3.1. Règle 14(1) CBE
3.1.2 Ouverture d'une procédure devant une juridiction nationale
Selon la décision T 146/82 date: 1985-05-29 (JO 1985, 267), la suspension doit être décidée si un tiers apporte à l'OEB la preuve convaincante qu'il a introduit la procédure appropriée devant une juridiction nationale, pour autant que la demande de brevet européen n'ait pas été retirée ou ne soit pas réputée retirée.
Dans la décision J 36/97, la chambre juridique, se référant à l'art. 9(2) du Protocole sur la compétence judiciaire et la reconnaissance de décisions portant sur le droit à l'obtention du brevet européen du 5 octobre 1973 ("Protocole sur la reconnaissance"), a énoncé que les chambres de recours ne peuvent procéder ni au contrôle de la compétence de la juridiction nationale dont la décision doit être reconnue ni à la révision au fond de cette décision (cf. également J 8/96, J 10/02, J 14/19). De la même manière, ce sont les dispositions du droit national de l'État contractant dans lequel est engagée une procédure civile donnée qui déterminent la date à laquelle – et les moyens par lesquels – une telle procédure est introduite (J 7/00). Dans l'affaire J 6/03, la chambre juridique a constaté que la règle 13(1) CBE 1973 se réfère à des procédures aboutissant directement, c'est-à-dire de façon générale et automatique, aux décisions visées à l'art. 61(1) CBE 1973. Cette disposition n'était donc pas applicable eu égard aux décisions rendues par des juridictions d'États tiers (ici, le Canada).
Dans l'affaire J 9/06, la chambre juridique a indiqué que, conformément à la décision G 3/92 (JO 1994, 607), seuls les tribunaux des États contractants avaient compétence pour statuer sur les actions visant à faire valoir le droit à l'obtention d'un brevet européen (voir aussi J 14/19). L'OEB n'avait ni la possibilité, ni la compétence, dans le cadre du traitement d'une requête en suspension de la procédure au titre de la règle 13 CBE 1973, de déterminer si l'objet divulgué dans une demande de brevet européen visée par une telle requête en suspension avait déjà été divulgué dans une autre demande dont la propriété était source de litige devant un tribunal.
Dans le même ordre d'idées, la chambre juridique instruisant l'affaire J 14/19 a retenu que la règle 14(1) CBE (règle 13(1) CBE 1973) ne détermine pas à quel moment une procédure nationale est réputée introduite. La question de savoir à quel moment la procédure est considérée comme étant introduite doit donc être tranchée selon le droit procédural de l'État dont les juridictions sont saisies pour prendre une décision au sens de l'art. 61(1) CBE (cf. également J 2/14, T 1138/11). L'article 8 du Protocole sur la reconnaissance étaye cette interprétation. Il dispose que lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause (la délivrance d'un brevet européen) sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions différentes, la juridiction saisie ultérieurement doit se dessaisir en faveur du tribunal premier saisi. La question de savoir quel est le tribunal premier saisi doit être tranchée en fonction du moment auquel la procédure est considérée comme étant en instance. Dans la décision J 14/19, la chambre juridique a en outre fait observer que, lorsqu'il doit appliquer le droit étranger, l'OEB doit prendre en compte, dans la mesure du possible, le contexte global du système juridique étranger en question. Pour ce qui est de l'interprétation de la norme juridique étrangère applicable, l'OEB n'est pas lié par la jurisprudence des juridictions nationales, mais, dans la mesure où il a connaissance de la jurisprudence, et en particulier de celle des plus hautes juridictions nationales, il doit la prendre en compte et l'évaluer pour parvenir à sa décision. Concernant la question d'un éventuel abus de droit ("Rechtsmissbrauch") dans l'introduction d'une procédure nationale, la chambre juridique a retenu que, pour éviter des interprétations contradictoires, ce genre de questions doit être tranché par l'OEB de manière autonome, c'est-à-dire indépendamment des ordres juridiques nationaux, même quand elles se posent dans le cadre d’une demande en suspension de la procédure. Faire valoir un droit de manière contraire à sa finalité peut constituer un abus de droit dans certains cas, par exemple lorsque l’exercice du droit est avant tout destiné à nuire, et que d’autres objectifs légitimes passent au second plan. L'abus de droit être établi au-delà de tout doute, ce qui signifie qu'il faut examiner et évaluer minutieusement les circonstances particulières de l'affaire concernée, la charge de la preuve incombant à celui qui invoque l'abus de droit.
Dans l'affaire J 15/13, la chambre a estimé que si, conformément à une jurisprudence constante, une chambre n'est pas autorisée à examiner sur le fond une procédure nationale relative au droit à l'obtention d'un brevet, le pouvoir d'examen de la chambre ne saurait se limiter à une simple vérification en vue d'établir si la requête présentée avec l'action visant à faire valoir le droit à l'obtention d'un brevet concerne le transfert de la demande ; dans une certaine mesure, la chambre peut également examiner les motifs invoqués dans l'action en question, et parfois, elle peut même être tenue de le faire. La chambre doit vérifier que la procédure nationale est conforme à la règle 14(1) CBE, car une requête en suspension de la procédure est une arme puissante qui peut donner lieu à des abus.
Dans l'affaire T 1473/13, le requérant avait demandé la suspension de la procédure par référence à des recours constitutionnels en instance devant la Cour constitutionnelle fédérale allemande qui faisait valoir l'insuffisance à l'OEB de voies de recours de nature juridictionnelle contre les décisions des chambres de recours. Se référant à l'un des recours constitutionnels, la chambre a expliqué qu'en l'occurrence, le requérant n'avait pas indiqué pourquoi et comment un arrêt relatif à certaines dispositions de la CBE, de son règlement d'exécution, du RPCR et du RPGCR pourrait avoir une incidence sur d'autres décisions des chambres avec effet en Allemagne. Selon la chambre, il n'apparaissait pas à l'évidence qu'une des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale allemande sur ces recours constitutionnels aurait des implications juridiques directes au-delà des affaires concernées. En outre, le requérant n'avait pas non plus indiqué les désavantages possibles d'une décision de la chambre dans la présente affaire en cas de succès des recours constitutionnels. La chambre a considéré qu'en l'absence de désavantage avéré pour le requérant, les conséquences négatives respectives d'une suspension ou d'une non-suspension de la procédure (à savoir le retard de la procédure) ne pouvaient pas être mises en balance. Elle a donc conclu que la requête en suspension de la procédure devait être rejetée.