4.2. Notion de production "en temps utile"
4.2.1 Obligation de contribuer au bon déroulement de la procédure
Le pouvoir d'appréciation conféré par l'art. 114(2) CBE s'applique aux faits invoqués et aux preuves produites tardivement (voir par ex. T 502/98, T 986/08, T 66/14 ; voir aussi la décision T 1022/09, selon laquelle des documents qui ont été déposés avec l'acte d'opposition et dont le dépôt a été motivé sont automatiquement admis dans la procédure d'opposition). La notion de non-production en temps utile, telle qu'elle est mentionnée à l'art. 114(2) CBE, appelle une interprétation.
En particulier dans la procédure inter partes, les parties sont liées par l'obligation de contribuer au bon déroulement de la procédure. À cet effet, il convient de présenter le plus tôt et de la manière la plus complète possible tous les faits, moyens de preuve, requêtes et arguments pertinents (voir par ex. T 1955/13 ; voir aussi T 1768/17, dans le contexte de la présentation de requêtes). Ce principe découle des dispositions de la CBE qui régissent la prise en considération ou non des moyens invoqués tardivement, à savoir de manière générale l'art. 114(2) CBE (qui, selon les documents préparatoires, vise à éviter qu'un comportement négligent nuise au déroulement de la procédure, T 122/84), la règle 137 CBE dans la procédure de délivrance, les règles 76(2)c) et 80 CBE dans la procédure d'opposition, et la règle 116(1) CBE en ce qui concerne la date jusqu'à laquelle des documents peuvent être produits en vue de la préparation de la procédure orale. Pour la procédure de recours, voir le RPCR, JO 2024, A15, dans ce chapitre V.A.4. "Nouveaux moyens invoqués dans la procédure de recours".
Les chambres de recours soulignent que l'opposant doit en principe soulever et exposer toutes ses objections de manière complète et détaillée pendant le délai d'opposition (T 117/86, JO 1989, 401, voir aussi ci-dessus dans ce chapitre IV.C.2.2.6 et IV.C.3.2). Dans l'affaire T 2165/10, la chambre a estimé que le requérant (opposant) aurait dû mentionner dans son acte d'opposition l'existence du prétendu usage antérieur public invoqué ultérieurement et indiquer/produire toutes les preuves en sa possession à ce moment-là. L'argument du requérant selon lequel les documents en sa possession au moment du dépôt de l'acte d'opposition ne suffisaient pas pour constituer une preuve complète a été rejeté par la chambre.
Dans l'affaire T 1364/12, la chambre a relevé que les documents non admis par la division d'opposition avaient été déposés par le requérant (titulaire du brevet) dans les délais, en réponse à la notification au titre de la règle 79(1) CBE, et auraient donc dû servir de base à la procédure d'opposition. La division d'opposition ne pouvait pas exercer son pouvoir d'appréciation pour décider de les admettre ou non en se fondant sur leur pertinence de prime abord, si bien qu'il y avait eu exercice incorrect du pouvoir d'appréciation.
Les faits et preuves présentés ultérieurement peuvent également être considérés comme soumis "en temps utile" lorsque cette démarche est conforme au principe d'économie de la procédure et, partant, que la partie qui les a présentés a fait preuve de d'un degré raisonnable de vigilance dans la procédure (T 502/98 citant T 201/92, T 238/92, T 532/95 et T 389/95 ; citée dans T 568/02 ; voir aussi, par ex. T 574/02).
Par conséquent, la production de nouveaux faits et preuves est considérée comme effectuée en temps utile si elle a eu lieu en réaction à un argument ou à une question de la partie adverse, de sorte que les nouveaux faits, documents ou preuves n'auraient pas pu, en l'espèce, être fournis plus tôt. Selon la décision T 502/98, cette situation peut se produire, par exemple, lorsque certains faits et preuves sont devenus pertinents une fois seulement qu'une partie a présenté une modification non prévisible des revendications ou un nouveau compte rendu d'essai, ou encore qu'elle a remis en cause pour la première fois l'existence de connaissances générales. En pareils cas, une partie diligente n'est pas normalement tenue d'identifier et de présenter de tels faits et preuves avant même que la partie adverse n'ait agi ainsi (décision citée par ex. dans l'affaire T 986/08). Voir également l'affaire T 623/93, dans laquelle la chambre a estimé que lorsque des revendications modifiées étaient introduites dans la procédure d'opposition, on ne pouvait reprocher à l'opposant d'avoir invoqué de nouvelles antériorités et de nouveaux arguments pour contester ces nouvelles revendications (se référant à la décision G 9/91, JO 1993, 408, point 19 des motifs).
De nouveaux faits ou preuves ont dès lors été considérés comme ayant été produits en temps utile lorsqu'ils ont été présentés en réaction directe à de nouveaux moyens invoqués par la partie adverse (T 389/95, T 320/08, T 1698/08, T 1949/09), le plus tôt possible au cours de la procédure (T 468/99, T 2551/16), ou peu après que leur pertinence soit devenue manifeste (T 201/92, T 502/98, T 568/02, T 574/02, T 986/08, T 998/17) (voir aussi T 156/84, JO 1988, 372 ; mais aussi, par ex. les affaires T 1734/08 et T 733/11 dans lesquelles des moyens présentés après l'expiration du délai prévu à l'art. 99(1) CBE ont été considérés comme ayant été invoqués tardivement, sans que ne soit examinée la question de la vigilance procédurale).
Dans l’affaire T 1445/22, la chambre a cependant constaté que la division d’opposition n’avait pas soulevé de nouveaux aspects dans son avis préliminaire, mais s’était contentée de réitérer sa position donnée par l’intimé dans sa réponse à l’acte d’opposition. Il ne s’était produit devant la division d’opposition aucun changement dans les faits de la cause susceptible d’avoir incité à considérer de nouveaux moyens comme produits dans les délais.
Dans l'affaire T 117/02, la chambre a affirmé que, lorsqu'une requête visant à introduire des moyens invoqués tardivement (en l'occurrence un nouveau motif d'opposition ainsi que de nouveaux arguments et preuves) est présentée, il convient d'accorder le droit d'être entendu avant de rejeter ces moyens.
Un opposant doit se voir offrir la possibilité de prendre position de manière appropriée lorsque l'objet de la procédure a changé, en raison par exemple d'une modification. Selon la nature de cette modification, cela peut nécessiter le dépôt de nouveaux documents (T 366/11).