2.4. Motifs ou éléments de preuve surprenants
2.4.1 Principes généraux
L'art. 113(1) CBE dispose que les décisions ne peuvent être fondées que sur des motifs au sujet desquels les parties ont pu prendre position.
Selon la Grande Chambre de recours (cf. chapitre V.B.4.3.9 "Motifs d'une décision prétendument surprenants"), cela implique qu'une partie ne doit pas être prise au dépourvu par les motifs d'une décision qui renverrait à des éléments inconnus (R 3/13, R 5/22 ; cf. également T 1378/11). En revanche, le fait d'être pris au dépourvu d'une manière purement subjective n'a pas d'incidence sur la question de savoir si une partie a pu dûment prendre position. Une chambre ne doit pas nécessairement être à l'origine des "motifs" visés à l'art. 113(1) CBE. Il suffit qu'une autre partie soulève l'objection (R 2/08). Si le motif mentionné dans une décision correspond à un argument avancé par l'autre partie (cf. également T 405/94), l'auteur de la requête en révision en avait connaissance et n'a donc pas été pris au dépourvu (R 4/08, R 12/09 du 15 janvier 2010 date: 2010-01-15, R 8/14), à moins que la chambre n'ait clairement indiqué qu'elle ne jugeait pas ces arguments convaincants (R 11/12). Bien que l’art. 113(1) CBE présuppose que la possibilité de prendre position ne doit pas être de nature purement théorique, il ne libère pas une partie de l’obligation de présenter sa réponse dans les meilleurs délais (R 24/22).
Bien que les parties ne doivent pas être prises au dépourvu par les motifs d'une décision, les chambres de recours ne sont néanmoins pas tenues, selon la jurisprudence constante de la Grande Chambre de recours au titre de l'art. 112bis CBE, d’informer par avance les parties de tous les arguments possibles en faveur ou contre une requête. En d'autres termes, les parties n’ont pas de droit à obtenir par avance des indications détaillées sur l'ensemble des motifs amenés à fonder une décision (cf. chapitre V.B.4.3.5 "Absence d'obligation de fournir d'avance les motifs détaillés d'une décision"). Dans les affaires T 1634/10, T 2405/10, T 1378/11 et T 1090/18, les chambres ont expressément appliqué à la procédure de première instance cette jurisprudence de la Grande Chambre de recours rendue dans le cadre de l'art. 112bis CBE.
Dans l'affaire T 996/09, la chambre a estimé que le droit d'être entendu représente pour les parties une garantie fondamentale de la conduite équitable et ouverte de la procédure devant l'OEB (la chambre a cité à cet égard les décisions J 20/85 et J 3/90) et permet d'éviter que les parties à la procédure ne soient prises au dépourvu par les motifs cités dans une décision défavorable (conformément aux décisions T 669/90, T 892/92, T 594/00 et T 343/01 ; cf. également T 197/88, T 220/93). Dans l'affaire T 435/07, la chambre a estimé que les motifs sur lesquels une décision est fondée doivent être notifiés aux demandeurs de sorte qu'ils puissent défendre leurs droits. Une objection soulevée contre la délivrance d'un brevet doit être énoncée de manière que les demandeurs puissent comprendre sa base factuelle et réagir en conséquence, sans avoir d'abord à deviner ce que la division d'examen pourrait avoir en tête. Selon la chambre dans l'affaire T 898/21, ce qui est déterminant n'est pas de savoir si l'instance du premier degré serait parvenue à la même conclusion après avoir entendu les parties sur une objection donnée, mais si les parties ont eu la possibilité de prendre position sur cette objection.
Dans l'affaire T 1065/16, au cours de la procédure d'opposition, l'impossibilité d'exécuter l'invention n'avait pas été invoquée avant la procédure orale comme motif d'opposition. Il s'agissait donc d'un nouveau motif d'opposition et son introduction était surprenante. Le requérant I n'ayant pas eu la possibilité de prendre position au sujet de ce nouveau motif d'opposition, la division d'opposition avait enfreint l'art. 113(1) CBE, si bien que la procédure était entachée d'un vice substantiel.
Dans l'affaire T 2351/16, la chambre a estimé que le fait que la division d'examen ait émis une décision de rejet après une seule notification au titre de l'art. 94(3) CBE ne constituait pas en soi une violation du droit d'être entendu du requérant (cf. également le chapitre IV.B.2.3. "Rejet après une seule notification"). En revanche, dans sa décision, la division d’examen avait présenté (pour la première fois) un argument supplémentaire à l'appui de l'objection de la division d'examen, suite à la réponse du demandeur à la notification au titre de l'art. 94(3) CBE. Cela constituait une violation du droit d'être entendu du demandeur et, à ce titre, un vice substantiel de procédure.
Dans l’affaire T 2054/19, la notification au titre de l’art. 94(3) CBE portait sur un jeu de revendications différent de celui sur lequel se fondait la décision de la division d’examen de rejet de la demande. Il n’avait pas été porté à la connaissance du demandeur que la division d’examen avait jugé la portée de la revendication 1 déposée auprès d’elle identique à celle de la revendication 1 telle que déposée initialement et ayant donné lieu à des objections dans le rapport de recherche européenne, ni qu’elle s’était fondée sur l’avis au stade de la recherche. La chambre a considéré que, en l’espèce, le rejet immédiat de la demande suivant la notification au titre de l’art. 94(3) CBE constituait une violation du droit d’être entendu.
Dans la décision T 505/20, la chambre a estimé que le fait que la division d’opposition n’avait pas pris en considération la revendication valablement soumise lors de la procédure orale avait eu en outre pour conséquence la violation du droit des requérants d’être entendus. La division d’opposition avait décidé que le brevet pouvait être maintenu sous forme modifiée sur la base de la requête correspondante en se fondant sur des motifs au sujet desquels les requérants n’avaient pas pu prendre position, ce qui constituait un vice substantiel de procédure.
Dans la décision T 1198/20, la chambre a confirmé que l’art. 101(1) CBE, seconde phrase, CBE n’implique pas que la division d’opposition adresse une notification accompagnée d’un avis provisoire avant de rendre sa décision. L’article dispose simplement que la division d’opposition invite les parties, "aussi souvent que cela est nécessaire" à présenter leurs observations sur les notifications qu’elle leur a adressées ou sur les communications qui émanent d’autres parties afin de satisfaire au droit d’être entendu visé à l’art. 113(1) CBE. La chambre a considéré que la division d’opposition avait fondé sa décision sur des motifs et des éléments de preuve exposés dans l’acte d’opposition, c.-à-d. des motifs et des éléments de preuve au sujet desquels le titulaire du brevet avait déjà eu la possibilité de prendre position. La chambre a par conséquent estimé qu’il était satisfait aux exigences de l’art. 113(1) CBE.
Dans la décision T 1976/22, la chambre a jugé que les droits du demandeur au titre de l’art. 113 CBE avaient été pleinement respectés par la décision immédiate écrite de la chambre puisqu’elle avait été rendue sur la base de la décision attaquée et du mémoire exposant les motifs du recours.