document déjà admis dans la procédure.
Dans l'affaire T 1340/15, le requérant a fait valoir que le terme "de prime abord" devait être interprété comme signifiant "à première vue" et la question juridique de savoir si les revendications du brevet délivré étaient couvertes ou non par la divulgation initiale de la demande (art. 100c) CBE) ne pouvait pas être tranchée de prime abord. La chambre a estimé que, suivant l'avis G 10/91, la division d'opposition devait uniquement déterminer s'il y avait, de prime abord, des raisons manifestes d'examiner la question de l'ajout d'éléments. Le test de la pertinence de prime abord ne doit pas être interprété de manière excessivement étroite comme signifiant qu'il faut pouvoir conclure catégoriquement "à première vue" à une violation effective de l'art. 123(2) CBE. Dans l'affaire en cause, compte tenu de l'ambiguïté manifeste dans la formulation du passage pertinent, la division d'opposition avait des raisons valables d'admettre le nouveau motif.
Selon la chambre saisie de l'affaire T 514/04, l'objection d'absence de nouveauté soulevée initialement à l'encontre de la revendication 5, qui portait sur un procédé de préparation d'un produit, ne s'étendait pas aux produits obtenus à partir de ce procédé, y compris les produits des revendications 1 à 4, et l'objection d'absence de nouveauté soulevée pour la première fois devant la chambre à l'encontre des revendications 1 à 4 constituait donc un nouveau motif d'opposition.
Dans l'affaire T 1959/09, le titulaire du brevet (intimé) avait demandé à la chambre de soumettre à la Grande Chambre de recours la question de savoir si un motif d'opposition existant équivalait, lorsqu'il était soulevé contre une revendication indépendante différente, à un nouveau motif d'opposition comme indiqué dans la décision G 10/91. À cet égard, il a été renvoyé à la décision T 514/04 (cf. ci-dessus), dans laquelle la chambre avait déclaré que l'étendue et les motifs d'opposition mentionnés à la règle 55c) CBE 1973 (règle 76(2)c) CBE) étaient liés en ce sens qu'une ou plusieurs revendications spécifiques faisaient l'objet d'une opposition en vertu d'un ou de plusieurs motifs déterminés. Le titulaire du brevet a fait valoir qu'il était irrecevable, sans le consentement du titulaire du brevet, d'étendre l'opposition au-delà de ce concept de base qui définissait à la fois la mesure dans laquelle le brevet était initialement mis en cause (cf. G 9/91) et les motifs invoqués à l'origine concernant l'objet contesté en vertu de l'art. 99(1) CBE et de la règle 55c) CBE (cf. G 10/91). La chambre n'a pas reconnu la nécessité d'une telle saisine, étant donné qu'il avait été dûment tenu compte du motif d'opposition visé à l'art. 100c) CBE et de la question de savoir s'il avait été satisfait aux exigences de l'art. 123(2) CBE. Par ailleurs, la chambre a fait une distinction entre la présente espèce, dans laquelle les revendications 1 et 17 de la requête principale faisaient partie toutes deux de la même catégorie et englobaient quasiment le même objet, et l'affaire T 514/04, qui portait sur la question de savoir si un motif d'opposition soulevé à l'encontre d'une revendication de procédé s'appliquait également à une revendication relative à un produit obtenu par ledit procédé. Par conséquent, la décision T 514/04 n'était pas pertinente en l'espèce.
La chambre a noté en passant que la décision G 10/91 ne contient aucun élément permettant de supposer, d'une manière générale, que l'opposant ne peut pas soulever ultérieurement, à l'encontre d'une autre revendication indépendante comprise dans la portée de l'opposition, un motif d'opposition qu'il avait déjà soulevé contre une revendication indépendante. La chambre a estimé que la décision T 514/04 n'avait ni mentionné ni élucidé les passages pertinents de la décision G 10/91 qui étayaient cette supposition. En fait, dans la décision G 10/91, la Grande chambre a considéré qu'un nouveau motif d'opposition était un "motif d'opposition non invoqué dans la déclaration" visée à la règle 55c) CBE 1973" ; rien dans cette décision ne permet de déduire qu'il faille élargir cette notion et l'interpréter autrement que comme signifiant tout motif d'opposition dirigé contre une revendication spécifique, qui n'a pas été invoqué dans la déclaration visée à la règle 55c) CBE 1973 (règle 76(2)c) CBE).