G 0001/86 (Rétablissement dans ses droits d'un opposant) 24-06-1987
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La question de droit posée à la Grande Chambre de recours
Lors d'un recours formé contre une décision intermédiaire rendue par la Division d'opposition de l'Office européen des brevets, l'une des requérantes (opposantes) a déposé son mémoire exposant les motifs du recours, après expiration du délai prévu à l'article 108, troisième phrase de la CBE, en y joignant une requête motivée en restitutio in integrum.
Par décision intermédiaire (T 110/85, JO OEB 4/1987, p. 157) rendue le 6 août 1986, la Chambre de recours technique compétente a soumis pour décision à la Grande Chambre de recours, conformément à l'article 112(1)a) CBE, la question de droit suivante :
"Un requérant qui est également opposant peut-il être rétabli dans ses droits au titre de l'article 122 CBE s'il n'a pas déposé le mémoire exposant les motifs du recours dans le délai prévu à l'article 108, troisième phrase de la CBE ?"
Motifs de la décision
1. La Convention sur le brevet européen prévoit qu'un certain nombre d'actes doivent être accomplis dans des délais qui sont fixés soit par la Convention elle-même, soit par l'Office européen des brevets.
Dans de nombreux cas, l'inobservation de ces délais entraîne pour l'intéressé la perte définitive de ses droits.
La perte définitive de droits est une sanction d'une grande sévérité, particulièrement lorsque l'inobservation du délai résulte non pas d'une faute dont l'intéressé s'est rendu coupable, mais d'une méprise survenue bien qu'il ait fait preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances.
2. C'est pour atténuer cette sévérité qu'a été prévue la restitutio in integrum (art. 122 CBE).
3. L'article 122(1) CBE dispose que "le demandeur ou le titulaire d'un brevet européen qui ... n'a pas été en mesure d'observer un délai à l'égard de l'Office européen des brevets est, sur requête, rétabli dans ses droits."
La Grande Chambre estime que la formulation choisie ne peut être comprise comme excluant a priori de la restitutio in integrum toutes personnes autres que celles expressément mentionnées à l'article 122(1) CBE, car cela emporterait des conséquences manifestement inéquitables et dépourvues de toute justification rationnelle. L'inobservation non fautive d'un délai par une personne partie à une procédure devant l'OEB, autre que le demandeur ou le titulaire d'un brevet européen, peut également entraîner pour elle une perte définitive de droits. Il peut s'agir, par exemple, du mandataire agréé (art. 20 CBE), de l'inventeur (règle 19 CBE) et de personnes autres que le demandeur auxquelles le droit au brevet européen a été reconnu (art. 61 CBE). Aucun motif susceptible de justifier l'exclusion de ces personnes de la restitutio in integrum ne paraît pouvoir être invoqué. De même, dans le cadre de la procédure d'opposition, la règle 63(3) CBE prévoit qu'une requête motivée en vue d'une décision de la division d'opposition sur la fixation des frais par le greffe doit être présentée à l'Office européen des brevets dans un délai d'un mois après la signification de la fixation des frais, cette décision pouvant faire ensuite l'objet d'un recours dans les conditions énoncées à l'article 106(5) CBE. Or, l'on comprendrait difficilement que, dans le cadre d'une telle procédure en fixation des frais, l'une des parties puisse bénéficier de la restitutio in integrum, et non l'autre.
Ces considérations amènent à conclure qu'en formulant ainsi l'article 122 CBE les auteurs de la Convention n'ont pu vouloir exclure de la restitutio in integrum que certaines situations et certains délais, et non réserver ce remède au demandeur ou au titulaire du brevet.
Pour répondre à la question de droit qui a été posée, il y a donc lieu tout d'abord de préciser l'interprétation qui doit être donnée de l'article 122(1) CBE. On appliquera à cette fin les principes d'interprétation des traités retenus par la Grande Chambre dans ses précédentes décisions (cf. points 1 à 6 des décisions Gr 01/83, GR 05/83 et Gr 06/83 du 5 décembre 1984, JO OEB 3/1985, p. 60 et point 1 de la décision Gr 01/84 du 24 juillet 1985, JO OEB 10/1985, p. 299).
