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G 0003/08 (Programmes d'ordinateur) 12-05-2010
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1. Dans l'exercice de son droit de saisine, un Président de l'OEB est habilité à faire pleinement usage du pouvoir d'appréciation que lui confère l'article 112(1)b) CBE, même s'il change d'avis après un laps de temps relativement bref sur la nécessité de saisir la Grande Chambre de recours.
2. Des décisions divergentes rendues par une seule et même chambre de recours technique, siégeant dans des formations différentes, peuvent constituer la base d'une saisine recevable de la Grande Chambre de recours par le Président de l'OEB au titre de l'article 112(1)b) CBE.
3. Comme le texte de l'article 112(1)b) CBE n'est pas clair eu égard à la signification des termes "different decisions/voneinander abweichende Entscheidungen/décisions divergentes, il convient d'interpréter cette disposition à la lumière de son objet et de son but, conformément à l'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Le droit de saisine de la Grande Chambre de recours qui est conféré au Président de l'OEB en vertu de l'article 112(1)b) CBE a pour but d'uniformiser le droit au sein du système du brevet européen. Eu égard à ce but, la notion de "décisions divergentes" doit être interprétée de façon restrictive, dans le sens de "décisions contradictoires".
4. La notion d'évolution du droit est un autre facteur qui doit être examiné minutieusement pour interpréter la notion de "décisions divergentes" visée à l'article 112(1)b) CBE. L'évolution du droit est un aspect essentiel de l'application du droit, quelle que soit la méthode d'interprétation utilisée, et elle est donc inhérente à toutes les activités juridictionnelles. L'évolution du droit ne peut donc constituer en tant que telle la base d'une saisine au seul motif que la jurisprudence relative à de nouveaux domaines juridiques et/ou techniques n'évolue pas toujours de façon linéaire, et des approches antérieures peuvent par conséquent être abandonnées ou changées.
5. Les décisions juridictionnelles se caractérisent non par leur dispositif, mais par leurs motifs. La Grande Chambre de recours est donc susceptible de tenir compte des opinions incidentes pour établir si deux décisions satisfont aux exigences de l'article 112(1)b) CBE.
6. La décision T 424/03, Microsoft, s'écarte d'une opinion exprimée dans la décision T 1173/97, IBM, au sujet de la question de savoir si une revendication relative à un programme sur un moyen déchiffrable par ordinateur échappe nécessairement à l'exclusion de la brevetabilité prévue à l'article 52(2) CBE. Il s'agit toutefois d'une évolution légitime de la jurisprudence et il n'existe aucune divergence qui justifierait la saisine de la Grande Chambre de recours par le Président sur cette question.
7. La Grande Chambre de recours ne peut identifier d'autres incohérences entre les motifs des décisions qui, selon la saisine par la Présidente, seraient divergentes. Par conséquent, la saisine n'est pas recevable au titre de l'article 112(1)b) CBE.
Rappel de la procédure
I. Dans le cadre d'une saisine au titre de l'article 112(1)b) CBE, en date du 22 octobre 2008, la Présidente de l'Office européen des brevets (OEB) a demandé à la Grande Chambre de recours d'examiner une série de questions relatives à la brevetabilité de programmes d'ordinateur (inventions mises en uvre par ordinateur), qui, selon elle, avaient donné lieu à des décisions divergentes des chambres de recours et revêtaient une importance fondamentale au sens de l'article 112(1) CBE. Cette saisine avait été précédée d'une lettre informelle en date du 22 février 2007 de son prédécesseur, M. Alain Pompidou, dans laquelle celui-ci avait indiqué que, contrairement à ce qu'avait suggéré Lord Justice Jacob dans la décision Aerotel/Macrossan en date du 27 octobre 2006 ([2006] EWCA Civ 1371), il n'y avait pas lieu de saisir la Grande Chambre de recours au sujet de la brevetabilité des inventions mises en uvre par ordinateur.
II. Observations des tiers
II.1 Conformément à l'article 10 de son règlement de procédure, la Grande Chambre de recours a invité le public à présenter des observations écrites concernant la saisine par la Présidente (JO OEB 2009, 32). Suite à cette invitation, l'OEB a reçu une centaine d'observations écrites qui peuvent être consultées sur son site Internet, dans la rubrique consacrée à la Grande Chambre de recours. Elles se répartissent à peu près comme suit :
- trente, dont la moitié à titre individuel, ont été déposées par des avocats et des conseils en propriété industrielle, ou par des associations regroupant ces professionnels ;
- cinquante-quatre provenaient d'entreprises, de fédérations de l'industrie et d'autres groupes d'intérêts ; dix-sept d'entre elles avaient apparemment des liens avec le domaine des logiciels libres, et les auteurs de neuf autres ont déclaré être des développeurs individuels (leurs commentaires ainsi que les observations formulées par les partisans des logiciels libres ont été regroupés ci-après en raison de leur forte similitude) ;
- six ont été rédigées par des membres du corps universitaire ;
- deux ont été envoyées par des offices de brevets ;
- neuf émanaient d'autres sources, notamment de particuliers pour six d'entre elles.
II.2 La question de la recevabilité de la saisine a été soulevée dans près d'un quart des observations présentées, principalement par des avocats ou des représentants de l'industrie sans lien avec le domaine des logiciels libres. La grande majorité de ces intervenants ont soit exprimé des "doutes" quant à la recevabilité, soit allégué que la saisine n'était en aucun cas recevable.
Les trois quarts des observations présentées ont répondu à une partie ou à l'ensemble des questions individuelles de la saisine. Souvent, voire presque toujours, ces réponses ont toutefois revêtu la forme de commentaires ou d'observations, plutôt que de réponses classables en "oui" ou en "non". Pour cette raison, la Grande Chambre n'essaiera pas de faire une analyse statistique des réponses aux questions.
La jurisprudence des chambres de recours de l'OEB a été analysée dans environ un tiers des observations. Dans la plupart des autres cas, les tiers ont soit invoqué la jurisprudence nationale (y compris aux Etats-Unis), soit indiqué quelle était, de leur point de vue, l'interprétation correcte de la CBE, ou encore fait des déclarations générales sur la base de considérations d'ordre politique.
II.3 Un grand nombre d'intervenants ont exprimé à cette occasion leur opinion sur la question de savoir si la délivrance de "brevets de logiciels" était une bonne ou une mauvaise chose. Environ un tiers, dont l'ensemble des entreprises et groupes partisans des logiciels libres ainsi que les développeurs individuels, a estimé qu'il y avait lieu de limiter davantage (et généralement très strictement) la pratique actuelle en matière de délivrance, tandis que près de 30 % ont semblé favorable au maintien de conditions de délivrance plus ou moins identiques à celles en vigueur, et quelque 10 % se sont prononcés pour une extension de la brevetabilité. Environ 30 % ont approuvé explicitement ou implicitement la jurisprudence générale actuelle des chambres de recours concernant les inventions mises en uvre par ordinateur. Cette proportion de 30 % et les observations invoquant l'irrecevabilité de la saisine sont très faiblement corrélées, ce qui peut surprendre.
II.4 Un intervenant a fait valoir que la Grande Chambre de recours (et plus particulièrement l'un de ses membres) n'était pas impartiale. En application de l'article 4(1) du règlement de procédure de la Grande Chambre de recours et de l'article 24(4) CBE, la Grande Chambre, délibérant sans le membre concerné, a statué, dans une décision intermédiaire en date du 16 octobre 2009, que la formation initiale resterait inchangée.
Motifs de l'avis
Recevabilité de la saisine
1. L'article 112(1)b) CBE dispose qu'afin d'assurer une application uniforme du droit ou si une question de droit d'importance fondamentale se pose, le Président de l'OEB peut soumettre une question de droit à la Grande Chambre de recours lorsque deux chambres de recours ont rendu des décisions divergentes sur cette question.
2. La première question soulevée par la présente affaire est de savoir si la saisine par la Présidente pourrait être irrecevable au motif que, dans une lettre en date du 22 février 2007 adressée à Lord Justice Jacob, son prédécesseur avait refusé, seulement un an auparavant, de soumettre à la Grande Chambre des questions liées à la brevetabilité des inventions mises en uvre par ordinateur. En d'autres termes, il convient de s'interroger sur l'éventuelle déchéance du droit de saisine conféré au Président si aucune autre décision apportant de nouveaux éléments sur ces questions n'a été rendue dans l'intervalle.
Dans l'exercice de son droit de saisine, un Président est habilité à faire pleinement usage du pouvoir d'appréciation que lui confère l'article 112(1)b) CBE. Même après un laps de temps relativement bref, il peut changer d'avis en ce qui concerne la nécessité de saisir la Grande Chambre, par exemple au motif qu'il n'évalue plus de la même façon la jurisprudence des chambres de recours et que la divergence perçue a donc selon lui une incidence plus importante pour la pratique de l'Office qu'il ne le pensait au début. Il se peut également, comme c'est le cas en l'espèce, qu'un nouveau Président soit entré en fonctions et que son point de vue diffère de celui de son prédécesseur. Il en découle que le droit de saisine ne peut être considéré comme ayant été épuisé dans la présente affaire.
3. La Grande Chambre de recours doit donc examiner si les questions soulevées dans le cadre de la saisine du 22 octobre 2008 sont recevables au titre de l'article 112(1)b) CBE, étant donné
i) qu'une réponse est nécessaire afin d'assurer une application uniforme du droit, ou qu'il s'agit de questions de droit d'importance fondamentale
et
ii) que deux chambres de recours ont rendu des décisions divergentes sur les questions soumises.
4. En ce qui concerne le premier critère de recevabilité auquel toute saisine doit satisfaire, qu'elle ait été introduite par une chambre de recours au titre de l'article 112(1)a) CBE ou par le Président au titre de l'article 112(1)b) CBE, la Présidente affirme que la saisine a pour objet l'application de l'exclusion des programmes d'ordinateur en tant que tels, et qu'elle revêt donc une importance fondamentale.
4.1 La brevetabilité des inventions mises en uvre par ordinateur fait bien entendu l'objet depuis longtemps de débats animés dans la pratique administrative et juridictionnelle ainsi que dans la littérature pertinente des pays disposant de systèmes de brevets élaborés, en particulier dans le champ d'application territorial de la CBE. Dans ces pays, qui appliquent des règles nationales pourtant largement harmonisées à l'échelle européenne en matière d'objets brevetables, ce problème a donné lieu non pas tant à des verdicts divergents des juridictions qu'à des raisonnements sous-jacents parfois différents. De plus, il y a quelques années, le Parlement et le Conseil européens ont lancé une initiative, qui a finalement échoué, pour harmoniser au moyen d'une directive (COM (2002) 92 final - 2002/0047 (COD)) les règles de droit en matière de brevetabilité des inventions mises en uvre par ordinateur au sein de l'Union européenne. Bien que des décisions rendues récemment par les tribunaux convergent nettement, il n'est toujours pas possible de déceler une approche uniforme sur la question de savoir où doit se situer la ligne de démarcation entre les demandes relatives à des programmes d'ordinateur en tant que tels, qui sont exclus de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2)c) et (3) CBE, et celles relatives à des solutions techniques brevetables revêtant la forme d'inventions mises en uvre par ordinateur.
(Voir cependant les décisions de plus en plus convergentes de la chambre de recours technique de l'OEB 3.5.01, en date du 15 novembre 2006, dans l'affaire T 154/04 - Duns Licensing ; du Tribunal de Grande Instance de Paris dans l'affaire 2001/11641, PIBD n° 867 III p. 59 - Infomil (s'agissant du brevet, consulter également la décision de la chambre de recours technique 3.5.01, en date du 22 octobre 2008, dans l'affaire T 116/06, qui a rejeté le recours formé par le titulaire contre la révocation de son brevet par la division d'opposition) ; de la Cour d'appel d'Angleterre et du Pays de Galle, en date du 8 octobre 2008, Civ 1066 - Symbian Limited ; de la dixième chambre civile de la Cour fédérale de justice allemande, en date du 20 janvier 2009, GRUR 2009, 479 - Steuerungseinrichtung für Untersuchungsmodalitäten ; et, aux Etats-Unis, de la Cour d'appel pour le Circuit fédéral, en date du 10 octobre 2008, 2007 - 1130 dans l'affaire Bilski.)
