8.1. Définition de la personne du métier
8.1.4 Notion de personne du métier dans la biotechnologie
La notion de personne du métier en biotechnologie est bien définie par la jurisprudence des chambres de recours. L'attitude de la personne du métier est considérée comme conservatrice, ce qui ne signifie pas toutefois qu'elle se montrerait réticente, voire hostile, lorsqu'il s'agirait de modifier ou d'adapter un produit ou un procédé connu, mais plutôt qu'elle se montrerait prudente. La personne du métier n'irait jamais à l'encontre de préjugés bien établis, pas plus qu'il ne tenterait de s'aventurer dans des domaines considérés comme "sacro-saints" ou imprévisibles, et ne prendrait pas de risques incalculables. Cette personne du métier s'efforcerait toutefois d'apporter des changements, modifications ou adaptations appropriés, s'imposant à l'évidence, ne nécessitant que peu d'efforts ou de travail, et ne présentant aucun risque, ou uniquement des risques mesurables, ceci en vue notamment d'obtenir un produit plus commode ou plus pratique, ou de simplifier un procédé. En particulier, elle effectuerait, à partir d'un domaine voisin, un transfert de technologie dans son domaine spécifique, si ce transfert paraissait simple et ne présentait pas de risques manifestes, par exemple impliquant des expériences de routine ne nécessitant que des essais de routine. (T 455/91, JO 1995, 684 ; voir aussi T 500/91, T 387/94, T 441/93, T 1102/00). Si la personne du métier estime au contraire que des travaux de routine définis ne suffisent pas, mais qu'il est nécessaire d'effectuer des recherches scientifiques pour transférer une technologie mise au point tout d'abord dans un domaine de recherche spécifique à un domaine voisin, on peut reconnaître l'existence d'une activité inventive (T 441/93).
On ne saurait attendre de la personne du métier autre chose que de réaliser des expériences avec des moyens de routine et que, ce faisant, elle comble des lacunes dans ses connaissances en recourant aux connaissances existantes (T 886/91, T 223/92, T 530/95, T 791/96).
Dans l'affaire T 60/89 (JO 1992, 268), la chambre a émis l'avis que la personne du métier dans le domaine du génie génétique en 1978 ne saurait être définie comme un lauréat du prix Nobel, même si un certain nombre de scientifiques travaillant dans ce domaine à l'époque s'étaient effectivement vu attribuer le prix Nobel. La personne du métier est plutôt un scientifique titulaire d'un diplôme universitaire ou une équipe de scientifiques de ce niveau, travaillant dans des laboratoires qui, à cette époque, ont évolué de la génétique moléculaire aux techniques du génie génétique. Voir aussi T 500/91, où la chambre a déclaré que le développement de la technique normalement attendu de la personne du métier abstraite – qui peut être représentée par une équipe de spécialistes compétents (T 141/87) – n'incluait pas la solution de problèmes techniques impliquant des recherches scientifiques dans des domaines encore inexplorés (voir aussi T 441/93).
Dans l'affaire T 223/92, la chambre était appelée à examiner les connaissances et les compétences de la personne du métier dans le domaine du génie génétique en octobre 1981, plus d'un an après l'affaire T 500/91. A cette époque, un nombre bien plus important de gènes avaient fait l'objet de méthodes de clonage et d'expression, si bien que le savoir-faire et l'expérience dans ce domaine technique progressaient rapidement. Il y a lieu de considérer que les connaissances de la personne du métier correspondent à celles d'une équipe de spécialistes au fait de toutes les difficultés prévisibles lorsqu'ils envisagent de cloner un nouveau gène. Cependant, il faut supposer que la personne du métier n'a pas l'imagination inventive pour résoudre des problèmes pour lesquels il n'existe encore aucune méthode de résolution courante.
Dans l'affaire T 207/94 (JO 1999, 273), la chambre de recours a déclaré qu'il convenait de supposer que la personne du métier de compétence moyenne ne ferait pas preuve de créativité. On peut toutefois prévoir qu'elle réagira à tout moment d'une manière commune à toutes les personnes du métier, à savoir que toute supposition ou hypothèse sur un éventuel obstacle à la pleine réalisation d'un projet doit toujours se fonder sur des faits. C'est pourquoi, de l'avis de la chambre, l'absence de toute preuve établissant qu'une caractéristique déterminée serait susceptible de faire obstacle à la mise en œuvre d'une invention ne serait pas considérée comme un indice que cette invention serait ou non réalisable.
Dans l'affaire T 455/91 (JO 1995, 684), la chambre a constaté que la personne du métier spécialiste du domaine considéré sait parfaitement qu'une modification structurelle, même mineure, apportée à un produit (tel qu'un vecteur, une protéine, une séquence d'ADN) ou à un procédé (p. ex. un procédé de purification) peut entraîner des changements fonctionnels considérables. Par conséquent, il devrait constamment prendre en considération l'état de la technique et avant d'agir, réfléchirait soigneusement, compte tenu des connaissances existantes, aux conséquences de tout changement, modification ou adaptation qui pourrait être apporté(e). Voir aussi T 867/13.
Dans l'affaire T 412/93, le brevet portait sur la production d'érythropoïétine. Les parties ont convenu que dans cette affaire, la personne du métier devait en fait être une équipe composée de trois membres, dont un chercheur titulaire d'un doctorat et bénéficiant de plusieurs années d'expérience dans le domaine concerné du génie génétique ou de la biochimie, assisté de deux techniciens de laboratoire versés dans les techniques connues pertinentes à l'aspect concerné. Selon les différents aspects examinés, la composition de l'équipe peut varier en fonction des connaissances et des compétences requises pour l'aspect particulier abordé.
La chambre a distingué la présente affaire T 387/94 de l'affaire T 455/91, dans laquelle peu de modifications étaient nécessaires et les domaines voisins étaient très proches. Dans la présente espèce, la situation technique était beaucoup moins bien définie. À la date de priorité pertinente, peu d'informations étaient disponibles sur les mécanismes d'expression des gènes dans les cellules végétales et animales et les conséquences de ces connaissances lorsque les gènes devant être exprimés ne faisaient pas intrinsèquement partie des génomes desdites cellules n'avaient pas fait l'objet de recherches. Les motifs indiqués dans la décision T 455/91 ne pouvaient pas être appliqués ici.
Dans l'affaire T 493/01, l'invention concernait un antigène protecteur potentiellement utile dans un vaccin contre la coqueluche. La chambre a fait remarquer que dans la décision T 455/91 (JO 1995, 684), la personne du métier dans le domaine de la biotechnologie était déjà définie comme prudente et conservatrice. La chambre a déclaré que cela ne signifie pas que la personne du métier s'abstiendra de prendre en considération une information parce qu'elle ne concerne pas le courant de recherche principal dans son domaine de spécialisation ou parce qu'elle ne s'applique qu'à certaines parties du monde. L'expertise et les connaissances de la personne du métier ne sont pas limitées géographiquement ; son point de vue aura plutôt un caractère global. Par conséquent, si un agent pathogène constitue une menace connue dans certaines parties limitées du monde, comme dans le cas présent, la personne du métier ne s'abstiendra pas de tenir compte des connaissances antérieures relatives audit agent pathogène, ni de les utiliser comme base de ses activités.
Dans la décision T 867/13, de selon la chambre, il n'était pas concevable que dans le cas du traitement d'une maladie potentiellement mortelle, la personne du métier ne soit plus motivée pour rechercher de nouveaux traitements ou d'autres traitements possibles uniquement parce qu'il existait un traitement, même si ce dernier était considéré satisfaisant à ce moment-là.