2. Répartition différente des frais pour des raisons d'équité – exemples de cas
2.5. Autres cas
Dans l'affaire T 952/00, la chambre a estimé que l'acte fautif, qu'il soit intentionnel ou simplement le résultat d'une négligence coupable, doit être apprécié par rapport à ce qu'aurait été le comportement normal d'une partie normalement diligente. Il doit également exister un lien de cause à effet pour les coûts litigieux. En l'espèce, les déclarations du titulaire du brevet au cours de la procédure se sont révélées inexactes, ce qui constituait une faute. La chambre était convaincue que, sans les déclarations erronées du titulaire du brevet, l'opposant n'aurait pas eu à exposer de frais pour réunir de nouvelles preuves. Il a donc été fait droit à la requête en répartition des frais présentée par l'opposant (requérant) en ce qui concerne les frais encourus par le requérant (opposant) pour réunir les preuves après la signification de la décision de la première instance.
Dans l'affaire T 1714/14, l'intimé (titulaire du brevet) n'avait déposé qu'une page du document P1 et non le document complet. Selon le requérant (opposant), ce comportement confirmait l'intention du titulaire du brevet de retenir des informations pertinentes pour les questions à trancher. La chambre a estimé quant à elle que, même si l'unique page du document P1 pouvait induire en erreur dans le contexte de la procédure, rien n'indiquait que les frais encourus par le requérant liés à la procédure d'opposition étaient imputables par un lien de causalité à un comportement négligent de l'intimé voire à un abus commis par lui. Ne serait-ce que pour cette raison, aucune répartition différente de ces frais ne pouvait avoir lieu. Cette affaire se différenciait par ailleurs de l'affaire T 952/00, dans laquelle des déclarations avaient été faites qui se sont révélées inexactes, ce qui constitue une faute, ainsi que de l'affaire T 273/10, où il y avait eu rétention abusive de documents.
Dans l'affaire T 269/02, l'intimé faisait valoir que le requérant avait eu largement la possibilité devant la division d'opposition, de modifier ses revendications afin de satisfaire aux conditions de l'art. 123(2) CBE 1973. Il s'en est toutefois abstenu, ce qui a entraîné la révocation du brevet pour ce motif et la nécessité de tenir la procédure de recours qui a porté exclusivement sur la question de la modification. La chambre a indiqué à l'encontre de ces arguments qu'en pareil cas, lorsque le brevet était révoqué au cours de la procédure d'opposition, le requérant devait avoir la possibilité d'étudier la décision de la division d'opposition, dûment fondée par écrit, afin de pouvoir décider de la formulation de requêtes appropriées pour la procédure de recours. Dans ces circonstances, la chambre n'a pas considéré que le requérant avait outrepassé ses droits légitimes ou en avait abusé de manière à faire supporter arbitrairement aux intimés des frais qui, en toute justice, devraient être remboursés. La requête en répartition des frais a donc été rejetée.
Dans l'affaire T 162/04, l'intimé a demandé une répartition différente des frais au vu du temps et des efforts considérables qu'il avait dû consacrer à l'examen des nombreuses requêtes présentées par le requérant durant la procédure de recours, ce qui, selon lui, s'était avéré inutile puisque ces requêtes avaient par la suite été retirées. De l'avis de la chambre, la conduite du requérant ne constitue pas toutefois un abus de procédure. En retirant les requêtes contestées et en les remplaçant par d'autres requêtes, le requérant avait apparemment cherché à remédier aux objections soulevées, ce que l'on ne saurait en soi lui reprocher et qui devrait plutôt être considéré comme un moyen légitime de défendre sa cause. La requête en répartition des frais a donc été rejetée (cf. aussi T 967/12).
Dans les affaires T 1087/20 et T 1549/22, la chambre a rappelé que le retrait d'un recours, même peu avant la procédure orale, ne constituait pas en soi une raison de mettre des frais à la charge de la partie adverse en l'absence d'autres circonstances constituant un abus de procédure. De l'avis de la chambre, ces mêmes principes s'appliquent à l'absolue liberté dont dispose le demandeur ou le titulaire du brevet d'approuver le texte d'un brevet à tout moment au cours d'une procédure de recours (cf. p. ex. T 1484/19 du 4 juillet 2023 date: 2023-07-04). Le retrait de l'approbation deux semaines avant la procédure orale n'était manifestement pas une indication suffisante d'un tel abus de procédure, notamment au regard de la complexité de l'affaire, indépendamment (au moins en principe) des motifs du retrait.