4.2 Etant donné le poids économique de ces inventions dans de nombreux domaines techniques, ainsi que le débat public animé qui en découle au sujet de leur brevetabilité et les nombreux cas instruits par les chambres de recours techniques de l'OEB et par diverses juridictions nationales, il n'y a aucun doute sérieux sur le fait que le thème général ayant donné lieu à la saisine revêt une importance fondamentale.
5. Les dimensions mondiales du débat ne signifient évidemment pas que deux chambres de recours ont nécessairement rendu des décisions divergentes au sens de l'article 112(1)b) CBE. Il découle clairement du texte de cet article que les décisions d'autres juridictions (nationales) n'entrent pas en ligne de compte pour l'examen de la recevabilité d'une saisine. Ces juridictions ne font pas partie de l'Organisation européenne des brevets, et aucune disposition de la CBE ne confère à leurs décisions un caractère contraignant pour l'Office.
6. S'agissant de la signification de l'expression "décisions divergentes" rendues par deux chambres de recours de l'OEB, le fait que, comme cela est le cas en l'espèce, les décisions citées à l'appui de la saisine ont été prises dans le cadre des compétences d'une seule chambre de recours siégeant dans des formations différentes peut avoir son importance. Certains pourraient penser, ce qui ne serait pas déraisonnable, que cela n'est pas conforme au texte de l'article 112(1)b) CBE, selon lequel la saisine par le Président est recevable à condition que deux chambres de recours aient rendu des décisions divergentes.
Dans l'affaire G 4/98 (JO OEB 2001, 131), la Grande Chambre a formulé à ce propos les observations suivantes concernant des décisions divergentes de la chambre de recours juridique :
Ainsi que l'énonce la première phrase de l'article 112 CBE, la saisine de la Grande Chambre de recours a notamment pour objet d'assurer une application uniforme du droit. Cela est particulièrement vrai lorsque, conformément à l'article 112(1)b) CBE, la saisine émane du Président de l'OEB, puisqu'alors soumise à l'exigence de l'existence de décisions divergentes. Si le pouvoir du Président de l'OEB de saisir la Grande Chambre devait se définir sur une interprétation étroite des termes "deux chambres de recours" comme signifiant autant d'unités administratives différentes, il serait impossible de déférer à la Grande Chambre des décisions de la chambre de recours juridique, dès lors que celle-ci ne forme qu'une même unité administrative. Cela aurait pour effet de restreindre à l'excès le champ d'application de l'article 112 CBE, dans la mesure où des décisions divergentes peuvent à l'évidence être également rendues dans des affaires relevant de la compétence de cette chambre qui, en tant qu'unité administrative, comprend tous les membres juristes des chambres de recours (à l'exception des juristes présidents de chambres de recours techniques), et qui siège donc dans nombre de compositions différentes. Dans ce contexte, il échet de noter que la CBE ne définit pas la chambre de recours juridique comme une unité administrative, mais par sa seule composition, ce qui renforce l'argument selon lequel des décisions divergentes rendues par cette chambre peuvent fonder une saisine de la Grande Chambre par le Président de l'OEB, du moins lorsqu'elle a siégé dans une composition différente. Comme tel est le cas en l'espèce, il n'est pas nécessaire d'examiner si une saisine par le Président de l'OEB serait également recevable dans le cas où la chambre de recours juridique aurait rendu des décisions divergentes dans la même composition. Il n'y a pas lieu non plus de se prononcer sur la recevabilité d'une saisine dans le cas où la présente situation se serait présentée non pas dans la chambre de recours juridique, mais dans l'une des chambres de recours techniques. Enfin, il n'y a pas à examiner si la compétence dont jouit le Président de l'OEB pour saisir la Grande Chambre est limitée par la compétence de la chambre de recours juridique à développer sa propre jurisprudence en abandonnant sa jurisprudence antérieure (cf. Singer/Stauder, loc. cit.). En l'espèce, rien ne prouve qu'une telle évolution était intentionnelle dans la décision J 22/95, bien au contraire. Le point 7.2 des motifs de cette décision précise en effet qu'il n'existe pas dans la présente affaire de précédents contradictoires (point 1.2 des motifs, deuxième paragraphe).
Dans cet avis, la Grande Chambre de recours n'avait pas à se prononcer sur la recevabilité d'une saisine présentée au motif qu'une seule et même chambre de recours technique avait rendu des décisions divergentes, comme cela est le cas dans la présente affaire. Cependant, les mêmes raisons que celles mentionnées dans l'avis G 4/98 pour justifier la recevabilité d'une saisine qui s'appuyaient sur les décisions divergentes de la chambre de recours juridique peuvent être invoquées ici, notamment parce qu'une saisine par le Président a pour objet et pour but d'assurer l'application uniforme du droit au sein de l'Organisation, dans l'intérêt de la sécurité juridique. En tant qu'unité administrative, une seule et même chambre, qu'elle soit juridique ou technique, peut être à l'origine d'une application non uniforme du droit justifiant une saisine, et aucune distinction ne saurait donc être opérée entre la chambre de recours juridique (affaire G 4/98) et une chambre de recours technique. Le fait de déclarer une saisine par le Président irrecevable au simple motif qu'il n'a pas été satisfait à l'exigence de forme selon laquelle deux chambres de recours doivent être impliquées, procèderait d'une approche trop restrictive. Cela est vrai pour le moins lorsque, comme en l'espèce, la chambre de recours a rendu les décisions prétendument divergentes dans des formations différentes (cf. également Joos dans Singer/Stauder, The European Patent Convention, 5e édition, 2010, Article 112, note 25). Il est inutile ici de chercher à savoir quelle serait la situation si la chambre de recours avait rendu les décisions prétendument divergentes dans la même formation. Bien entendu, le fait de considérer la saisine comme recevable eu égard à la question de l'instance qui a pris les décisions prétendument divergentes ne signifie pas que la saisine peut être considérée recevable dans son ensemble. Pour que cela soit le cas, il faudrait que la chambre concernée ait rendu effectivement des "décisions divergentes" au sens de l'article 112(1)b) CBE. Cet aspect est examiné ci-après.
7. Pour apprécier la recevabilité de la saisine, il est essentiel d'établir le sens qu'il convient d'attribuer à la notion juridique non définie "different decisions"/"abweichende Entscheidungen"/"décisions divergentes" à l'article 112(1)b) CBE. Des décisions sont-elles divergentes si, par exemple, elles parviennent au même verdict pour des motifs différents ? Qu'en est-il de deux décisions distantes l'une de l'autre dans le temps ? Dans ce cas, une chambre de recours technique se conforme-t-elle manifestement à la jurisprudence antérieure qui a été citée pour justifier une divergence, ou l'a-t-elle explicitement ou implicitement abandonnée dans l'intervalle ? Qu'en est-il si les divergences invoquées résultent de développements juridiques à long terme qui influent sur l'appréciation de la brevetabilité de nouveaux objets ? Comment des décisions divergentes se situent-elles par rapport à d'autres décisions des chambres de recours ?
7.1 Le sens à attribuer à la notion-clé de "décisions divergentes" utilisée à l'article 112(1)b) CBE doit être déterminé en premier lieu en s'appuyant sur le texte de cette disposition dans toutes les versions officielles de la CBE, celles-ci faisant également foi (article 177(1) CBE). Ce texte ne semble pas toutefois apporter de réponse claire. Les termes allemand, anglais et français employés (respectivement "abweichend", "different" et "divergentes") ne paraissent pas avoir des connotations tout à fait identiques. Dans l'édition de 1978 du dictionnaire anglais-allemand Cassell, le terme "different" est traduit en allemand par "anders, verschieden, andersartig, abweichend, ungleich, verschiedenartig", tandis que, selon le dictionnaire français-anglais Harrap's (réimpression de 1988), le terme français "divergent" équivaut en anglais à "divergent" et non à "different", et que, selon l'édition de 1999 du Grand Dictionnaire Larousse allemand-français, il correspond en allemand par exemple à "divergierend, auseinanderlaufend, abweichend". Il en résulte des écarts entre les contenus sémantiques (abweichend/different/divergent) des trois versions. Des décisions "différentes" pourraient apparemment désigner des décisions distantes dans le temps, indépendamment de la question de savoir si elles peuvent encore réellement prétendre à une quelconque validité au vu des changements intervenus entre-temps dans la jurisprudence. Des décisions "divergentes" feraient en revanche penser à des décisions qui ne vont pas dans le même sens, qui, en d'autres termes, varient sur le fond, tout en étant proches l'une de l'autre dans le temps. Le texte de la disposition ne permet donc pas à lui seul de répondre clairement à la question.
7.2 Tout texte ambigu dans un traité international, y compris une convention sur la propriété industrielle, doit être interprété à la lumière de son objet et de son but (Article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, dont les règles d'interprétation des traités doivent être appliquées à la CBE (cf. décisions G 6/83, JO OEB 1985, 67, points 3 s. des motifs ; G 2/02 et 3/02, JO OEB 2004, 483, points 5.2 s. des motifs ; G 1/07, en date du 15 février 2010, point 3.1 des motifs ; G 2/08, en date du 19 février 2010, point 4 des motifs)), et si l'on considère l'objet et le but de l'article 112(1)b) CBE dans le contexte de la CBE, de nombreux éléments suggèrent que l'expression "décisions divergentes" correspond au deuxième sens énoncé au paragraphe ci-dessus (pour ce qui est de l'approche suivie par la Grande Chambre de recours en matière d'interprétation, cf. Schachenmann, Die Methoden der Rechtsfindung der Großen Beschwerdekammer, GRUR Int. 2008, 702/704 s. ; Stauder dans : Singer/Stauder, Europäisches Patentübereinkommen, 5e édition, 2010, Article 177, en différents endroits, avec indications supplémentaires).
7.2.1 Conformément à l'approche constitutionnelle actuelle, la possibilité de prévoir et de contrôler toutes les actions de l'Etat sont des éléments indispensables d'un ordre juridique démocratique fondé sur la séparation des pouvoirs, l'Etat de droit et le respect des droits de l'homme, y compris les garanties fondamentales de procédure. Au niveau national, tous les Etats parties à la CBE ont souscrit sur le fond à ces principes, malgré des différences de traditions constitutionnelles et plusieurs réserves émises par certains d'entre eux. Etant donné qu'un Etat de droit ne saurait adhérer à un traité international qui porterait atteinte aux garanties constitutionnelles de ses citoyens, l'OEB doit défendre ces principes fondamentaux soit explicitement (cf. par exemple l'article 113 CBE), soit implicitement (par exemple les principes de liberté et d'égalité) (voir par exemple les décisions G 3/98, JO OEB 2001, 62, point 2.5.3 des motifs ; G 2/02 et G 3/02, point 7.2 des motifs ; T 377/95, JO OEB 1999, 11, points 33 à 36 des motifs ; T 1193/02, en date du 18 mars 2005, point 10 des motifs ; T 190/03, JO OEB 2006, 502, point 10 des motifs).
L'Organisation européenne des brevets est une organisation internationale intergouvernementale, fondée à l'image d'un ordre étatique moderne et reposant sur le principe de la séparation des pouvoirs, à laquelle les Etats contractants souverains ont confié l'exercice de certaines de leurs prérogatives nationales dans le domaine des brevets. La CBE confère ainsi à l'Office le pouvoir exécutif de délivrer des brevets, et à son Président celui de gérer l'Office sur le plan organisationnel (Articles 4(3) et 10 s. CBE), tandis qu'elle attribue au Conseil d'administration des pouvoirs législatifs qui sont limités aux règles de degré inférieur (Article 33 CBE), ainsi que des pouvoirs dans le domaine des finances et du contrôle. Enfin, les chambres de recours, qui ne sont liées dans leurs décisions que par la CBE (Article 23(3) CBE), se voient conférer les fonctions de juridiction indépendante dans ce système des brevets (Articles 21 à 23 CBE ; cf. également décision G 6/95, JO OEB 1996, 649, points 2 s. des motifs) même si, pour l'heure, conformément à l'article 4(2) CBE et à la première partie, chapitre III CBE, elles ne sont pas un organe indépendant de l'Organisation, mais des instances structurellement intégrées de l'Office, conformément à l'article 15 CBE.