4. Il ressort des travaux préparatoires de la CBE qu'au début des études entreprises sur un système de brevet européen, un seul pays (l'Allemagne), parmi ceux qui participaient à ce projet, à la fois connaissait le principe de la restitutio in integrum et l'appliquait dans le domaine du droit des brevets (cf. commentaires du groupe de travail "Brevets", session tenue du 8 au 19 janvier 1962, compte rendu de la séance du 10 janvier 1962, document IV/215/62, p. 19).
Dans le "Second avant-projet de Convention instituant un système européen de délivrance de brevets" publié en avril 1971, l'article 142 (correspondant à l'article 122 actuel de la CBE) était limité au "demandeur", avec toutefois en regard du texte de cet article la remarque suivante : "La question de l'extension du champ d'application de l'article 142 au titulaire du brevet et à l'opposant doit être encore examinée". Cet examen a été effectué par un groupe de travail au cours de la session qui s'est tenue à Luxembourg du 22 au 26 novembre 1971. On peut lire dans le compte rendu de ces travaux :
"Le groupe a examiné la question de l'extension du champ d'application de l'article 142 au titulaire du brevet et à l'opposant, conformément à la remarque figurant dans le second avant-projet.
En ce qui concerne le titulaire du brevet européen, le groupe a estimé qu'il était logique et nécessaire de lui accorder, pendant le délai d'opposition ou lorsqu'une procédure d'opposition est pendante, la faculté du rétablissement dans ses droits. L'article 142 a été complété en conséquence.
En ce qui concerne l'opposant, en revanche, le groupe a estimé, à la majorité, qu'il ne convenait pas de lui accorder un tel droit, étant donné qu'il dispose d'autres possibilités de faire valoir ses droits, notamment par l'action en nullité devant les tribunaux nationaux, si un empêchement par force majeure a eu pour conséquence directe la perte d'un droit ou d'un moyen de recours dans le cadre de la procédure d'opposition." (doc. BR/144/71).
5. L'exclusion de l'opposant de la restitutio in integrum quant au délai de recours s'explique par l'intérêt légitime du titulaire du brevet de ne pas demeurer indûment dans l'incertitude sur l'éventualité d'un recours. La volonté d'accorder un traitement plus favorable au titulaire du brevet en lui donnant la possibilité de bénéficier de la restitutio in integrum quant à ce délai se justifie par le fait que la décision de révocation ou de limitation du brevet entraîne pour lui une perte définitive de ses droits. Il n'en est pas de même pour l'opposant qui, en cas de rejet de l'opposition, peut toujours, comme indiqué ci-dessus, intenter des actions en nullité devant les tribunaux nationaux.
La Grande Chambre note qu'il existe également des dispositions expresses dans les législations allemande et autrichienne (article 123(1) de la loi allemande sur les brevets - cf. à ce sujet la décision du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) du 22 décembre 1983 "Schlitzwand", GRUR 1984, p. 337 - et article 129.2 de la loi autrichienne sur les brevets) qui excluent l'opposant de la restitutio in integrum quant au délai de recours.
Dans la législation des autres Etats membres qui connaissent à la fois la procédure d'opposition et la restitutio in integrum (Pays-Bas, Suède et Suisse), seul le demandeur (article 17 A de la loi néerlandaise sur les brevets) ou le demandeur et le titulaire du brevet (article 72 de la loi suédoise sur les brevets et article 47 de la loi suisse sur les brevets) sont expressément mentionnés comme pouvant bénéficier de la restitutio in integrum.
Selon la loi néerlandaise, l'opposition est formée avant la délivrance du brevet (article 25.4), de sorte que le demandeur dispose de la restitutio in integrum en cas d'inobservation du délai de recours. En Suède, par contre, ou les recours en matière de brevets sont de la compétence d'un Tribunal d'appel indépendant de l'Office des brevets, aucune des parties à la procédure de recours sur opposition ne peut bénéficier, aux termes de l'article 72 de la loi suédoise sur les brevets, de la restitutio in integrum quant au délai de recours, l'article 72 n'étant applicable que dans la procédure devant l'Office des brevets, et non dans la procédure devant le Tribunal d'appel. Seul le Tribunal administratif suprême peut accorder, à titre exceptionnel et dans des cas particuliers, la restitutio in integrum devant le Tribunal d'appel en matière de brevets.
6. Compte tenu de ce qui précède, il convient de constater que non seulement la lettre de l'article 122(1) CBE et les travaux préparatoires de la CBE mais aussi l'étude comparative des législations nationales des Etats membres permettent de conclure que l'opposant est exclu de la restitutio in integrum quant au délai de recours.