Dans l'affaire T 916/05, les circonstances ne justifiaient pas de répartition différente des frais. Selon la chambre, le fait que certains de ces arguments n'avaient pas été présentés auparavant et auraient pu l'être lors d'une procédure orale éventuelle devant la division d'opposition, n'a aucune importance et ne saurait constituer un abus de procédure. De fait, rien n'interdit à un requérant de présenter une argumentation différente lorsqu'il défend sa cause devant la chambre de recours.
Dans l'affaire T 248/05, la chambre a estimé que l'allégation du manque de clarté de la catégorie de l'objet revendiqué et les frais supplémentaires éventuellement occasionnés par une clarification de l'objet ne justifiaient pas de faire supporter au requérant les frais encourus par l'intimé. D'une part, les éléments contestés de la revendication 1 et le caractère prétendument vague du mémoire exposant les motifs du recours n'avaient aucune incidence sur l'objet du recours en cause, lequel portait sur les conclusions de la division d'opposition au sujet d'un objet ajouté. D'autre part, à moins d'être intentionnel, le manque de clarté d'une revendication ou de moyens invoqués ne saurait nullement être considéré comme un abus de procédure.
Dans l'affaire T 854/12, la chambre a jugé qu'une répartition différente des frais est justifiée si l'ambiguïté concernant le titulaire de l'entreprise agissant prétendument comme partie a été exploitée de manière ciblée dans la procédure ou sciemment entretenue, et que des parties de la procédure doivent donc être répétées inutilement.
Dans l’affaire T 967/18, le titulaire n’avait informé l’OEB de son placement sous administration volontaire que trois ans plus tôt dans le contexte d’une demande d’enregistrement d’un changement de propriétaire. La division juridique a alors ordonné ex officio une interruption de la procédure en vertu de la règle 142(1)b) CBE à compter du 11 novembre 2016, pour une reprise au 4 novembre 2019. Suite à cette interruption, la décision de révocation du brevet rendue le 5 février 2018 et visée par le recours a été jugée "invalide". La chambre a considéré que le comportement du titulaire qui n’avait pas notifié à l’OEB son placement sous administration volontaire était le résultat d’une erreur d’appréciation. Cette erreur n’était pas due à un défaut de diligence flagrant au point d’être assimilable à une faute intentionnelle.
Dans l’affaire T 194/21 l'intimé (titulaire du brevet) soutenait que les circonstances de la cause démontraient la volonté du requérant de détourner la procédure de sa finalité à des fins tactiques : volonté de maintenir pendante le plus longtemps la procédure d’opposition pour retarder l’issue de la procédure de contrefaçon en France. La chambre a considéré que les faits mis en avant démontraient une certaine légèreté mais n’étaient pas suffisants pour caractériser un abus de procédure. En outre, une demande de répartition des frais ne peut prospérer que s'il est avéré un lien de cause à effet entre le comportement prétendument fautif et les frais litigieux. En l'espèce, l'intimé n’avait pas précisé quels frais supplémentaires auraient été occasionnés par la prétendue prolongation tactique de la procédure d'opposition. Quant aux frais exposés pour faire valoir sa défense dans le cadre de la procédure de recours, ils sont inhérents à l'exercice par le requérant de son droit au recours. Enfin l’absence du requérant à la procédure orale ne l’avait pas rendue superflue.
Dans la décision T 2175/15 du 11 juin 2024 date: 2024-06-11 concernant la répartition des frais, la chambre n'a pas considéré justifié d'ordonner, pour des raisons d'équité, au requérant (opposant) de prendre en charge les frais exposés par les requérants adverses (titulaires du brevet) en raison du dépôt de cinq demandes de récusation pour partialité. Elle n'a pas partagé l'avis du titulaire du brevet, selon lequel la CBE ne prévoyait la possibilité de présenter de telles demandes de récusation que dans des cas exceptionnels. En outre, la chambre n'a vu aucune raison de considérer le comportement de l'opposant comme fautif ou comme un abus de procédure.