7.2.2 A l'instar des juridictions de toute entité démocratique fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs, les chambres de recours de l'OEB garantissent, en tant qu'instances juridictionnelles indépendantes, la bonne administration de la justice au sein de l'Organisation. Elles se voient également accorder la primauté pour interpréter la CBE relativement à son champ d'application (cf. également article 23(3) CBE). Conformément à l'article 21(1) CBE, elles sont compétentes pour réviser les décisions prises par l'Office dans le cadre des procédures de délivrance et d'opposition. Leur interprétation de la CBE constitue la base de la pratique établie par l'Office pour l'examen des demandes de brevets et des oppositions formées contre les brevets délivrés. Le droit de saisine conféré au Président serait sinon dénué d'objet.
En revanche, l'interprétation de la CBE ou de dispositions nationales équivalentes par les tribunaux des Etats contractants n'a pas d'incidence directe pour les instances de l'Office. Cela ne signifie pas toutefois qu'en interprétant la Convention, les chambres de recours ne devraient pas tenir compte de décisions nationales pertinentes sur le droit européen harmonisé des brevets, conformément à la pratique courante. Cela découle de la philosophie d'harmonisation qui sous-tend la CBE.
7.2.3 Un autre élément essentiel d'un ordre juridique démocratique réside dans le principe selon lequel l'autorité publique est liée par le droit et la justice. Ce principe, ainsi que celui, complémentaire, de l'application uniforme du droit, visent à garantir la prévisibilité des systèmes juridiques et, partant, la sécurité juridique, en empêchant tout acte arbitraire. Ceux qui sont assujettis au droit - dans le cas de la CBE, les parties à la procédure devant l'Office mais aussi le public - doivent pouvoir s'attendre à ce que l'Office, en tant qu'administration délivrant des brevets, et, par la suite, les chambres de recours règlent des affaires de même nature de la même manière, et utilisent des arguments et des méthodes compréhensibles pour justifier toute différence sur le fond dans les décisions qui sont prises. Pour les raisons citées, ces principes constituent en outre des préceptes essentiels pour l'administration et le régime juridique du système du brevet européen, tels que codifiés dans la CBE. Le respect de ces principes incombe en dernier ressort aux chambres de recours, y compris à la Grande Chambre de recours, celle-ci n'intervenant toutefois que dans le contexte de saisines par les chambres de recours et par le Président au titre de l'article 112(1) CBE, ou lorsque des requêtes en révision sont présentées (Article 112bis CBE).
7.2.4 Conformément à ces principes, l'article 112 CBE, à l'instar des dispositions correspondantes dans les ordres juridiques des Etats contractants, définit les conditions dans lesquelles il est possible d'uniformiser le droit au sein du système du brevet européen en saisissant la Grande Chambre de recours. Ainsi, les chambres de recours (Article 112(1)a) CBE) ou le Président (Article 112(1)b) CBE) doivent juger la saisine nécessaire pour assurer une application uniforme du droit ou lorsque des questions de droit d'importance fondamentale se posent. Un autre critère de recevabilité dans le cas d'une saisine par le Président est que deux chambres de recours doivent avoir rendu des décisions divergentes sur la question faisant l'objet de la saisine. Par conséquent, la Grande Chambre de recours ne statue pas sur des questions de droit abstraites, mais uniquement sur des questions concrètes découlant de décisions divergentes, ainsi que sur des questions de droit spécifiques soulevées dans la saisine (cf. Moser dans : Europäisches Patentübereinkommen, Münchner Gemeinschaftskommentar, 20e édition 1997, article 112, note 28 ; van Empel, The Granting of European Patents, 1975, note 524). Il convient de noter que le Président n'est pas partie à la procédure de saisine, puisqu'il ne peut être lésé par les réponses de la Grande Chambre.
7.2.5 Il est donc manifeste que l'interprétation de la CBE relève avant tout de la compétence des chambres de recours. Elles ont normalement la primauté pour interpréter la CBE, et leurs décisions ne peuvent être révisées que dans les conditions strictement définies aux articles 112(1) et 112bis(2) CBE. La Grande Chambre n'a le dernier mot que lorsque ces conditions s'appliquent. L'importance du rôle joué par la Grande Chambre au regard de l'uniformité du droit est clairement mis en évidence par le fait qu'elle n'intervient que si elle a été saisie par les chambres de recours ou par le Président (à l'exception des requêtes en révision prévues par l'article 112bis CBE, qui ne concernent toutefois que des aspects procéduraux et sont d'une portée très limitée), et qu'elle ne constitue donc pas une instance supplémentaire d'un degré supérieur à celui des chambres de recours au sein du système juridictionnel de la CBE. Il découle des critères exhaustifs de recevabilité d'une saisine énoncés à l'article 112(1)a) et b) CBE que la Grande Chambre statue sur des questions de droit spécifiques, et que ni les chambres de recours ni le Président ne sont habilités à la consulter à volonté pour clarifier des questions de droit abstraites. Le Président a la possibilité de faire appel, à cette fin, à un service juridique distinct au sein de l'Office.
7.2.6 Pour les mêmes raisons restrictives, la saisine de la Grande Chambre par le Président est soumise, conformément à l'article 112(1)b) CBE, à une exigence supplémentaire par rapport à une saisine par les chambres de recours, à savoir que deux chambres de recours doivent avoir rendu des décisions divergentes sur une même question de droit (dans le sens déjà mentionné). Le critère relatif aux "décisions divergentes" semble indiquer que le Président n'est autorisé à saisir la Grande Chambre que lorsqu'il existe dans la jurisprudence une divergence ou, mieux, une contradiction qui entrave, voire empêche l'alignement de la pratique de l'Office en matière de délivrance de brevets sur la jurisprudence des chambres de recours. Il est évidemment indifférent qu'un tiers soit à l'origine de l'initiative qui a conduit à la saisine, pour autant qu'une application divergente du droit peut être objectivement démontrée.
7.2.7 Compte tenu de son objet et de son but, le droit de saisine ne va pas jusqu'à autoriser le Président, pour quelque raison que ce soit, à saisir la Grande Chambre afin de substituer la décision d'une instance d'un degré prétendument supérieur aux décisions des chambres de recours relatives à la brevetabilité des inventions mises en uvre par ordinateur. Ainsi, une saisine par le Président ne saurait être recevable au simple motif que le Parlement et le Conseil européens n'ont pas réussi à adopter une directive sur la protection par brevets des inventions mises en uvre par ordinateur, ou que la cohérence des décisions des chambres de recours est mise en doute par un groupe de pression très actif (cf. saisine actuelle, page 2, point 1, paragraphe 3). De même, la Grande Chambre de recours ne saurait prendre en considération que dans les limites permises par la CBE le souhait pourtant fondamentalement louable d'une harmonisation exprimé par Lord Justice Jacob dans la décision Aerotel/Macrossan, même si la suggestion de ce dernier pourrait faire avancer sensiblement la cause de l'uniformité du droit en Europe. Lorsque le droit ne peut plus se développer sous l'impulsion de la voie juridictionnelle, il est temps pour le législateur de prendre le relais.
7.3 La notion d'évolution du droit est un autre aspect à examiner attentivement pour interpréter la notion de "décisions divergentes" figurant à l'article 112(1)b) CBE, comme cela a parfois été rappelé dans la littérature (par exemple Teschemacher, Der Beitrag des Präsidenten des Europäischen Patentamts zur Rechtsprechung der Großen Beschwerdekammer - eine erste Bestandsaufnahme, GRUR 1993, 320/326 s.) et dans diverses observations de tiers.
7.3.1 L'évolution du droit est un aspect essentiel de l'application du droit, quelle que soit la méthode d'interprétation utilisée par le juge, et il est donc inhérent à toutes les activités juridictionnelles. Par conséquent, toute subsomption d'une affaire spécifique sous un règlement abstrait peut même être considérée comme participant, dans une certaine mesure, de l'évolution du droit. Cela vaut particulièrement en droit anglo-saxon, dans lequel une décision concernant une affaire particulière a une incidence beaucoup plus étendue en tant que précédent que des jugements en droit civil continental. L'évolution du droit ne saurait donc constituer en tant que telle la base d'une saisine, au seul motif que la jurisprudence relative à un nouveau domaine juridique n'évolue pas toujours de façon linéaire, et des approches antérieures peuvent par conséquent être abandonnées ou changées.
Le critère des "décisions divergentes" visé à l'article 112(1)b) CBE perdrait autrement tout son sens. Si l'évolution du droit peut sembler de prime abord conduire à des décisions divergentes au sens de cette disposition, il ne saurait justifier en soi une saisine de la Grande Chambre. Une saisine n'est justifiée que si les décisions d'au moins deux chambres de recours entrent en conflit avec le principe de l'uniformité du droit. L'objet et le but de l'article 112(1)b) CBE sont de faire rétablir, par une décision de la Grande Chambre de recours, l'uniformité du droit lorsque celle-ci a manifestement été rompue, et non d'intervenir dans l'évolution du droit. Ce point sera traité plus en détail dans les paragraphes suivants.
7.3.2 Conformément au texte en vigueur de la CBE, c'est aux chambres de recours qu'il appartient en définitive d'interpréter la CBE et ses nombreux termes juridiques non définis (cf. point 7.2.5 ci-dessus). Celles-ci sont compétentes pour définir la manière dont le droit doit être appliqué et, le cas échéant, adapté à l'évolution du droit des brevets. Dans chaque affaire, il importe à un degré plus ou moins important de savoir si la situation est couverte par une disposition formulée de façon abstraite. Ainsi, la jurisprudence a progressivement attribué à des notions comme l'invention, la nouveauté, l'activité inventive et la possibilité d'application industrielle, des significations de plus en plus précises sur lesquelles l'Office et les autres parties prenantes au système des brevets peuvent s'aligner dans leur pratique quotidienne. Compte tenu de la direction que le droit des brevets a prise sous l'impulsion de la jurisprudence des chambres de recours, les recours formés contre des décisions des divisions d'examen et d'opposition s'inscrivent la plupart du temps dans des limites sûres au plan juridique.
7.3.3 En particulier dans le domaine des nouvelles technologies, les chambres de recours techniques doivent souvent procéder à un réexamen critique de leur jurisprudence constante, en suivant des procédures juridictionnelles et des principes juridiques généralement admis, afin de décider si les termes juridiques non définis figurant dans la CBE, qui sont souvent formulés de manière très large, sont applicables à la nature spécifique du nouveau domaine, ce qui signifie notamment qu'elles doivent établir si la jurisprudence existante, largement admise, propose également des solutions acceptables dans ce nouveau domaine. Il est parfaitement concevable que pour interpréter des termes juridiques non définis à la lumière du but et des principes de la CBE, il soit nécessaire d'opérer d'autres distinctions qui, en fonction de ce qu'elles incluent ou excluent, sont susceptibles de déterminer si un brevet peut être délivré ou doit être rejeté dans un cas particulier.
7.3.4 Lorsque la jurisprudence s'engage dans un nouveau domaine juridique, il convient de faire preuve de prudence, afin d'éviter des prises de position qui se révèleront intenables dans l'affaire suivante. Toutefois, il n'est pas exclu qu'au fil du temps, des remaniements répétés soient nécessaires lorsque des solutions juridiques jugées au départ correctes par les chambres s'avèrent en définitive inadéquates dans de nouvelles situations et ne sont plus convaincantes. De tels changements de cap dans l'évolution du droit sont une composante normale des activités juridictionnelles, et l'on ne saurait parler de "décisions divergentes", au sens de l'article 112(1)b) CBE, lorsqu'un abandon de la pratique antérieure est considéré comme nécessaire pour parvenir à la solution appropriée dans une affaire particulière (cf. toutefois Moufang dans : Schulte, Patentgesetz mit EPÜ, 8e édition 2008, Article 112 CBE (annexe au paragraphe 73) note 42).