La question de savoir si cette exclusion doit également s'appliquer au délai dans lequel l'opposant doit déposer le mémoire exposant les motifs du recours n'en demeure pas moins ouverte.
7. Lorsque les auteurs de la Convention ont décidé d'exclure l'opposant de la restitutio in integrum, le projet de Convention ne prévoyait pas de délai séparé pour le dépôt du mémoire exposant les motifs du recours. En effet, l'article 111 (qui fixait les conditions de forme et de délai applicables au recours dans le second avant-projet de Convention sur le brevet européen, publié en 1971, et qui a servi de base à la décision de refuser à l'opposant le bénéfice de la restitutio in integrum, prise par le groupe de travail dans sa séance du 10 décembre 1971 (cf. point 5 supra) se lisait comme suit :
"Le recours doit être formé par écrit auprès de l'Office européen des brevets dans un délai de deux mois après la signification de la décision ; il doit être motivé. Le recours n'est considéré comme formé qu'après le versement de la taxe de recours prescrite par le règlement relatif aux taxes, pris en exécution de la présente Convention. Un mémoire ampliatif, explicitant les motifs du recours, peut être produit dans un délai d'un mois après la formation dudit recours."
Ce n'est que lors de la Conférence de Munich, tenue en octobre 1973, qu'un délai spécial pour le dépôt du mémoire exposant les motifs du recours a été introduit dans l'ancien article 111, devenu l'article 108 actuel de la CBE (cf. doc. M/PR/1, p. 55).
8. Cette modification a créé une situation nouvelle.
Un recours ne peut exister avant que l'acte de recours n'ait été déposé et que la taxe correspondante n'ait été acquittée. En accomplissant ces deux formalités, le requérant ouvre la procédure. Le lien d'instance est ainsi créé.
L'incertitude dans laquelle se trouve le titulaire du brevet quant à la question de savoir si le maintien du brevet délivré en première instance est acquis ou non, est levée dès que le délai de deux mois prévu à l'article 108 CBE est venu à expiration. Il n'en va toutefois pas de même dans le cas de l'expiration du délai de quatre mois fixé par ce même article pour le dépôt du mémoire exposant les motifs du recours ; en effet, ce dernier délai suppose un recours valablement formé. Son expiration affecte donc les intérêts légitimes du titulaire du brevet d'une manière différente que l'expiration du délai de deux mois.
Or, lors des travaux préparatoires à la rédaction de l'article 122 CBE, il n'a pas été possible de tenir compte de cette différence, puisque c'est seulement lors de la Conférence de Munich qu'il a été décidé d'introduire un délai séparé pour déposer le mémoire exposant les motifs du recours. La Conférence n'a quant à elle pas songé à l'incidence de cette modification sur l'article 122 CBE. Aussi, la Grande Chambre s'estime-t-elle autorisée à examiner si l'intérêt du titulaire du brevet, au nom duquel le droit à la restitutio in integrum quant au délai de recours est dénié à l'opposant alors qu'il est accordé au titulaire du brevet (cf. point 6 supra), justifie également le refus de la restitutio in integrum quant au délai de dépôt du mémoire exposant les motifs du recours.
9. Il est certes de l'intérêt légitime du titulaire du brevet de ne pas être laissé plus longtemps dans l'incertitude quant à l'existence d'un recours, après l'expiration du délai de recours de deux mois prévu à l'article 108 CBE. Cependant, dès lors que le recours est formé, c'est-à-dire dès lors que l'opposant a valablement manifesté son intention d'obtenir la réformation de la décision de la division d'opposition, cette incertitude est levée puisque la procédure de recours est engagée. Le lien d'instance est créé, et le titulaire du brevet doit alors se plier comme les autres parties aux exigences de la procédure et attendre que la chambre de recours rende une décision définitive sur la recevabilité du recours.
Le retard supplémentaire que peut entraîner une procédure de restitutio in integrum devrait être, en règle générale, négligeable par rapport à la durée normale de la procédure. En effet, le requérant et l'intimé sont immédiatement informés par le greffe des chambres de recours de l'inobservation du délai de dépôt du mémoire. D'autre part, les conditions strictes mises à l'octroi de la restitutio in integrum par l'article 122 CBE préviennent tout abus. La Grande Chambre est donc d'avis que l'intérêt légitime du titulaire du brevet ne justifie pas, dans ces conditions, de refuser à l'opposant la restitutio in integrum quant au délai de dépôt du mémoire.