7.3.5 Il en découle que même un changement radical dans la jurisprudence ne doit pas nécessairement être considéré comme une décision divergente, au sens de l'article 112(1)b) CBE, par rapport à la jurisprudence antérieure, pour autant que la chambre se corrige elle-même et déclare, généralement de façon explicite, que sa pratique antérieure n'est plus pertinente. Le Président n'est pas autorisé à saisir la Grande Chambre au simple motif qu'il préfère la décision antérieure (cf. Joos dans : Singer/Stauder, Europäisches Patentübereinkommen, 5e edition 2010, Article 112, note 25 ; cf. toutefois Moufang dans : Schulte, Patentgesetz mit EPÜ, 8e édition 2008, Article 112 CBE (annexe au paragraphe 73) note 42). Ce type de corrections est une composante normale de l'application et de l'évolution du droit et ne constitue pas une divergence que l'on pourrait corriger au moyen d'une saisine de la Grande Chambre par le Président, en passant outre au pouvoir des chambres en matière d'interprétation. De fait, lorsque des changements de ce type sont identifiés comme tels, l'Office, en tant qu'administration chargée de délivrer des brevets, sait parfaitement comment il convient d'interpréter la CBE conformément aux dernières conclusions des chambres de recours. Cela peut nécessiter une modification des Directives relatives à l'examen, mais pas un réexamen de la jurisprudence par la Grande Chambre. Les choses sont différentes si les chambres elles-mêmes constatent qu'il est nécessaire de soumettre des questions de droit à la Grande Chambre, en raison d'un changement intervenu dans leur jurisprudence.
7.3.6 Il en va de même lorsque la jurisprudence des chambres a évolué sur une longue période et qu'elle élabore progressivement, à mesure que des décisions sont rendues, des solutions qui s'éloignent clairement et légitimement du point de départ initial, même si le public et l'administration délivrant les brevets considèrent les solutions antérieures comme acceptables. Là aussi, le droit se développe d'une manière qui n'est certes pas tout à fait linéaire, mais qui, tant qu'elle est transparente, n'autorise pas à parler de décisions divergentes, susceptibles de justifier une saisine.
7.3.7 Les décisions juridictionnelles se caractérisent non par leur dispositif, mais par leurs motifs. C'est la seule façon d'apprécier la position des tribunaux, et cette capacité d'appréciation est à son tour décisive pour la sécurité juridique. La Grande Chambre a déjà suivi cette approche dans sa décision G 3/93 (JO OEB 1995, 18, point 2 des motifs), dans laquelle elle a tenu compte des opinions incidentes pour examiner une divergence (cf. également Moufang dans Schulte, Patentgesetz mit EPÜ, Article 112 CBE (annexe au paragraphe 73), note 45).
7.3.8 En conclusion, la Grande Chambre de recours ne peut faire évoluer le droit de la même façon que les chambres de recours, puisqu'elle n'a pas à statuer sur des faits relatifs à des recours en instance, mais uniquement sur des cas particuliers, et seulement dans le contexte précité des questions de droit qui lui sont soumises en vertu de l'article 112(1) CBE. Cela s'applique à plus forte raison aux saisines par le Président, qui ne découlent même pas d'un recours spécifique.
S'il existe des décisions divergentes sur des questions de droit, comme cela est exigé pour les saisines émanant du Président, la Grande Chambre peut adopter l'approche juridique suivie dans l'une de ces décisions et rejeter l'autre au motif qu'elle n'est pas appropriée, ou opter pour une troisième solution qu'elle juge plus adéquate. Par conséquent, elle ne peut influer sur l'appréciation de questions particulières qu'en rompant avec la pratique suivie jusqu'alors et en montrant une nouvelle voie à suivre, ou en confirmant l'approche adoptée par une chambre.
Toutefois, dans ce processus, la Grande Chambre doit également examiner si les décisions divergentes ne pourraient pas faire partie d'une évolution continue, éventuellement encore inachevée, de la jurisprudence relative à des questions récentes du droit des brevets, au cours de laquelle des décisions antérieures ont perdu de leur pertinence et ne peuvent donc plus être comparées à des décisions rendues ultérieurement. De telles divergences présumées ne sauraient justifier une saisine de la Grande Chambre par le Président, l'une des principales tâches des chambres de recours étant de faire évoluer le droit, en particulier dans des domaines nouveaux.
Aussi le Président n'est-il pas habilité à saisir la Grande Chambre au titre de l'article 112(1)b) CBE dans le seul but d'intervenir, pour quelque motif que ce soit, dans la simple évolution du droit si, lorsque le terme "décisions divergentes" est interprété dans le sens de "décisions contradictoires", il n'y a pas lieu de procéder à des rectifications pour les besoins de la sécurité juridique.
Questions faisant l'objet de la saisine
8. Les questions soumises à la Grande Chambre vont à présent être examinées à la lumière des considérations fondamentales susmentionnées concernant l'interprétation de l'article 112(1)b) CBE.
9. Remarques préliminaires
9.1 Introduction de la saisine
La saisine (page 3) comporte une définition du terme "programme d'ordinateur" ("une série d'étapes (d'instructions) qui sont exécutées par l'ordinateur lorsque le programme est mis en uvre"). Il est indiqué qu'un "programme d'ordinateur" est synonyme de "programme" et de "logiciel". Le terme "ordinateur" est défini comme incluant "tout appareil programmable", notamment par exemple un téléphone portable. Il est en outre précisé que "les méthodes mentionnées dans les exemples théoriques désignent des méthodes qui peuvent être entièrement mises en uvre par ordinateur".
Si ces définitions peuvent aider la Grande Chambre à interpréter la saisine, il convient de souligner que la Grande Chambre ne saurait être liée par elles pour interpréter la jurisprudence. La signification de ces termes dans des brevets et des recours doit plutôt être déterminée en analysant comment l'homme du métier les aurait compris dans le contexte où ils ont été employés.
Il convient de faire observer que si les "ordinateurs" incluent des téléphones portables et si les méthodes théoriques sont censées désigner des méthodes pouvant être entièrement mises en uvre par ordinateur, des méthodes par exemple pour générer des ondes radio porteuses utilisant des circuits analogiques particuliers en feraient également partie. Il est probable que ce type de méthodes n'était pas visé par la définition d'une "méthode mise en uvre par ordinateur" dans la saisine.
9.2 Le terme "technique"
La Grande Chambre ne cherchera pas à définir le terme "technique". Mis à part les cas où elle l'utilisera dans les citations de décisions, la Grande Chambre, pour pouvoir examiner les conséquences de la jurisprudence, se bornera à considérer ci-après qu'un "moyen d'enregistrement de données déchiffrables par ordinateur" et une tasse ont un caractère technique, et que la conception d'une bicyclette implique un certain nombre de réflexions techniques. Elle espère que les lecteurs accepteront ces considérations sans exiger une définition de ce que l'on entend exactement par "technique". Cette question est traitée plus en détail dans le cas particulier des programmes d'ordinateur au point relatif à la question 4 (cf. point 13 ci-dessous).
10. Question 1
"Un programme d'ordinateur ne peut-il être exclu à titre de programme d'ordinateur en tant que tel que s'il est revendiqué de façon explicite en tant que programme d'ordinateur ?"
Recevabilité
10.1 Il convient en premier lieu d'interpréter cette question. De prime abord, elle vise seulement à déterminer si le terme "programme d'ordinateur" doit être utilisé. Si la question est interprétée de cette façon, il est facile d'y répondre ; une revendication utilisant un synonyme de "programme d'ordinateur", par exemple une "séquence d'instructions exécutables par ordinateur" ou peut-être un "module logiciel exécutable", n'échapperait certainement pas à l'exclusion de la brevetabilité si la revendication équivalente relative à un programme d'ordinateur était frappée d'exclusion. Cependant, la prétendue divergence qui a été identifiée dans la saisine ne se rapporte pas simplement aux mots choisis. De plus, dans la partie "Contexte" relative à la question 1, il est apporté les informations suivantes :
"Dans ce domaine, les revendications sont souvent formulées en termes de
- méthodes
- systèmes (tels que systèmes informatiques)
- méthodes mises en uvre par ordinateur
- programmes d'ordinateur
- produits "programmes d'ordinateur", stockant un programme d'ordinateur.
Cependant, ces revendications ont souvent un objet identique, à savoir la méthode sous-jacente qu'un ordinateur doit exécuter" (page 4 de la saisine).
Il est également fait référence à "la fonction du programme d'ordinateur (le programme revendiqué a-t-il un caractère technique ?) plutôt qu'à la manière dont il est revendiqué (p. ex. en tant que tel, en tant que produit "programme d'ordinateur", ou en tant que méthode mise en uvre par ordinateur)" (page 5 de la saisine).
Il semblerait par conséquent que la première référence à un "programme d'ordinateur" dans la question vise en fait à englober des revendications portant sur des éléments divers qui font intervenir un programme d'ordinateur mais n'en sont pas nécessairement un au sens strict, et que la question à laquelle la saisine cherche une réponse pourrait s'énoncer de la manière suivante :
Si une revendication particulière relative à un programme d'ordinateur ("1. Programme d'ordinateur comprenant des instructions pour exécuter les étapes x, y, z") est exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) CBE, l'un des éléments suivants (ou tout autre élément) est-il exclu automatiquement en vertu du même article ?"
"2. Système informatique sur lequel est chargé le programme selon la revendication 1."
"3. Méthode destinée à faire fonctionner un ordinateur, comprenant l'exécution du programme selon la revendication 1."
"4. Produit "programme d'ordinateur" stockant le programme selon la revendication 1."
10.2 L'unique "divergence" que la saisine a relevée dans la jurisprudence au sujet de cette question est celle qui existe entre les décisions rendues dans les affaires T 1173/97, IBM (JO OEB 1999, 609) et T 424/03, Microsoft, en date du 23 février 2006. Il est allégué dans la saisine (cf. pages 5 et 6) que, selon la décision T 424/03, seule une revendication rédigée sous la forme d'un "programme d'ordinateur pour la méthode x" pourrait le cas échéant être exclue de la brevetabilité à titre de programme d'ordinateur en tant que tel, alors que des revendications rédigées sous la forme d'une "méthode x mise en uvre par ordinateur", ou d'un "produit 'programme d'ordinateur' stockant un code exécutable pour la méthode x", ne seraient pas exclues (quelle que soit la nature de la méthode x). Or, la décision T 1173/97 a mis l'accent, selon la saisine, sur la fonction du programme d'ordinateur plutôt que sur la manière dont il est revendiqué, par exemple en tant que produit "programme d'ordinateur" ou en tant que méthode mise en uvre par ordinateur.
Dans l'affaire T 1173/97, la division d'examen, qui avait conclu à propos de la demande en cause à l'existence d'une invention, était disposée à délivrer un brevet comprenant des revendications du type de celles qui avaient été admises au moins depuis la décision T 208/84, VICOM (JO OEB 1987, 14), à savoir des revendications pour une méthode destinée à faire fonctionner un ordinateur et pour un ordinateur agencé en vue de l'exécution de la méthode (c'est-à-dire un ordinateur sur lequel est chargé un programme approprié). Or, le demandeur avait opté pour des revendications portant non pas sur le système dans son ensemble ou sur une méthode destinée à faire fonctionner le système dans son ensemble, mais sur un programme revêtant deux formes et décrit de la façon suivante (décision T 1173/97, point II de l'exposé des faits et conclusions) :
"Un produit "programme d'ordinateur" chargeable directement dans la mémoire interne d'un ordinateur numérique, comprenant des portions de code de logiciel pour l'exécution des étapes de la méthode selon la revendication [indépendante] 1 lorsque ledit programme est exécuté sur un ordinateur" et
"Un produit "programme d'ordinateur" enregistré sur un support utilisable dans un ordinateur, comprenant : des moyens de programmation lisibles par ordinateur pour [exécuter les diverses étapes de la méthode selon la revendication 1]."
10.2.1 La chambre a examiné la question de savoir s'il se pouvait qu'un programme d'ordinateur ait été revendiqué et, dans l'affirmative, dans quelles conditions une telle revendication pouvait être recevable. Elle a conclu, au point 13 des motifs, que
"Du point de vue de la Chambre, un programme d'ordinateur revendiqué en tant que tel n'est pas exclu de la brevetabilité si ce programme, une fois mis en uvre ou chargé sur un ordinateur, produit ou est capable de produire un effet technique allant au-delà des interactions physiques "normales" existant entre le programme (logiciel) et l'ordinateur (matériel) sur lequel il fonctionne.
Par "mis en uvre sur un ordinateur", il faut entendre que le système comprenant le programme d'ordinateur et l'ordinateur exécute une méthode (ou un procédé) pouvant être du type de celle (ou de celui) faisant l'objet de la revendication 1.
Par "chargé sur un ordinateur", il faut entendre que l'ordinateur ainsi programmé est capable d'exécuter une méthode du type de celle faisant l'objet de la revendication 1, ou qu'il est agencé en vue de l'exécution d'une telle méthode, et qu'il constitue donc un système (dispositif ou appareil) pouvant être du type de celui faisant l'objet de la revendication 14."
10.2.2 La chambre a veillé à ne pas décider d'une formulation particulière. Dans le dispositif, il est indiqué que "L'affaire est renvoyée devant la première instance afin qu'elle ... examine si la formulation des revendications dans leur version actuelle peut permettre d'éviter que ne joue l'exclusion de la brevetabilité au titre des articles 52(2) et (3) CBE, ". Elle s'est toutefois exprimée sur la question de savoir si le fait de revendiquer le programme sur un support permettait d'échapper à l'exclusion (cf. également point 13 des motifs) :
"D'autre part, s'agissant des exclusions prévues à l'article 52(2) et (3) CBE, la Chambre ... considère qu'il est tout à fait indifférent qu'un programme d'ordinateur soit revendiqué en tant que tel ou qu'il soit revendiqué en tant qu'enregistrement sur un support".
10.2.3 La chambre ayant conclu que certains programmes, revendiqués seuls, sont exclus de la brevetabilité, il en découle qu'un tel programme revendiqué "en tant qu'enregistrement sur un support", à savoir sur un support déchiffrable par ordinateur, est lui aussi nécessairement exclu. Le raisonnement à l'appui de cette conclusion apparaît clairement dans les passages suivants, extraits de la décision T 1173/97 :
"Dans cette interprétation, les programmes d'ordinateurs doivent être considérés comme des inventions brevetables lorsqu'ils ont un caractère technique" (point 5.3 des motifs). "[L]es modifications physiques du matériel (engendrant, par exemple, des courants électriques) qui résultent de l'exécution d'instructions données par des programmes d'ordinateurs ne peuvent en tant que telles conférer à ces programmes le caractère technique qui est exigé pour que ces programmes ne soient pas exclus de la brevetabilité" (point 6.2 des motifs). "Bien que les modifications de ce genre puissent être considérées comme techniques, elles ... ne peuvent permettre de distinguer les programmes d'ordinateurs qui ont un caractère technique des programmes d'ordinateurs considérés "en tant que tels" (point 6.3 des motifs). Il en va de même à l'évidence pour les modifications physiques d'un support (par exemple les micro-cuvettes créées dans un CD-ROM) résultant de l'enregistrement d'un programme, et c'est ce que semblait vouloir affirmer la chambre au point 9.3 des motifs : "[L]e matériel ne fait pas partie de l'invention. ... Il est clair en outre que si, par exemple, ce produit "programme d'ordinateur" comprend un support lisible par ordinateur sur lequel est enregistré le programme, ce support n'est qu'un support physique sur lequel le programme est mémorisé, à considérer par conséquent comme un matériel."
10.2.4 Etant donné que, conformément à l'article 52(1) CBE (qu'il s'agisse de la CBE 1973 ou de la CBE 2000), "Les brevets européens sont délivrés pour toute invention", "à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle", il résulte clairement du raisonnement énoncé au point 9.3, selon lequel i) lorsqu'un produit "programme d'ordinateur" comprend un support déchiffrable par ordinateur, ce support constitue un matériel, et ii) ce matériel ne fait pas partie de l'invention, que, de l'avis de la chambre, une revendication relative à un produit "programme d'ordinateur" ne pouvait échapper aux exclusions visées à l'article 52(2) CBE du seul fait qu'elle comprend un support déchiffrable par ordinateur. Les points 6.2 et 6.3 des motifs cités plus haut suggèrent à tout le moins que la chambre a également estimé que, pour échapper à l'exclusion, il ne suffisait pas de revendiquer un ordinateur sur lequel est chargé un programme, ou l'exécution d'un programme sur un ordinateur.
10.3 La décision a également qualifié l'"effet technique allant au-delà des interactions physiques "normales" entre le programme (logiciel) et l'ordinateur (matériel) sur lequel il fonctionne" d'"effet technique supplémentaire" (cf. point 9.4 des motifs), et il s'agit de l'expression généralement utilisée. Ainsi qu'il ressort des citations ci-dessus, la chambre a considéré le "caractère technique" de l'objet revendiqué comme la condition générale pour qu'une invention revendiquée ne tombe pas sous le coup de l'exclusion prévue à l'article 52(2) et (3) CBE. Dans le cas particulier d'une revendication relative à un programme d'ordinateur, l'objet revendiqué a donc un "caractère technique" si et seulement si le programme produit un "effet technique supplémentaire" lorsqu'il fonctionne (la Grande Chambre reviendra sur ce point lorsqu'elle examinera la question 4).
10.4 Il est intéressant de noter que la définition de l'effet technique supplémentaire au point 13 des motifs ne mentionne pas l'état de la technique. Conformément à cette décision, il est donc possible de déterminer si une revendication relative à un programme d'ordinateur est exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) et (3) CBE indépendamment de l'état de la technique. Cela signifie que l'effet technique supplémentaire identifié ne doit pas nécessairement être nouveau. En adoptant cette position, la chambre a renoncé en connaissance de cause à ce qui était appelé "l'approche de la contribution à l'état de la technique", qui avait été appliquée de manière un peu incohérente dans la jurisprudence antérieure. Cela représentait manifestement une évolution délibérée de la jurisprudence (l'incohérence de la jurisprudence antérieure ayant été constatée auparavant dans un article intitulé "Patentability of computer-software-related inventions" et rédigé par P. van den Berg, qui présidait à l'époque la chambre, dans l'ouvrage "Dix ans de Jurisprudence de la Grande Chambre de recours de lOEB", publié par les membres de la Grande Chambre de recours en 1996, pages 29 à 47). A la connaissance de la Grande Chambre, aucune décision des chambres de recours n'a depuis lors remis en cause le choix effectué par la chambre dans l'affaire 1173/97. Il constitue donc la jurisprudence constante et ne saurait être invalidé par le présent avis, pour les motifs indiqués plus haut (cf. point 7).
10.5 Tirant les conséquences de l'abandon de l'approche de la contribution à l'état de la technique, la chambre a ajouté dans la décision T 1173/97 que "c'est donc dans le cadre de l'examen de la nouveauté et de l'activité inventive qu'il convient de déterminer ce qu'une invention apporte en plus du point de vue technique par rapport à l'état de la technique, plutôt que dans le cadre de l'examen de la question de savoir si cette invention doit être considérée comme exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) et (3) CBE" (point 8, deuxième paragraphe des motifs)".
10.6 Pour les lecteurs connaissant mal ce langage spécialisé, une analogie peut aider à comprendre la distinction entre l'"approche de la contribution à l'état de la technique" et l'approche suivie par la chambre dans l'affaire T 1173/97. Il convient toutefois de noter que l'exposé qui suit n'a qu'une valeur d'illustration, et non une valeur absolue.
Supposons qu'une demande de brevet revendique une tasse sur laquelle figure une certaine image (par exemple le logo d'une entreprise) et qu'aucun effet allant au-delà de l'information, de la notoriété de la marque ou de l'agrément esthétique n'est attribué à cette image. Conformément à l'"approche de la contribution à l'état de la technique", les tasses sont connues, si bien que la "contribution à l'état de la technique" est limitée à un domaine exclu de la brevetabilité par l'article 52(2) CBE et que la demande de brevet européen est susceptible d'être rejetée au titre de cette disposition ; autrement dit, on considère que la demande se rapporte (cf. article 52(3) CBE) à une création esthétique, une présentation d'informations, voire à une méthode dans le domaine des activités économiques "considérée en tant que telle".
Conformément à l'approche définie dans la décision T 1173/97, l'état de la technique ne doit pas être pris en considération pour l'examen de l'objet revendiqué aux fins de l'article 52(2) CBE. Vue sous cet angle, une revendication relative à une tasse n'est pas clairement exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) CBE. Que la revendication inclue ou non la caractéristique liée à la présence d'une certaine image sur la tasse importe peu. Cette approche, du moins telle que formulée par exemple dans les décisions T 258/03, Hitachi (JO OEB 2004, 575), et T 424/03, a été appelée, dans certaines des observations de tiers, approche "any hardware" (tout matériel) ou "any technical means" (tout moyen technique).
10.7 Dans plusieurs décisions, les chambres de recours (et notamment la chambre 3.5.01) ont examiné les conséquences découlant de l'abandon de l'approche fondée sur la contribution à l'état de la technique. En premier lieu, dans la décision T 931/95, Contrôle d'un système de caisse de retraite (JO OEB 2001, 441), la chambre a décidé qu'un dispositif pour exécuter une activité exclue en tant que telle de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) et (3) CBE ne tombe pas lui-même sous le coup de l'exclusion de la brevetabilité (point 3 du sommaire). En particulier, une revendication relative à un ordinateur sur lequel est chargé un programme, n'est pas exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) CBE même si le programme proprement dit le serait, c'est-à-dire dans le cas où il ne produirait pas d'"effet technique supplémentaire" lorsqu'il fonctionne. Toutefois, cette logique n'a pas été étendue aux méthodes employant des moyens techniques (point 2 du sommaire). S'agissant des méthodes, cette décision a été explicitement remise en question par la décision T 258/03, Hitachi (point 1 du sommaire), dans laquelle la chambre a conclu qu'une revendication impliquant des moyens techniques n'est pas exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) CBE (cf. points 3 et 4 des motifs) et qu'une revendication portant sur une méthode destinée à faire fonctionner un ordinateur ne peut être exclue en vertu de l'article 52(2) CBE, puisqu'elle fait intervenir un ordinateur. Toutefois, aucune de ces deux décisions n'a traité la question de savoir si une revendication relative à un programme sur un support déchiffrable par ordinateur échappait à l'exclusion. Dans la décision T 424/03, Microsoft, la chambre a finalement étendu le raisonnement appliqué dans la décision T 258/03 pour conclure qu'une revendication relative à un programme (en l'occurrence à des "instructions exécutables par ordinateur") sur un support déchiffrable par ordinateur échappe elle aussi nécessairement à l'exclusion de la brevetabilité visée à l'article 52(2) CBE (cf. point 2 de l'exergue et point 5.3 des motifs : "L'objet de la revendication 5 présente un caractère technique, puisqu'il se rapporte à un moyen déchiffrable par ordinateur, c'est-à-dire à un produit technique faisant intervenir un support (cf. décision T 258/03 - Méthode d'enchères/Hitachi ...)"). Cette déclaration est assez claire et justifie à elle seule le fait que la revendication ne soit pas exclue en vertu de l'article 52(2) CBE.
10.7.1 Dans la décision T 424/03, la chambre a en outre fait observer (également au point 5.3 des motifs) que lors de son exécution, le programme en question pouvait produire un effet technique supplémentaire et contribuait ainsi au caractère technique de l'objet revendiqué. Indépendamment de cela, il était toutefois permis de conclure que l'objet revendiqué échappait à l'exclusion puisque, conformément au raisonnement exposé dans la décision T 258/03, tout moyen technique revendiqué suffisait pour éviter l'exclusion prévue à l'article 52(2) CBE. La question de savoir si le programme proprement dit entraînait un "effet technique supplémentaire" lorsqu'il était exécuté et s'il pouvait donc être considéré comme un moyen technique, n'était importante qu'au regard de l'activité inventive, la chambre ayant développé, parallèlement à ces décisions, une approche en matière d'appréciation de l'activité inventive qui tient compte du fait que certaines caractéristiques d'une revendication pouvaient éventuellement, lorsqu'elles sont examinées séparément, tomber sous le coup des exclusions visées à l'article 52(2) CBE (cf. décision T 154/04, Duns, JO OEB 2008, 46, pour une présentation de cette approche). Selon cette approche, il importe de savoir quelles caractéristiques contribuent au caractère technique de l'objet revendiqué, puisque seules ces caractéristiques sont prises en considération pour l'appréciation de l'activité inventive. Dans l'affaire T 424/03, le support déchiffrable par ordinateur comme le programme proprement dit représentaient des caractéristiques conférant globalement un caractère technique à l'objet d'une revendication particulière, et devaient par conséquent tous deux être pris en compte pour l'appréciation de l'activité inventive.