10. Par conséquent et en application de la règle d'interprétation "Cessante ratione legis cessat ipsa lex" (Dig. 35. 1. 72. 6), les dispositions de l'article 122(1) CBE ne sauraient être interprétées comme excluant automatiquement l'opposant du bénéfice de la restitutio in integrum quant au délai de dépôt du mémoire exposant les motifs du recours et aux autres délais prévus dans le cadre de la procédure de recours, dont l'inobservation, après formation du recours, peut entraîner pour lui une perte de droits.
11. Puisqu'ainsi ni le texte de l'article 122(1) CBE, ni les travaux préparatoires de la Convention de Munich sur le brevet européen, ni les considérations relatives au fondement de la disposition en cause ne font obstacle à ce que puisse être admise la possibilité pour l'opposant de se prévaloir, dans le cadre d'une procédure de recours valablement engagée, de la restitutio in integrum dans les conditions et dans les limites prévues à l'article 122 CBE, il convient d'examiner si, compte tenu des principes généraux du droit, il doit être répondu par l'affirmative à la question posée à la Grande Chambre.
12. Les principes généraux du droit constituent une source du droit universellement reconnue. Ils peuvent également contribuer à l'interprétation du droit écrit. Ils sont appliqués par les tribunaux nationaux des Etats contractants soit pour combler les lacunes de la loi, soit pour s'écarter d'une interprétation littérale d'une disposition existante qui conduirait à une injustice (cf., par exemple, International Institutional Law, Henry G. Schermers, Sijthoff & Noordhoff, 1980, 1189 s. et Traité de droit civil, publié sous la direction de J. Ghestin, Introduction générale, J. Ghestin et G. Goubeaux, LGDJ 1983, points 446 s.).
13. Or, un principe reconnu dans les Etats contractants de la CBE est que les parties à une procédure engagée devant une instance judiciaire doivent jouir des mêmes droits procéduraux. A l'instar, par exemple, du principe du contradictoire ou du respect des droits de la défense, etc., ce principe découle de celui plus général de l'égalité des hommes devant la loi et, par conséquent, devant les tribunaux chargés de l'appliquer.
Plusieurs arrêts de la Cour de Justice des Communautés européennes ont formellement reconnu ce principe, qui veut que "les situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée" (arrêt de la Cour du 8 octobre 1980 dans l'affaire 810/79 - Peter Überschär, Recueil de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes, RJCJCE 1980, p. 2747).
14. Il ressort des dispositions de la CBE qui définissent l'indépendance des membres des chambres de recours (art. 23 CBE) ainsi que les attributions et le fonctionnement des chambres et la nature des décisions qu'elles rendent, que les chambres sont des instances judiciaires chargées d'assurer le respect du droit dans l'application de la Convention sur le brevet européen. Par conséquent, le principe de l'égalité de traitement des parties à une procédure devant une instance judiciaire doit également être appliqué dans les procédures devant les chambres de recours de l'OEB. De surcroît, les décisions des chambres de recours sont sans appel, et les décisions rendues en dernière instance, qui mettent donc fin à une procédure ayant pour objet le contrôle de la légalité d'actes administratifs ainsi que la sauvegarde de droits individuels, ne peuvent être prises dans les Etats membres de l'Organisation européenne des brevets que par des instances judiciaires.
15. Par conséquent, la Grande Chambre estime que dans une procédure de recours sur opposition les chambres de recours doivent appliquer au sujet de l'observation du délai de dépôt du mémoire exposant les motifs du recours prévu à l'article 108, troisième phrase de la CBE le principe de l'égalité de traitement de toutes les parties (cf. point 13 supra). S'agissant de la possibilité d'accorder la restitutio in integrum quant au délai de dépôt de ce mémoire, ce principe d'égalité interdit de traiter l'opposant autrement que le titulaire du brevet, car il en résulterait une discrimination inacceptable à son encontre. Aussi faut-il donner une réponse affirmative à la question posée à la Grande Chambre.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
La Grande Chambre de recours décide que la question de droit qui lui a été soumise doit recevoir la réponse suivante :
L'article 122 CBE ne doit pas être interprété comme n'étant applicable qu'au demandeur et au titulaire du brevet.
Un requérant qui est également opposant peut être rétabli dans ses droits au titre de l'article 122 CBE s'il n'a pas déposé dans les délais le mémoire exposant les motifs du recours.