10.7.2 La chambre était donc arrivée en définitive à une conclusion qui contredisait clairement la position (ou plutôt l'une des positions) adoptée dans l'affaire T 1173/97. Dans cette affaire, la chambre avait déclaré ce qui suit : "D'autre part, s'agissant des exclusions prévues à l'article 52(2) et (3) CBE, la Chambre ... considère qu'il est tout à fait indifférent qu'un programme d'ordinateur soit revendiqué en tant que tel ou qu'il soit revendiqué en tant qu'enregistrement sur un support" (point 13 des motifs), alors qu'il est indiqué dans la décision T 424/03 (point 5.3 des motifs) que "L'objet de la revendication 5 présente un caractère technique, puisqu'il se rapporte à un moyen déchiffrable par ordinateur, c'est-à-dire à un produit technique faisant intervenir un support (cf. décision T 258/03 - Méthode d'enchères/Hitachi ...)".
10.8 Les positions adoptées dans les décisions T 1173/97 et T 424/03 diffèrent donc sur ce point. Il reste cependant à déterminer si cette différence représente une divergence qui autorise le Président à saisir la Grande Chambre à ce sujet. Les éléments de réflexion à prendre en considération ont été exposés aux points 5 à 7 ci-dessus.
10.8.1 Bien que la chambre 3.5.01 ait statué sur ces deux affaires en tant qu'unité administrative, elle a siégé dans des formations entièrement différentes, si bien qu'une saisine sur la base de ces deux décisions n'est pas exclue (cf. point 6 ci-dessus). Il semblerait toutefois que la différence précitée doive être considérée comme une évolution de la jurisprudence, ainsi qu'il a été exposé au point 7.3 ci-dessus.
Premièrement, et cet élément revêt une très grande importance, la saisine ne mentionne aucune décision d'une chambre de recours de l'OEB qui applique la décision T 1173/97 sur le point concerné, et la Grande Chambre n'a pas non plus connaissance de l'existence d'une telle décision (bien que la décision T 1173/97 soit manifestement jugée fondamentale eu égard à la définition de l'"effet technique supplémentaire" et à l'abandon de l'approche de la contribution à l'état de la technique en matière d'exclusion).
10.8.2 Deuxièmement, la conclusion tirée dans l'affaire T 424/03 n'a été contestée dans aucune décision ultérieure. De plus, elle n'était pas isolée mais faisait suite à une série de décisions dont la logique est cohérente et elle n'a pas non plus, du moins à la connaissance de la Grande Chambre, été remise en cause par une quelconque décision ultérieure d'une chambre de recours de l'OEB (les décisions des tribunaux nationaux constituent un autre aspect des choses, mais elles ne peuvent être prises en considération pour la question de la recevabilité, ainsi qu'il a été mentionné au point 5 ci-dessus). Dans un souci de clarté, la Grande Chambre rappelle cette logique, telle qu'elle l'interprète, dans l'exposé qui suit.
10.8.3 Comme indiqué plus haut, la chambre, dans l'affaire T 1173/97, a abandonné en connaissance de cause l'"approche de la contribution à l'état de la technique" et a également estimé (au point 13 des motifs) que, "s'agissant des exclusions prévues à l'article 52(2) et (3) CBE, il est tout à fait indifférent qu'un programme d'ordinateur soit revendiqué en tant que tel ou qu'il soit revendiqué en tant qu'enregistrement sur un support". Ces deux positions sont toutefois contradictoires lorsqu'elles sont examinées à la lumière de l'ensemble de la jurisprudence des chambres de recours.
10.8.4 Dans l'affaire T 1173/97, la chambre constate qu'une revendication relative à un programme d'ordinateur n'est pas exclue de la brevetabilité si ce programme, lorsqu'il est exécuté, entraîne un "effet technique supplémentaire", à savoir un effet technique allant au-delà de ceux qui se produisent inévitablement lorsqu'un programme quelconque fonctionne. Elle relève également que cet "effet technique supplémentaire" ne doit pas nécessairement être nouveau et qu'il ne faut pas effectuer de comparaison avec l'état de la technique pour juger si cet "effet technique supplémentaire" existe. L'intention ne peut avoir été d'exclure les comparaisons avec l'état de la technique dans le domaine des programmes d'ordinateur et de les prescrire pour d'autres objets revendiqués. Il est donc permis de conclure que pour statuer sur une éventuelle exclusion de la brevetabilité d'un objet en vertu de l'article 52(2) et (3) CBE, il convient, d'après la décision T 1173/97, de toujours faire abstraction de l'état de la technique.
10.8.5 Suivant ce principe, une revendication relative à un type particulier de mémoire sur un support déchiffrable par ordinateur, doté de certaines caractéristiques particulières, par exemple un disque Blu-ray, n'est manifestement pas exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) et (3) CBE, qu'elle soit ou non nouvelle à la date pertinente. Cependant, si ce principe est appliqué de façon cohérente, il n'est pas nécessaire que la revendication porte sur un type spécifique de mémoire, étant donné qu'un "support d'enregistrement de données déchiffrables par ordinateur" sans autres précisions produit des "effets techniques", à savoir qu'il est déchiffrable par ordinateur et qu'il peut enregistrer des données. De plus, étant donné que les éléments énumérés à l'article 52(2) CBE n'incluent pas les supports déchiffrables par ordinateur en tant que tels, il n'est pas nécessaire d'exiger un effet "supplémentaire" allant au-delà des caractéristiques de base d'un tel support d'enregistrement déchiffrable par ordinateur. En résumé, selon la logique de la décision T 1173/97, une revendication relative à un "support d'enregistrement déchiffrable par ordinateur" n'est pas exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) et (3) CBE.
10.8.6 A aucun moment, la jurisprudence des chambres de recours ne laisse entendre qu'une revendication dont la portée a été limitée peut de ce fait tomber sous le coup des exclusions prévues à l'article 52(2) et (3) CBE, et qu'il faudrait par conséquent pondérer entre elles les caractéristiques ou décider quelles sont celles qui constituent l'élément essentiel de l'invention (cf. décisions T 26/86, Koch & Sterzel, JO OEB 1988, 19, point 3.4 des motifs, et T 769/92, Sohei, JO OEB 1995, 525, point 1 du sommaire). En revanche, d'autres juridictions comme le Tribunal fédéral des brevets ont parfois eu recours à la pondération des caractéristiques (pratique dénommée "Kerntheorie", cf. par exemple Ganahl, Ist die Kerntheorie wieder Aktuell?, Mitteilungen der deutschen Patentanwälte 2003, 537). On peut donc déduire de la jurisprudence des chambres de recours que, dans la mesure où une revendication relative à un "support d'enregistrement déchiffrable par ordinateur" n'est pas exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) et (3) CBE, une revendication relative à un "support d'enregistrement déchiffrable par ordinateur sur lequel est enregistré un programme d'ordinateur X" échappe elle aussi à l'exclusion (cf. l'exemple de la tasse décorée d'une image).
10.8.7 D'aucuns pourraient alléguer que si l'exclusion prévue à l'article 52(2) CBE ne s'applique pas à un "disque Blu-ray avec un programme X écrit sur ce disque", elle devrait en revanche jouer pour un "support d'enregistrement déchiffrable par ordinateur avec un programme X écrit sur ce support". D'après la Grande Chambre, seul un argument selon lequel la caractéristique "support d'enregistrement déchiffrable par ordinateur" perd son caractère technique parce qu'elle est trop générique ou qu'elle est "définie par sa fonction" pourrait justifier un tel raisonnement. Or, à la connaissance de la Grande Chambre, rien dans la jurisprudence ne vient étayer ce point de vue.
10.8.8 Ainsi, la position adoptée dans la décision T 424/03, selon laquelle une revendication relative à un programme sur un support d'enregistrement déchiffrable par ordinateur échappe nécessairement à l'exclusion de la brevetabilité en vertu des dispositions de l'article 52(2) et (3) CBE, découle en fait des principes énoncés dans la décision T 1173/97 ; la position contraire exprimée dans cette décision n'est pas cohérente avec ses propres prémisses. Il semblerait dans cette affaire que la chambre ait adopté implicitement une approche fondée sur l'"élément essentiel de l'invention" ("[L]e matériel ne fait pas partie de l'invention. ... Il est clair en outre que si, par exemple, ce produit "programme d'ordinateur" comprend un support lisible par ordinateur sur lequel est enregistré le programme, ce support n'est qu'un support physique sur lequel le programme est mémorisé, à considérer par conséquent comme un matériel"). Or, comme indiqué ci-dessus, rien dans la jurisprudence générale des chambres de recours ne vient conforter cette approche.
Les arguments précités s'appliquent avec la même force aux revendications qui "mentionnent" un ordinateur (pour reprendre le terme utilisé dans la question 2 de la saisine).
10.9 Pour revenir au problème précis de la recevabilité de la question soumise, il convient de noter en outre que ces deux décisions ont été rendues à quelque sept ans d'intervalle, période qui, sans être très longue du point de vue juridique, est néanmoins compatible avec la notion d'évolution de la jurisprudence.
10.10 Il est peut-être regrettable que dans l'affaire T 424/03, la chambre n'ait pas signalé qu'elle s'écartait d'une décision antérieure, comme cela est prévu à l'article 20(1) (ancien article 15(1)) du règlement de procédure des chambres de recours. Toutefois, de l'avis de la Grande Chambre, ce fait ne saurait justifier à lui seul de ne plus considérer ce processus comme une évolution légitime de la jurisprudence.
10.11 Bien que l'issue de ces affaires ne soit pas un facteur décisif pour établir si une saisine est recevable (cf. point 7.3.7 ci-dessus), la Grande Chambre constate en outre que rien dans la saisine n'indique que l'abandon de l'approche fondée sur l'article 52(2) CBE au profit de celle liée à l'article 56 CBE ait influé en quoi que ce soit sur le résultat final de la décision T 424/03.
10.12 La Grande Chambre estime par conséquent que même si la décision T 424/03 s'écarte effectivement du point de vue exprimé dans la décision T 1173/97, cela représente une évolution légitime de la jurisprudence, et comme aucune chambre n'a suivi cette dernière décision sur ce point particulier, il n'existe pas de divergence qui autoriserait le Président à saisir la Grande Chambre de recours à ce sujet. La question 1 n'est donc pas recevable.
10.13 La position actuelle de la jurisprudence est donc (pour formuler la conclusion en reprenant les termes de la question 2 de la saisine) la suivante : une revendication dans le domaine des programmes d'ordinateur peut échapper à l'exclusion prévue à l'article 52(2)c) et (3) CBE simplement en mentionnant de façon explicite l'utilisation d'un ordinateur ou d'un support d'enregistrement de données déchiffrables par ordinateur. Toutefois, dans un souci d'exhaustivité, il convient de préciser que depuis la décision T 1173/97, il ressort aussi très clairement de la jurisprudence des chambres de recours que si une revendication relative à un programme X est frappée d'exclusion en vertu de l'article 52(2) et (3) CBE, une revendication ne divulguant rien de plus qu'un "programme X sur un support d'enregistrement déchiffrable par ordinateur", ou une "méthode destinée à faire fonctionner un ordinateur conformément au programme X", ne sera toujours pas brevetable au motif qu'elle n'est pas inventive, en application des articles 52(1) et 56 CBE. Seul change l'article de la CBE qui est appliqué. Si la Grande Chambre n'ignore pas qu'un rejet fondé sur une absence d'activité inventive plutôt que sur une exclusion au titre de l'article 52(2) CBE est considéré quelque peu malencontreux par de nombreuses personnes, cette approche a été développée de façon cohérente depuis la décision T 1173/97, et comme aucune divergence par rapport à cette évolution n'a été identifiée dans la saisine, la Grande Chambre estime que pour les motifs susmentionnés (cf. point 7.3.8), il ne lui appartient pas de l'invalider dans le cadre du présent avis.
10.13.1 Au point 3.1.IV, intitulé "Conséquences" (page 6), de la saisine, il est indiqué que "si l'on suivait toutefois le raisonnement de la décision T 424/03, il suffirait désormais, pour échapper à l'exclusion des programmes d'ordinateur, de rédiger la revendication sous la forme d'une méthode mise en uvre par ordinateur ou d'un produit "programme d'ordinateur". En effet, si les chambres continuent d'appliquer les préceptes de la décision T 1173/97, il s'ensuit qu'une revendication relative à une méthode mise en uvre par ordinateur ou à un programme d'ordinateur sur un support d'enregistrement déchiffrable par ordinateur ne sera jamais exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) et (3) CBE, à l'instar d'une revendication relative à une image sur une tasse. Toutefois, cela ne signifie pas que la liste d'objets figurant à l'article 52(2) CBE (y compris, en particulier, les "programmes d'ordinateur") n'a pas d'incidence eu égard à ces revendications. Un système complexe a été mis au point afin qu'elle soit prise en considération pour l'appréciation de l'activité inventive, comme exposé dans la décision T 154/04, Duns. S'il n'appartient pas à la Grande Chambre, dans le cadre du présent avis, de juger si ce système est correct, puisqu'aucune des questions soumises n'ont un rapport direct avec son utilisation, son emploi fréquent dans les décisions des chambres de recours montre clairement que la liste des "non-inventions" figurant à l'article 52(2) CBE peut jouer un rôle très important pour la détermination de l'activité inventive de l'objet revendiqué.
10.13.2 Du reste, il est quelque peu surprenant qu'aucune des questions de la saisine ne s'intéresse à la validité de ce mode d'appréciation de l'activité inventive, alors que ce point revêt sûrement un intérêt général (et que Lord Justice Jacob avait proposé de le soumettre à la Grande Chambre, sous la forme de la question suivante : "Comment les éléments dune revendication relatifs à un objet exclu de la brevetabilité doivent-ils être traités lors de lexamen de la nouveauté et de lactivité inventive au titre des articles 54 et 56 CBE ?", Aerotel/Macrossan, point 76, question (2)). La Grande Chambre peut seulement supposer que la Présidente n'a pu relever de divergence dans la jurisprudence sur cette question, bien que (actuellement) environ soixante-dix décisions rendues par un total de quinze chambres différentes (au sens d'unités administratives) aient cité la décision T 641/00, COMVIK (JO OEB 2003, 352), et que plus d'une quarantaine de décisions rendues par huit chambres aient fait référence à la décision T 258/03, Hitachi, ces décisions définissant pour l'essentiel l'approche concernée. La Grande Chambre n'a pas non plus connaissance d'une divergence dans cette jurisprudence, ce qui suggère que les chambres s'en accommodent généralement plutôt bien. Il semblerait que la jurisprudence, telle que résumée dans l'affaire T 154/04, a créé un système praticable pour délimiter les innovations susceptibles d'être brevetées.
11. Question 2
"a) Une revendication relevant du domaine des programmes d'ordinateur peut-elle échapper à l'exclusion prévue à l'article 52(2)c) et (3) CBE en mentionnant simplement de façon explicite l'utilisation d'un ordinateur ou d'un moyen d'enregistrement de données déchiffrables par ordinateur ?
b) S'il est répondu par la négative à la question 2 a), un effet technique supplémentaire est-il nécessaire pour échapper à l'exclusion, ledit effet allant au-delà des effets inhérents à l'utilisation d'un ordinateur ou d'un moyen d'enregistrement des données en vue, respectivement, d'exécuter ou d'enregistrer un programme d'ordinateur ?"
Recevabilité
11.1 En premier lieu, il convient là encore d'interpréter la question, bien que son objet soit en l'occurrence relativement clair. Malgré la formulation "en mentionnant simplement de façon explicite", il est permis de supposer que ce qui est effectivement visée dans la saisine est l'existence d'un lien fonctionnel, par exemple une "méthode destinée à faire fonctionner un ordinateur conformément au programme X".
11.2 Il est allégué dans la saisine que les "revendications relatives à un programme d'ordinateur peuvent être considérées comme ayant la même portée que les revendications relatives à une méthode mise en uvre par ordinateur", et qu'"une revendication de méthode engloberait un programme d'ordinateur destiné à réaliser cette méthode" (citations extraites de la saisine, page 8), ce qui ne semblerait pas être tout à fait la même chose, puisque ce deuxième argument suggère que la revendication de méthode pourrait avoir une portée plus étendue qu'une revendication relative à un programme d'ordinateur. Il est fait ensuite référence à la décision T 258/03, selon laquelle une méthode faisant intervenir des moyens techniques n'est pas exclue de la brevetabilité (cf. point 1 du sommaire). Etant donné que les revendications relatives à une méthode et celles portant sur un programme sont équivalentes, cette affirmation n'est pas compatible, selon la saisine, avec l'exigence énoncée dans la décision T 1173/97, à savoir que les programmes d'ordinateur doivent produire un "effet technique supplémentaire" pour échapper à l'exclusion de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) CBE.
11.2.1 L'argument selon lequel les revendications relatives à un programme d'ordinateur et celles qui portent sur une méthode mise en uvre par ordinateur ont une portée identique est étayé de la façon suivante :
"Les revendications de méthode représentent, par nature, une série d'instructions ou d'étapes qui doivent être exécutées par toute entité apte à le faire (cette entité pouvant être une personne, une machine, une personne et une machine conjointement, voire un ordinateur). Une méthode mise en uvre par ordinateur correspond au cas spécifique où l'entité exécutant ces étapes est un ordinateur. De même, un programme d'ordinateur est une série d'instructions ou d'étapes qui constituent une méthode et sont exécutées par un ordinateur. Les revendications relatives à un programme d'ordinateur peuvent donc être considérées comme ayant la même portée que les revendications relatives à une méthode mise en uvre par ordinateur" (page 8 de la saisine).
Il convient de noter que cette argumentation part du principe que les caractéristiques revendiquées sont en fait identiques, et ne s'appuie pas sur de quelconques considérations liées à la protection conférée, au sens, par exemple, de l'article 123(3) CBE.
11.2.2 Cette argumentation semble entachée de deux défauts de logique. Le premier réside dans l'affirmation selon laquelle une méthode peut être dissociée du dispositif sur lequel elle est (censée être) exécutée, cette allégation étant énoncée comme une généralité qui ne se limite pas aux méthodes mises en uvre par ordinateur. Cela n'est manifestement pas le cas ; une "méthode destinée à faire fonctionner une machine à cirer les chaussures, comprenant le placement d'une chaussure dans une position en contact avec une surface pouvant tourner dans un sens " nécessite à l'évidence la présence et l'utilisation de la machine à cirer.
11.2.3 Le deuxième problème de logique semble tenir à une confusion entre une suite d'instructions en vue de l'exécution d'étapes et les étapes proprement dites. Cette confusion se retrouve déjà dans la partie "Définitions" de la saisine ("Un programme d'ordinateur est une série d'étapes (d'instructions) "). De manière générale, il convient de distinguer, sur le plan logique, l'objet de son nom ou de la façon dont il est décrit. Prenons l'exemple suivant : Les tigres mangent de la viande. La viande est un mot. Donc les tigres mangent des mots.
Il y a à l'évidence une erreur dans ce raisonnement, qui est liée au fait que le mot "viande" est utilisé différemment dans les deux prémisses. Dans la deuxième, il n'est pas question de la substance proprement dite, mais de sa dénomination. Or il s'agit de deux choses différentes, que l'on distingue habituellement l'une de l'autre en utilisant des guillemets pour la dénomination. Le livre de Lewis Carroll, "De l'autre côté du miroir" fournit un exemple célèbre, mais plus compliqué, de ce genre de jeux de mots, avec l'expression "Le nom de la chanson s'appelle". Dans une situation aussi complexe, il est facile de confondre les noms ou les descriptions avec les choses auxquelles ils ou elles se rapportent.
11.2.4 Dans le cas présent, il existe une distinction logique entre une méthode mise en uvre par ordinateur et la séquence d'instructions qui caractérisent cette méthode. Cette distinction est réelle ; prenons par exemple un programme comportant une instruction pour incrémenter la valeur d'une variable. Il est possible que ce programme ne contienne qu'une seule instruction de ce type, mais si cette instruction est exécutée en boucle (par exemple une boucle "while"), la méthode correspondante mise en uvre par ordinateur peut impliquer l'exécution répétée de l'étape relative à l'incrémentation. On pourrait également parler d'un ordinateur sur lequel est chargée une suite d'instructions ou d'un support déchiffrable par ordinateur sur lequel est enregistrée une suite d'instructions. Le concept d'ordinateur (ou toute autre machine) sur lequel est "chargée" une méthode, ou celui de support déchiffrable par ordinateur sur lequel est "enregistrée" une méthode, paraissent dénués de sens. La seule façon de leur donner un sens serait de partir du principe qu'ils désignent respectivement, sous une forme condensée, un ordinateur sur lequel sont chargées des instructions pour exécuter une méthode, et un support déchiffrable par ordinateur sur lequel sont enregistrées des instructions pour exécuter une méthode.
11.2.5 Les formulations telles que "programme chargé sur un ordinateur" et "disque sur lequel est enregistré un programme d'ordinateur" étant courantes dans l'état de la technique, la Grande Chambre considère que l'homme du métier interprète le mot "programme" en ce sens qu'il se rapporte à la séquence d'instructions caractérisant une méthode, plutôt qu'à la méthode proprement dite. (Il est intéressant de noter que si très peu de tiers ont évoqué cet aspect dans leurs observations, ceux qui l'ont fait ont souscrit à ce point de vue, et l'ont défendu parfois avec vigueur).
11.2.6 La confusion sur ce point dans la saisine découle, semble-t-il, du fait qu'une revendication de méthode, qui est une description (ou au moins une délimitation) d'une méthode, est assimilée à la méthode qu'elle délimite : "Les revendications de méthode représentent, par nature, une série d'instructions ou d'étapes ... De même, un programme d'ordinateur est une série d'instructions ou d'étapes qui constituent une méthode et sont exécutées par un ordinateur. Les revendications relatives à un programme d'ordinateur peuvent donc être considérées comme ayant la même portée que les revendications relatives à une méthode mise en uvre par ordinateur".
11.2.7 Si, selon l'interprétation correcte, il existe bien une différence entre un programme d'ordinateur et la méthode correspondante mise en uvre par ordinateur, il est concevable qu'une divergence soit néanmoins apparue dans la jurisprudence des chambres de recours en raison de l'emploi erroné par les chambres du terme "programme". Il est allégué dans la saisine que deux décisions concluent elles aussi qu'une revendication relative à un programme d'ordinateur a la même portée qu'une revendication relative à une méthode mise en uvre par ordinateur (ou que la méthode englobe le programme), à savoir les décisions T 1173/97, point 9.6 des motifs, deuxième paragraphe, lignes 1 à 3, et T 38/86, IBM (JO OEB 1990, 384), point 14 des motifs (page 8 de la saisine). Même si l'argument invoqué dans la saisine et consistant à assimiler un programme à une méthode n'est pas convaincant, il est cependant nécessaire d'examiner si les chambres ont effectivement utilisé l'expression "programme d'ordinateur" pour désigner une méthode dans les cas où cette utilisation est alléguée dans la saisine.
11.2.8 Dans la première décision citée (à savoir la décision T 1173/97, point 9.6 des motifs, deuxième paragraphe, lignes 1 à 3), il est dit que : "Il va de soi qu'une revendication portant sur un tel produit "programme d'ordinateur" doit comporter toutes les caractéristiques qui garantissent la brevetabilité de la méthode qu'il doit exécuter lorsqu'il est mis en uvre sur un ordinateur". Toutefois, cette phrase peut tout à fait être interprétée comme faisant référence aux instructions qui constituent le programme. Elle n'implique pas que dans l'affaire T 1173/97, la chambre ait nécessairement considéré les caractéristiques d'une revendication relative à un produit "programme d'ordinateur" comme correspondant aux étapes d'une méthode. La phrase suivant immédiatement le passage cité donne en effet l'impression contraire : "Lorsque ce produit "programme d'ordinateur" est chargé sur un ordinateur, l'ordinateur ainsi programmé constitue un dispositif qui, à son tour, est capable d'exécuter ladite méthode". Cela tendrait à montrer qu'en l'espèce, la chambre a considéré les programmes d'ordinateur de la même manière que la Grande Chambre.
11.2.9 Dans la deuxième décision citée (à savoir la décision T 38/86, IBM, point 14 des motifs), il est affirmé ce qui suit : "Bien qu'un programme d'ordinateur ne soit pas expressément exposé dans la revendication 1, il ne fait aucun doute pour un homme du métier que celle-ci couvre le cas où un programme d'ordinateur est utilisé, d'autant plus que la seule réalisation divulguée dans la demande prévoit que le système de traitement de texte est commandé par une série de programmes et de données stockés dans la mémoire." La revendication 1 était une revendication de méthode. Toutefois, cela ne signifie pas qu'un programme d'ordinateur est une méthode, mais simplement, ainsi que le passage cité l'indique, que cette revendication peut être mise en uvre en utilisant un programme d'ordinateur. La méthode susmentionnée de cirage des chaussures peut être exécutée en utilisant la machine à cirer d'une certaine manière, mais cela ne signifie pas que les revendications relatives à la machine et à la méthode ont la même portée, ou que le champ couvert par la méthode englobe celui de la machine. On peut tout au plus affirmer que la portée d'une revendication relative à la machine (le terme de "portée" étant utilisé au sens de protection conférée) englobe celle d'une revendication relative à une méthode pour utiliser la machine (cf. décision G 2/88, JO OEB 1990, 93, points 1 et 2 du sommaire).
11.3 Il en découle que la saisine n'a pas mis en évidence de divergence dans la jurisprudence à l'appui de cette question ; celle-ci n'est donc pas recevable.
12. Question 3
"a) Une caractéristique revendiquée doit-elle produire un effet technique sur une entité physique dans le monde réel pour contribuer au caractère technique de la revendication ?
b) S'il est répondu par l'affirmative à la question 3 a), suffit-il que cette entité physique soit un ordinateur non déterminé ?
c) S'il est répondu par la négative à la question 3 a), des caractéristiques peuvent-elles contribuer au caractère technique de la revendication si les seuls effets auxquels elles contribuent sont indépendants de tout matériel informatique particulier qui est susceptible d'être utilisé ?
Recevabilité
12.1 La saisine fait valoir que la divergence résulte du fait que, "conformément aux décisions T 163/85 [BBC, JO OEB 1990, 379] et T 190/94 [Mitsubishi, en date du 26 octobre 1995], un effet technique doit être produit dans le monde réel sur une entité physique. Or, cela n'était pas le cas dans les affaires T 125/01 [Henze, en date du 11 décembre 2002] et T 424/03, où les effets techniques se limitaient pour l'essentiel aux programmes d'ordinateur concernés" (page 10 de la saisine).
12.2 Cette affirmation pose deux problèmes manifestes. Le premier tient au fait que la question soumise concerne des caractéristiques individuelles, plutôt que l'objet revendiqué dans sa globalité. La saisine ne fait référence à aucun passage, dans les décisions citées, se rapportant à des caractéristiques individuelles, et la Grande Chambre n'a pas non plus été en mesure d'en identifier. La partie de la saisine où est examinée la prétendue divergence ne mentionne même pas que la question porte sur des caractéristiques individuelles.
12.2.1 Ce point est important. La jurisprudence des chambres de recours dans son ensemble tient compte, et ce de manière constante, de toutes les caractéristiques revendiquées. Comme indiqué plus haut, les chambres ont toujours évité les approches consistant à pondérer les caractéristiques entre elles ou à décider quelles sont celles qui définissent les "éléments essentiels" de l'invention. Il est exact que certaines caractéristiques peuvent ne pas être prises en considération dans le cadre de l'approche COMVIK/Hitachi lorsqu'il s'agit de déterminer l'activité inventive, mais cette approche tient compte au départ de toutes les caractéristiques prises ensemble, afin d'établir si l'objet revendiqué présente un caractère technique. Ce n'est qu'après avoir tiré au clair cet aspect que la chambre peut examiner quelles caractéristiques revendiquées contribuent à ce caractère technique et devraient par conséquent entrer en ligne de compte pour l'appréciation de l'activité inventive.
12.2.2 En effet, selon un principe bien établi, des caractéristiques qui, considérées isolément, feraient partie des objets exclus de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) CBE, sont néanmoins susceptibles de contribuer au caractère technique d'une invention revendiquée et ne sauraient par conséquent être laissées de côté pour l'appréciation de l'activité inventive. Ce principe avait déjà été défini, certes dans le contexte de l'"approche de la contribution à l'état de la technique", dans l'une des premières décisions des chambres de recours relatives à l'article 52(2) CBE, à savoir la décision T 208/84, VICOM (points 4 s. des motifs).
12.3 Le deuxième problème posé par l'allégation de divergence réside dans l'affirmation selon laquelle les décisions T 163/85 et T 190/94 considèrent qu'un effet technique doit être produit sur une entité physique dans le monde réel, alors que cela n'est pas le cas. Elles ont simplement affirmé qu'un tel effet était suffisant pour échapper à l'exclusion de la brevetabilité ; elles n'ont pas déclaré qu'il était nécessaire. Aucun passage où cet effet serait requis n'a été cité dans la saisine ou identifié par la Grande Chambre.
12.4 Il n'existe donc pas de divergence. Les deux autres décisions citées ont considéré qu'il y avait des effets techniques ; que les chambres concernées aient estimé que ces effets techniques étaient produits ou non sur une entité physique dans le monde réel importe peu.
12.5 Cette question elle aussi n'est donc pas recevable.
13. Question 4
"a) L'activité consistant à programmer un ordinateur implique-t-elle nécessairement des considérations d'ordre technique ?
b) S'il est répondu par l'affirmative à la question 4 a), les caractéristiques résultant de la programmation contribuent-elles par conséquent toutes au caractère technique d'une revendication ?
(c) S'il est répondu par la négative à la question 4 a), les caractéristiques résultant de la programmation ne peuvent-elles contribuer au caractère technique d'une revendication que si elles contribuent à un effet technique supplémentaire lors de l'exécution du programme ?"
Recevabilité
13.1 Il est là aussi nécessaire d'interpréter dans une certaine mesure la question. La Grande Chambre part du principe que "l'activité consistant à programmer un ordinateur" est censée désigner l'activité intellectuelle visant à déterminer quelles étapes doivent être incluses dans un programme d'ordinateur, plutôt que la simple opération physique consistant à saisir un programme dans un ordinateur.
13.2 La saisine fait valoir (aux pages 11 et 12), à juste titre selon la Grande Chambre, que la décision T 1177/97, SYSTRAN, en date du 9 juillet 2002, considère la programmation comme une activité faisant toujours intervenir des considérations techniques, du moins de façon implicite, et que la décision T 172/03, Ricoh, en date du 27 novembre 2003, part du même principe puisqu'elle considère l'homme du métier, qui, ainsi qu'elle le souligne, est un expert technique, comme une équipe de projet logiciel composée de programmeurs. En revanche, selon les décisions T 833/91, IBM, en date du 16 avril 1993, T 204/93, AT&T, en date du 29 octobre 1993, et T 769/92, Sohei, JO OEB 1995, 525, l'activité d'un programmeur, à savoir la programmation, serait une activité intellectuelle tombant sous le coup des exclusions de l'article 52(2) CBE.
13.3 Ces positions ne sont toutefois en rien contradictoires, comme on peut le voir à l'examen du même cas de figure dans un domaine non controversé, par exemple la conception de bicyclettes. La conception d'une bicyclette implique clairement des considérations techniques (et, le cas échéant, des considérations non techniques, par exemple esthétiques), mais elle correspond à un processus qui, du moins au départ, peut se dérouler dans l'esprit du concepteur, autrement dit elle peut constituer une activité intellectuelle et serait, dans cette mesure, exclue de la brevetabilité, exactement comme dans les affaires précitées T 833/91, T 204/93 et T 769/92 (cf. également les décisions T 914/02, General Electric, en date du 12 juillet 2005, point 2.3 des motifs, et T 471/05, Philips, en date du 6 février 2007, points 2.1 et 2.2 des motifs).
13.4 Par conséquent, la question ne satisfait pas à l'exigence selon laquelle il doit exister des divergences dans la jurisprudence ; elle n'est donc pas recevable.
13.5 Si la saisine n'a pu mettre en évidence aucune divergence dans la jurisprudence, il existe au moins un risque de confusion, qui découle de l'hypothèse selon laquelle n'importe quelle réflexion technique suffit pour conférer un caractère technique à un objet revendiqué, cette position ayant apparemment été adoptée dans certaines affaires (par exemple dans la décision T 769/92, Sohei, point 1 du sommaire). Or, dans l'affaire T 1173/97, IBM, la chambre énonce des critères plus stricts dans le cas des programmes d'ordinateur. Elle fait valoir que tous les programmes d'ordinateur produisent des effets techniques étant donné, par exemple, que lorsque des programmes différents sont exécutés, ils entraînent la circulation de différents courants électriques dans l'ordinateur sur lequel ils fonctionnent. Toutefois, de tels effets techniques ne suffisent pas pour conférer un "caractère technique" aux programmes ; ceux-ci doivent engendrer des effets techniques supplémentaires. Il semble également à la Grande Chambre que même s'il est permis d'affirmer que toute programmation informatique implique des considérations techniques, puisqu'elle vise à définir une méthode pouvant être mise en uvre par une machine, cela n'est pas en soi suffisant pour que le programme résultant de la programmation ait un caractère technique. Le programmeur doit s'être livré à des considérations techniques allant au-delà de la "simple" mise au point d'un algorithme informatique pour exécuter une procédure donnée.
13.5.1 La définition d'un algorithme informatique peut être envisagée de deux points de vue différents. Elle peut être considérée d'une part comme un pur exercice de logique mathématique, et d'autre part comme le développement d'une procédure destinée à faire exécuter une certaine tâche par une machine. Ainsi Knuth, dans "The Art of Computer Programming", Volume 1, "Fundamental Algorithms", deuxième édition, 1973, après avoir donné une définition mathématique purement abstraite d'un algorithme, ajoute immédiatement qu'il existe bien d'autres moyens, essentiellement équivalents, pour formuler le concept d'une méthode informatique efficace (par exemple à l'aide des machines de Turing) (fin de la page 8 et début de la page 9). Dans "On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem", Turing a prouvé un résultat purement mathématique, en développant toutefois à cet effet une machine hypothétique, mais plausible, pour l'exécution d'algorithmes ("The Essential Turing", sous la direction de B.J. Copeland, Clarendon Press, Oxford, 2004, pages 58-90). Selon le point de vue que l'on privilégie, il est possible de répondre par la négative ou par l'affirmative à la question de savoir si la programmation d'ordinateurs implique toujours des "considérations techniques". L'un comme l'autre point de vue peut être sincèrement défendu, comme tend à le montrer l'absence de consensus dans les observations de tiers, et le point de vue adopté dépendra de ce que l'on entend intuitivement par "technique". Les auteurs de la CBE ont voulu manifestement adopter le point de vue négatif, autrement dit ils ont considéré la formulation abstraite d'algorithmes comme n'appartenant pas à un domaine technique (cf. par exemple la référence aux travaux préparatoires à la page 12 de la saisine). Dans l'affaire T 1173/97, la chambre, examinant l'effet produit par l'exécution d'un algorithme sur un ordinateur, a noté qu'il y avait toujours des effets techniques, ce qui l'a conduite, puisqu'elle a reconnu la position défendue par les auteurs de la Convention, à formuler la condition relative à un effet technique "supplémentaire". Ce n'est que lorsqu'un programme d'ordinateur produit au cours de son exécution des effets techniques supplémentaires, qu'il peut être considéré comme présentant un caractère technique. De même, pour garantir que le programme a un caractère technique (ou qu'il constitue un "moyen technique", selon l'expression utilisée par exemple dans l'affaire T 258/03, Hitachi), il ne suffit pas apparemment que la formulation de chaque programme d'ordinateur requière fondamentalement des considérations techniques en ce sens que le programmeur doit développer une procédure qu'une machine peut mettre en uvre. Ce caractère technique n'est garanti que si, pour employer une analogie, l'écriture du programme nécessite des "considérations techniques supplémentaires".
Conclusion
Par ces motifs, il est statué comme suit :
La saisine de la Grande Chambre de recours par la Présidente de l'OEB en date du 22 octobre 2008 n'est pas recevable en vertu de l'article 112(1)b) CBE.